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guerre; car ils ne les adommagèrent, sinon assez petit. Et après que les Anglois eurent été audit lieu de la Broye, quatre ou cinq jours, ils l'embrasèrent en feu et en flammes, et s'en allèreut loger à Auxy, où ils furent par l'espace de trois jours; et coururent par petites compagnies en plusieurs et divers lieux, pour fourrager le pays; et ne furent de leurs ennemis aucunement empêchés, dont il soit besoin faire mention.

Et quant est au gouvernement dudit duc de Bourgogne, il se tenoit toujours à Abbeville; et s'étoient départis de lui grand' partie de ses gens par son congé, pour aller garder les bonnes villes et forteresses du pays. Si envoya un certain jour le seigneur de Croy, et Jean de Brimeu, bailli d'Amiens, pour visiter la bastille dessusdite, et savoir si ceux de dedans étoient encore en ferme propos d'eux là tenir. Lesquels, venus illec, apercurent assez bien à leur façon, qu'il en y avoit une grand' partie qui bien eussent voulu être dehors à leur honneur. Si avoit été conclu, tant du dessusdit duc comme de ceux de son conseil, que, pour pis eschever(éviter), on rechargeroit toutes les artilleries, et puis se retrahiroient les gens d'armes à Rue, après ce qu'ils auroient bouté le feu dedans icelle bastille. Mais ils n'attendirent point à eux retraire si honorablement qu'il avoit été ordonné; car, sans ce qu'ils fussent avertis de cause raisonnable, ni aussi pareillement qu'ils vissent venir leurs ennemis sur eux, grand' partie d'iceux, s'émurent

soudainement par manière de commotion, et saillirent à qui mieux hors d'icelle bastille en grand déroi, sans tenir aucune ordonnance, délaissant dedans icelle toute leur artillerie et grand' partie de leurs harnois et plusieurs autres bagues. Si commencèrent à cheminer ensemble pour aller devers Rue, en la manière comme dit est dessus : mais aucuns des principaux chefs d'iceux se mirent en peine de les retenir et ramener en icelle, ce que faire ne purent; et aussi le feu avoit été bouté ès logis secrètement, par quoi ladite bastille fut assez tôt éprise.

Si saillirent avant aucuns Anglois de la forteresse, qui crièrent et huèrent fort après eux, comme on fait après merdaille. Et bref ensuivant, les capitaines, qui étoient, comme on peut supposer, la plus grand' partie des plus vaillantes gens et plus experts hommes de guerre de la compagnie. du duc de Bourgogne, se départirent ainsi honteusement comme vous avez ouï, et retournèrent à Rue, et de là en plusieurs autres lieux de leurdite obéissance. Desquels étoient les principaux messire Jean de Croy, bailli de Hainaut, messire Florimont de Brimeu, messire Jacques de Brimeu, et messire Baudo de Noyelle, tous quatre portant la Toison et l'ordre du duc de Bourgogne. Et, avecque eux, étoient Waleran de Moreul, le seigneur d'Auxy, le Galois de Renti, chevaliers, le seigneur de Fremessen, Robert de Saveuse, messire Jacques de Craon, Jean d'Arly, et tous les CHRONIQUES DE MONSTRELET. – T. VI.

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nouveaux chevaliers dessusdits, avecque grand nombre de chevaliers et écuyers de Picardie, qui grandement furent blâmés pour celle départie. Si s'excusèrent les grands en donnant la charge aux petits archers, disant qu'ils ne les avoient pu retenir. Et, en ce propre jour, les Anglois, qui, comme dit est, étoient logés, surent le département des dessusdits, dont ils se réjouirent grandement. Si conclurent tous ensemble de repasser la rivière pour retourner vers leur pays, et ès lieux et places dont ils étoient venus; et, à leur département, boutèrent les feux en la ville d'Auxy, qui étoit un moult bel et grand village, et reprirent leur chemin devers le Crotoy, et allèrent loger au Nouvion; et, le lendemain, repassèrent la rivière de Somme, par le lieu où ils étoient venus, et s'en allèrent loger à l'abbaye de Saint- Valery, comme ils avoient fait devant; et de là se retrahirent à Rouen et ès autres lieux de leur obéissance, et emmenèrent plusieurs hommes prisonniers, chevaux et autres bêtes qu'ils avoient pris et rapinés au pays. Et, avec ce, avoient fait grands dommages des feux qu'ils avoient boutés en sept ou en huit villes; et si n'avoient eu nul empêchement de leurs adversaires, sinon de trente ou quarante fourragiers qu'ils avoient pendus. Et, après toutes ces besognes, se retrahit ledit duc de Bourgogne à Hesdin, et donna congé à tous ses gens d'armes, réservé ceux qui demeurèrent sur les frontières.

CHAPITRE CCXXII.

gens

Comment plusieurs capitaines François, atout grand nombre de de guerre, qu'on appela écorcheurs, vinrent au pays de Hainaut.

APRÈS Ce que le roi Charles eut, comme dit est ailleurs, séjourné par aucun temps dedans la cité de Paris, il s'en départit, et retourna à Tours en Touraine; et lors, après sondit département, plusieurs de ses capitaines se départirent des frontières de Normandie, pour tant qu'ils n'avoient vivres, fors à grand peine, pour eux y entretenir; c'est à savoir Antoine de Chabannes, Blanchefort, Gautier de Bron, Floquet, Pierre, Régnault, Chapelle, Mathelin d'Escouvet, et aucuns autres. Si se mirent à chemin tous ensemble, et étoient environ deux mille chevaux. Et, parmi le pays de Vimeu, s'en allèrent passer la rivière de Somme, à la BlancheTache, et se lògèrent au pays de Ponthieu ; et de ce lieu là s'en allèrent devers Dourlens ; et logèrent à Orville, et ès villages d'entour, appartenant au comte de Saint- Pol, et puis après se tirèrent vers Bray, et repassèrent l'eau à Cappy, et s'en allèrent loger à Lihons en Santois. Et toujours faisoient de très grands maux par tout le pays où ils passoient, et ne se tenoient point contents de prendre vivres, mais rançonnoient tous ceux

qu'ils pouvoient atteindre, tant de paysans comme de bétail, et autres biens ; et mêmement assaillirent le châtel dudit lieu de Lihons; mais il leur fut bien défendu par Waleran de Moreul et ses gens, qui étoient dedans. Et, après ce qu'ils eurent là été par plusieurs journées, et y fait de très grands et somptueux dommages, se tirèrent au pays de Cambrésis, auprès des terres de messire Jean de Luxembourg, comte de Ligny, qui encore n'avoit point fait serment au roi Charles. Néanmoins ils ne lui méfirent rien sur ses terres, pource qu'il étoit toujours bien pourvu de gens de guerre ; mais lui baillèrent leurs scellés, et lui à eux, de rien entreprendre l'un sur l'autre. Si firent iceux François plusieurs maux audit pays de Cambrésis, et après s'en allèrent loger à Solames, vers le pays de Hainaut.

Et adonc messire Jean de Croy, bailli de Hainaut, assembla les nobles du pays de Hainaut, et manda aussi aucunes des bonnes villes, pour défendre ledit pays contre les dessusdits, lesquels on nommoit, en commun langage, les écorcheurs. Et la cause pourquoi ils avoient ce nom, si étoit pour tant que toutes gens qui étoient rencontrés d'eux, tant de leur parti comme d'autre, étoient dévêtus de leurs habillements, tout au net jusques à la chemise. Et pour ce, quand iceux retournoient ainsi nus et dévêtus en leurs lieux, on leur disoit qu'ils avoient été entre les mains des écorcheurs, en les gabant de leur mal venture. Si

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