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fault mespriser; ostez-lui toute mollesse et délicatesse au vestir et au coucher, au manger et au boire; accoutumez-le à tout; que ce ne soit pas un beau garson et dameret, mais un garson vert et vigoreux'. >>

On nous a donné, en 1872, le service obligatoire, que je demandais depuis longtemps avec mes amis; nous ne le demandions pas tel que nous l'avons, car on n'a pris que des précautions dérisoires pour sauver l'art et le travail intellectuel; on corrigera la loi, on lui ôtera ce qu'elle a d'un peu sauvage sous cette première forme, et il en restera une très-bonne chose, je ne dis pas au point de vue militaire : je ne disserte plus sur la guerre depuis que je l'ai vue; mais une très-bonne chose au point de vue de l'égalité, et une très-bonne au point de vue de l'hygiène. Après le règlement du collége, on tâtera du règlement militaire. On mangera la soupe du soldat dans une boîte de ferblanc; on s'accoutumera au pain de munition; on fera la cuisine à son tour; on couchera dans la chambrée ou sur le lit de camp; on ira à la provision, portant un bout de la civière, sous la conduite du caporal de semaine; on n'aura pas même la pensée d'échapper à la corvée, ni de craindre de fortes étapes faites, sac au dos, sous le soleil d'Afrique, ou quelques coups de fusil échangés avec une tribu rebelle.

Angustam, amici, pauperiem pati

Robustus acri militiâ puer

Condiscat.

Si, après cela, on a le bonheur de voyager un an

1. Montaigne, liv. I, chap. xxv, éd. J. V. Le Clerc, p. 220.

2. Horace, liv. III, ode II.

ou deux, on sera un homme complet, à jamais délivré des précautions et des lisières. Voilà comment on apprend aux jeunes gens à vaincre la douleur physique, callum obducere dolori; et c'est ce que M. Fonssagrives appelle, d'un nom qui me plaît assez, la méthode de l'endurcissement.

CHAPITRE II

LA DURÉE DU TRAVAIL INTELLECTUEL.

Qu'on mange du ragoût ou du rôti, qu'on porte un plastron ou une blouse, qu'on vive dans une sorte de halle avec vingt ou trente camarades, ou dans une chambre particulière, cela fait beaucoup pour la santé, mais n'entraîne aucune perte de temps. Il n'en est pas de même du bain, de l'immersion ou de la natation: cela nous prendra chaque jour quelques minutes. J'en demanderai bien davantage tout à l'heure, quand je parlerai des exercices spécialement consacrés au développement et à l'amélioration du corps. Il faut donc aborder le côté le plus grave du problème, et se demander comment on dépensera les vingt-quatre heures dont se compose la journée, combien on donnera au sommeil et au travail, et ce que le corps réclamera pour la nourriture, la toilette, la gymnastique et le repos. Nous sommes ici sur le terrain même de M. de Laprade et de son Éducation homicide. Démocrite disait que << si le corps mettait l'âme en procès et l'appe

lait en justice en matière de réparation de dommage, jamais elle ne se sauverait qu'elle ne fust condamnée à l'amende1.» J'ai montré que le corps est surtout en droit de se plaindre du programme des écoles et de celui du baccalauréat. Ce sont les programmes qui empêchent le corps de se développer et de se bien porter, qui surchargent la mémoire aux dépens du jugement, et qui entassent dans les jeunes esprits toutes sortes de notions mal digérées, ne laissant après elles, quand l'examen est subi, que de l'orgueil, beaucoup d'épuisement, et peu d'attrait pour le travail, si ce n'est dans les esprits d'élite qui ont pu entrevoir, dans ce chaos et dans cette immensité, le genre spécial de travail pour lequel ils ont été créés et mis au monde. Plutarque est de l'avis de Démocrite. Toutes les mères de famille, malgré leurs visées ambitieuses, et tous les pères, s'ils veulent bien y réfléchir, pensent comme Démocrite et comme Plutarque : << Ne plus ne moins que les herbes et les plantes se nourrissent mieux quand on les arrouse modérément, mais quand on leur donne trop d'eau, on les noye et suffoque; aussi fault-il donner aux enfants moien de reprendre haleine en leurs continuels travaux, faisans compte que toute la vie de l'homme est divisée en labeur et repos à raison de quoi la nature nous a donné non-seulement le veiller, mais aussi le dormir et non-seulement la guerre, mais aussi la paix: et non-seulement la tourmente, mais aussi le beau temps et ont été institués non-seule

1. Plutarque, Œuvres morales, 44, Les règles et préceptes de la santé, t. II, p. 817.

2. Ci-dessus, première partie, chap. II et III.

ment les jours ouvrables, mais aussi les jours de feste1. >>

Voici cependant ce qui se passe. Je prends le règlement des lycées : les choses ne vont guère autrement dans les familles, puisqu'il s'agit de travailler tout autant pour arriver au même but. Les petits se lèvent à six heures, se couchent à huit heures et demie. Admettons qu'en hiver on leur accorde un quart d'heure de grâce le matin, cela n'a pas lieu partout et ne vaut pas la peine d'en parler. Si les grands vont à la veillée et se couchent à dix heures du soir, après s'être levés à cinq heures un quart du matin en été, cela fait sept heures un quart de sommeil et seize heures trois quarts de veille, sur vingt-quatre heures. Mais ne poussons pas les choses à l'extrême : prenons la moyenne de nos élèves. Ils se couchent à huit heures et demie, ils se lèvent à cinq heures et demie, soit neuf heures de sommeil et quinze heures de veille.

Ces quinze heures, comment sont-elles remplies? On peut compter, par semaine, vingt-trois heures de classe et ajouter cinq heures pour les conférences, l'instruction religieuse et les leçons de dessin. (Je ne parle pas de la gymnastique, de l'escrime, des exercices militaires ni des arts d'agrément, qu'il faudra, bon gré, mal gré, placer dans les récréations ou aux heures d'études.) Voici donc, par semaine, sur cent quarantequatre heures pour six jours, cinquante-quatre heures de sommeil et vingt-huit heures de classes ou de conférences. Le lever, les repas et les récréations ne

1. Plutarque, Œuvres morales, I, Comment il fault nourrir les enfants, t. I, p. 13.

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