Imágenes de página
PDF
ePub

soutenir maître Jean Chevrot, et aussi voyant que par nul moyen il ne pouvoit jouir paisiblement des biens et fruits d'icelui évêché, et avec ce, que ses terres de Hainaut étoient arrêtées et mises en la main du dessusdit duc, il se départit de ladite ville de Tournai, et s'en alla à privée mesgnie devers le roi, qui lui fit grande réception, et de là s'en retrahit en son archevêché de Narbonne; et par ainsi icelui maître Jean Chevrot demeura paisible en son évêché de Tournai, et fit prendre la possession par un chanoine de Cambrai, nommé maître Robert d'Auclair, qui, pour le dessusdit, fut assez courtoisement reçu et obéi comme son pro

cureur.

CHAPITRE CXL.

Comment les François firent plusieurs conquêtes sur les marches de Bourgogne.

EN ce temps vinrent devers le duc de Bourgogne certains ambassadeurs, envoyés par les trois états de la duché et comté de Bourgogne, lesquels lui dirent et exposèrent les grands desrois et exercions (exactions) que les gens du roi Charles faisoient par feu et par épée par épée en sesdits pays. Et par espécial ceux de son beau-frère le duc de Bourbon, disant que déjà avoient pris par force plusieurs bonnes

villes et forteresses, et chacun jour s'efforçoient de conquerre plus avant; pourquoi le pays étoit en danger d'être détruit, si briève provision n'y étoit mise, lui requérant très humblement que de sa grâce il y voulsît remédier de sa puissance magnifique, et y aller personnellement atout ses gens d'armes. Lequel duc, cette requête ouïe, fit assembler son conseil, et avecque icelui conclut que bref ensuivant il feroit assembler tous les gens de guerre de ses pays de Brabant, de Flandre, d'Artois, de Hainaut, et autres marches à lui obéissants.

Et lors furent mis clercs en œuvre à écrire lettres adressants à tous les capitaines, et aussi aux chevaliers et écuyers, et autres gens de guerre, qui avoient accoutumé d'eux armer, contenant que sans délai se missent sus pour être prêts et appareillés à l'entrée du mois de mai, atout ce que chacun pourroit finer de gens d'armes, tant hommes d'armes comme archers, à aller en sa compagnie, là où il les vouloit conduire et mener ; lesquels capitaines, ouï le mandement de leur prince et seigneur, firent leur assemblée, et se préparèrent diligemment. Et en y eut grand' partie, lesquels mirent leurs gens sur les champs, dont le pays de Picardie, d'Artois, Ponthieu, Tournésis, Ostrevant, Cambrésis, Vermandois, et les marches à l'environ, furent grandement travaillées, pour tant que le dessusdit duc de Bourgogne n'eut pas si en hâte et vitement apprêté ses besognes pour partir

et faire son voyage; et demeurèrent iceux gens d'armes par l'espace d'un mois et plus, en mangeant toujours le pays dessusdit.

En la fin duquel mois, ledit duc de Bourgogne, qui de plusieurs parties de ses pays avoit fait grandes apprêtes et préparations de charriots, artilleries, et de toutes autres manières d'habillement de guerre, se partit de la ville d'Arras, le vingtième jour de juin, avecque lui plusieurs capitaines, et y fut sa femme la duchesse, qui avoit avecque elle tant de dames et demoiselles que autres femmes servants, tant qu'elles étoient bien jusques au nombre de quarante ou au-dessus, et vint au gîte jusques à Cambrai. En laquelle cité se retrahit vers lui messire Jean de Luxembourg, qui lui requit d'aller en son châtel de Bohain, lequel lui accorda. Et après le lendemain, incontinent qu'ils eurent ouïe messe dedans l'église Notre-Dame de Cambrai, lui et sa femme la duchesse, et qu'ils eurent pris leur réfection, ils s'en allèrent audit château de Bohain, où ils furent moult joyeusement et honorablement reçus du dessusdit messire Jean de Luxembourg, comte de Ligny, et de la comtesse sa femme. Si furent eux et leurs gens servis très abondamment de plusieurs vivres à eux nécessaires et convenables selon le temps; et demeurèrent en cetui lieu par deux jours, en prenant leurs ébattements en chasses et autres déduits.

Et entre temps, les capitaines et chevaliers, atout leurs gens d'armes, se retrahirent vers le pays de

Rethelois. En après, le duc de Bourgogne et la duchesse sa femme, partant dudit lieu de Bohain, s'en allèrent à Provins, et de là, parmi la Champagne, passèrent assez tôt près de la ville de Reims. Si avoit en la compagnie jusques à six mille combattants, tant hommes d'armes comme d'archers; desquels étoient les principaux conducteurs le seigneur de Croy, messire Jean de Croy son frère, messire Jean d'Hornes, sénéchal de Brabant; le seigneur de Créquy son frère, messire Jean, bâtard de Saint-Pol, et Louis son frère; le seigneur de Humières, messire Baudo de Noyelle, le seigneur de Crèvecœur, Robert de Neufville, Lancelot de Dours, Harpin de Richammes, et plusieurs autres moult nobles hommes, tant chevaliers. comme écuyers; et alors ledit duc de Bourgogne chevaucha parmi le pays de Champagne; lequel avoit avant-garde, bataille et arrière-garde. Laquelle avant-garde conduisoit messire Jean de Croy, au-dessous de son frère, et avecque lui étoit le dessusdit Harpin de Richammes. Si étoit chacun jour mis le charroi entre l'avant-garde et la bataille. Et la duchesse, qui lors étoit bien enceinte d'enfant, alloit avecque ses femmes près de ladite bataille où étoit le duc; et cheminèrent tenant telle ordonnance jusques devant Troyes, qui tenoit le parti du roi Charles. Devant laquelle ville passa ledit duc, et de là prit son chemin vers Cappes, tirant vers Bourgogne, atout grand nombre de combattants.

Et adonc vinrent devers lui les seigneurs de Bourgogne, atout grand nombre de combattants, auxquels il fit joyeuse réception; et bref ensuivant prit conclusion avecque ceux de son conseil de ce qu'ils avoient à faire. Si fut ordonné que la duchesse et sa compagnie s'en iroient à Châtillonsur-Seine séjourner, et ledit duc mena ses gens devant Mussi-l'Evêque, que tenoient les François ses adversaires, et mit le siége tout à l'environ. Si furent des assiégeants faites grandes préparations pour gréver leurs adversaires et ennemis, c'est à savoir, firent asseoir devant les portes et murailles plusieurs engins, pour iceux confondre et abattre. Et d'autre part, les assiégés firent très grand' diligence d'eux défendre; néanmoins, eux voyant la puissance dudit duc de Bourgogne être si grande, et aussi qu'ils n'avoient mie espérance d'avoir aucun secours, firent traité avecque lesdits commis d'icelui duc dedans les huit jours, et après le siège mis, par tel si, qu'ils s'en iroient sauf leurs vies, corps et biens, en rendant ladite forteresse; lequel traité conclu, se départirent sous bon sauf-conduit, et s'en allèrent à Saint-Florentin. Et après qu'icelui duc eut de par lui commis capitaine en icelle ville, il s'en alla à Châtillon, où étoit ladite duchesse sa femme; et ses gens d'armes se départirent sous bon sauf-conduit, et s'en allèrent vers la comté de Ton

nerre.

« AnteriorContinuar »