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TRAGEDIE (1672).

ACTEURS.

THÉSÉE, fils d'Égée, roi d'Athènes.

PHÈDRE, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé.
HIPPOLYTE, fils de Thésée et d'Antiope, reine des Amazones.

ARICIE, princesse du sang royal d'Athènes.

THIÉRAMÈNE, gouverneur d'Hippolyte.

OENONE, nourrice et confidente de Phèdre :

ISMÈNE, confidente d'Aricie.

PANOPE, femme de la suite de Phèdre.
GARDES.

La scène est à Trézène, ville du Peloponèse.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE.

HIPPOLYTE.

Le dessein en est pris, je pars, cher Théramène,
Et quitte le séjour de l'aimable Trézène.
Dans le doute mortel dont je suis agité,
Je commence à rougir de mon oisiveté :
Depuis plus de six mois éloigné de mon père,
J'ignore le destin d'une tête si chère,

J'ignore jusqu'aux lieux qui le peuvent cacher.
THÉRAMÈNE.

Et dans quels lieux, seigneur, l'allez-vous donc chercher ?
Déjà, pour satisfaire à votre juste crainte,

J'ai couru les deux mers qui sépare Corinthe;
J'ai demandé Thésée aux peuples de ces bords

Où l'on voit l'Achéron se perdre chez les morts;
J'ai visité l'Élide, et, laissant le Ténare,
Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare.

Sur quel espoir nouveau, dans quels heureux climats
Croyez-vous découvrir la trace de ses pas?

Qui sait même, qui sait si le roi votre père
Veut que de son absence on sache le mystère?
Et si, lorsqu'avec vous nous tremblons pour ses jours,
Tranquille, et nous cachant de nouvelles amours,
Ce héros n'attend point qu'une amante abusée...

HIPPOLYTE.

Cher Théramène, arrête, et respecte Thésée.
De ses jeunes erreurs désormais revenu,
Par un indigne obstacle il n'est point retenu;
Et, fixant de ses vœux l'inconstance fatale,
Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.
Enfin, en le cherchant je suivrai mon devoir,
Et je fuirai ces lieux, que je n'ose plus voir.
THÉRAMÈNE.

Eh! depuis quand, seigneur, craignez-vous la présence
De ces paisibles lieux si chers à votre enfance,

Et dont je vous ai vu préférer le séjour

Au tumulte pompeux d'Athène et de la cour?
Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse?

HIPPOLYTE.

Cet heureux temps n'est plus. Tout a changé de face,
Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé.

THÉRAMÈNE.

J'entends de vos douleurs la cause m'est connue.
Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
Dangereuse marâtre, à peine elle vous vit,
Que votre exil d'abord signala son erédit.
Mais sa haine, sur vous autrefois attachée,
Ou s'est évanouie, ou s'est bien relâchée.
Et d'ailleurs quels périls vous peut faire courir
Une femme mourante, et qui cherche à mourir?
Phèdre, atteinte d'un mal qu'elle s'obstine à taire.
Lasse enfin d'elle-même et du jour qui l'éclaire,
Peut-elle contre vous former quelques desseins?

HIPPOLYTE.

Sa vaine inimitié n'est pas ce que je crains.
Hippolyte en partant fuit une autre ennemie :
Je fuis, je l'avouerai, cette jeune Aricie,

Reste d'un sang fatal conjuré contre nous.

THÉRAMÈNE.

Quoi! vous-même, seigneur, la persécutez-vous ? Jamais l'aimable sœur des cruels Pallantides

Trempa-t-elle aux complots de ses frères perfides? Et devez-vous hair ses innocents appas?

HIPPOLYTE.

Si je la haïssais, je ne la fuirais pas.

THÉRAMÈNE.

Seigneur, m'est-il permis d'expliquer votre fuite ? Pourriez-vous n'être plus ce superbe Hippolyte, Implacable ennemi des amoureuses lois

Et d'un joug que Thésée a subi tant de fois?
Vénus, par votre orgueil si longtemps méprisée,
Voudrait-elle à la fin justifier Thésée ?

Et, vous mettant au rang du reste des mortels,
Vous a-t-elle forcé d'encenser ses autels?
Aimeriez-vous, seigneur?

HIPPOLYTE.

Ami, qu'oses-tu dire?

Toi qui connais mon cœur depuis que je respire,
Des sentiments d'un cœur si fier, si dédaigneux,
Peux-tu me demander le désaveu honteux ?
C'est peu qu'avec son lait une mère amazone
M'ait fait sucer encor cet orgueil qui t'étonne;
Dans un âge plus mûr moi-même parvenu,
Je me suis applaudi quand je me suis connu.
Attaché près de moi par un zèle sincère,
Tu me contais alors l'histoire de mon père.
Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,
S'échauffait au récit de ses nobles exploits;
Quand tu me dépeignais ce héros intrépide
Consolant les mortels de l'absence d'Alcide,
Les monstres étouffés et les brigands punis,
Procuste, Cercyon et Sciron, et Sinis,
Et les os dispersés du géant d'Épidaure,
Et la Crète fumant du sang du Minotaure :
Mais quand tu récitais des faits moins glorieux,
Sa foi partout offerte et reçue en cent lieux,
Hélène à ses parents dans Sparte dérobée,
Salamine témoin des pleurs de Péribée,

Tant d'autres, dont les noms lui sont même échappés,
Trop crédules esprits que sa flamme a trompés!
Ariane aux rochers contant ses injustices,
Phèdre enlevée enfin sous de meilleurs auspices;
Tu sais comme, à regret écoutant ce discours,
Je te pressais souvent d'en abréger le cours.
Heureux si j'avais pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d'une si belle histoire !
Et moi-même, à mon tour, je me verrais lié!
Et les dieux jusque-là m'auraient humilié!

Dans mes lâches soupirs d'autant plus méprisable,
Qu'un long amas d'honneurs rend Thésée excusable;
Qu'aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui
Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui!
Quand même ma fierté pourrait s'être adoucie,
Aurais-je pour vainqueur dû choisir Aricie?
Ne souviendrait-il plus à mes sens égarés
De l'obstacle éternel qui nous a séparés?
Mon père la réprouve; et, par des lois sévères,
Il défend de donner des neveux à ses frères.
D'une tige coupable il craint un rejeton.
Il veut avec leur sœur ensevelir leur nom;
Et que, jusqu'au tombeau soumise à sa tutelle,
Jamais les feux d'hymen ne s'allument pour elle.
Dois-je épouser ses droits contre un père irrité?
Donnerai-je l'exemple à la témérité?

Et dans un fol amour ma jeunesse embarquée...
THÉRAMÈNE.

Ah, seigneur! si votre heure est une fois marquée,
Le ciel de nos raisons ne sait point s'informer.
Thésée ouvre vos yeux en voulant les fermer;
Et sa haine, irritant une flamme rebelle,

Prête à son ennemie une grâce nouvelle.
Enfin, d'un chaste amour pourquoi vous effrayer?
S'il a quelque douceur, n'osez-vous l'essayer?
En croirez-vous toujours un farouche scrupule?
Craint-on de s'égarer sur les traces d'Hercule?
Quels courages Vénus n'a-t-elle pas domptés ?
Vous-même où seriez-vous, vous qui la combattez,
Si toujours Antiope, à ses lois opposée,
D'une publique ardeur n'eût brûlé pour Thésée ?

Mais que sert d'affecter un superbe discours,
Avouez-le, tout change; et depuis quelques jours
On vous voit moins souvent, orgueilleux et sauvage,
Tantôt faire voler un char sur le rivage',

Tantôt, savant dans l'art par Neptune inventé,
Rendre docile au frein un coursier indompté :
Les forêts de nos cris moins souvent retentissent :
Chargés d'un feu secret, vos yeux s'appesantissent.
Il n'en faut point douter, vous aimez, vous brûlez;
Vous périssez d'un mal que vous dissimulez.
La charmante Aricie a-t-elle su vous plaire?

HIPPOLYTE.

Théramène, je pars, et vais chercher mon père.

THÉRAMÈNE.

Ne verrez-vous point Phèdre avant que de partir,
Seigneur ?

HIPPOLYTE.

C'est mon dessein; tu peux l'en avertir. Voyons-la, puisqu'ainsi mon devoir me l'ordonne. Mais quel nouveau malheur trouble sa chère Enone?

SCÈNE II.

HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE, CENONE.

OENONE.

Hélas! seigneur, quel trouble au mien peut être égal? La reine touche presque à son terme fatal.

En vain à l'observer jour et nuit je m'attache,

Elle meurt dans mes bras d'un mal qu'elle me cache;
Un désordre éternel règne dans son esprit ;
Son chagrin inquiet l'arrache de son lit;
Elle veut voir le jour, et sa douleur profonde
M'ordonne toutefois d'écarter tout le monde...
Elle vient.

HIPPOLYTE.

Il suffit je la laisse en ces lieux, Et ne lui montre point un visage odieux.

RACINE.

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