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forteresse, et tant en ce continuèrent, et par plusieurs jours, qu'elle fut du tout rasée et démolie de fond en comble. Et aucuns brefs jours ensuivants, le dessusdit bailli de Vermandois et son frère, atout leurs gens, se départirent de ladite ville de Chauny. Auquel lieu desquels leur fut envoyé pour eux gouverner, de par messire Jean de Luxembourg, messire Hector de Flavi, et depuis Walleran de Moreul, lesquels, pour l'entreprise dessusdite, les trouvèrent plus rigoureux et désobéissants qu'ils n'avoient accoutumé devant la désolation dudit châtel.

CHAPITRE CXVII.

Comment la cité de Chartres fut prise par les gens du roi Charles.

Le vingtième jour d'avril de cet an, fut prise la noble cité de Chartres, par la force des gens du roi Charles. Laquelle cité avoit tenu le parti des ducs Jean et Philippe de Bourgogne, depuis l'an mil quatre cents et dix-sept, qu'elle avoit fait obéissance au dessusdit duc Jean, et pareillement avoit tenu la querelle des Anglois. Si furent cause d'icelle prise, deux habitants d'icelle ville, dont l'un étoit nommé Jean Conseil, et l'autre le Petit Guillemin, lesquels autrefois avoient été prisonniers aux François, lesquels les avoient eus en gouvernement par longue espace, et par sauf-conduit,

avoient été à Blois et Orléans, et autres lieux de l'obéissance d'iceux François, mener plusieurs marchandises et ramener autres audit lieu de Chartres. Si les avoient lesdits François tellement instruits, qu'ils s'étoient tournés à leur volonté, et avoient avec eux dedans ladite ville de Chartres, de leur accord et alliance, un jacobin, docteur en théologie, nommé frère Jean Sarrazin, lequel étoit principal conducteur de toute la machination dessusdite, et avoient les autres du tout leur retour à lui. Et quand ce vint au jour qu'ils avoient conclu de achever leur emprise, les François s'étoient assemblés de plusieurs parties, jusques au nombre de quatre mille combattants, desquels étoient les principaux, le bâtard d'Orléans, le seigneur de Gancourt, Blanchet d'Estouteville, messire Florent de Lers, La Hire, Girard de Felins, et aucuns autres chefs de moyen état. Si se mirent en chemin pour venir devers la ville de Chartres, et se embuschèrent la plus grand' partie en un quart de lieue près. Et aucuns autres, jusques à quarante ou cinquante furent mis plus près; et les deux dessusdits nommés, qui conduisoient la besogne, amenoient chars et charrettes de vins, et autres choses, et avec ce y avoit une quantité d'alozes. Si étoient pour conduire les chars, charrettes et autres, en guise de charretons, aucuns experts saquements, armés à la couverte, lesquels assez tôt après que la porte vers Blois fut ouverte, vinrent atout leur charroi pour entrer dedans; et alloient devant,Jean Conseil et le Petit

Guillemin dessusdits. Auxquels les portiers, qui bien les connoissoient, demandèrent des nouvelles, et ils répondirent qu'ils ne savoient que bien, et alors les portiers leur dirent qu'ils fussent les bien

venus.

Et adonc, pour le mieux abuser, l'un des deux dessusdits prit une paire desdites alozes, et les bailla à iceux portiers, en leur disant : « Voilà » pour votre dîner, prenez en gré : nous vous faisons souvent des peines beaucoup de attarger » à la porte pour nous attendre, et autres pour » ouvrir les barrières. »

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Entre lesquelles paroles et abusements que iceux faisoient, les dessusdits charretons toutefois s'assemblèrent à coup, et commencèrent à férir sur lesdits portiers; si en occirent une partie, et gagnèrent prestement la porte et l'entrée d'icelle. Auquel lieu vinrent soudainement, à certain signe que les dessusdits leur firent, la première embûche, et derechef la seconde; si se mirent à entrer en icelle ville par bonne et ordonnée ordonnance, tous à pied, armés de pleines armes, leurs bannières et étendards déployés avec eux. Et adonc, par aucuns des dessusdits portiers, qui étoient échappés et entrés en la ville, et aussi par aucuns autres habitants qui aperçurent cette besogne, fut tantôt en plusieurs et divers lieux crié à l'arme. Auquel cri prestement toute la bourgeoisie et communauté s'émut; mais, qui pis étoit pour eux, le jacobin dessusdit à aucuns prêchements qu'il avoit

faits par avant en lieu public, les avoit très amiablement instruits et admonestés, qu'il leur plût à être ce propre jour au matin à un sien prêchement, qu'il devoit faire moult solennel et authentique, et qui moult profiteroit, comme il disoit, pour le sauvement de leurs ames, s'ils le vouloient ouïr et retenir. Mais le dessusdit jacobin avoit, à certain propos, élu lieu pour assembler ledit commun à son prêchement, tout à l'autre bout de ladite cité, le plus loin qu'il avoit pu de la devant dite porte par où elle fut prise. Et à celle même heure que le douloureux cri fut ouï parmi la ville, étoient à l'environ d'icelui jacobin la plus grande partie de la communauté et bourgeoisie dessusdite, lesquels, sans délai, tous effrayés, se prirent à fuir vers leurs habitations. Si en y eut très grand nombre qui se armèrent et embâtonnèrent, et se trahirent devers leur évêque et leurs gouverneurs de ladite ville, qui les menèrent au plus tôt qu'ils purent devers où ils savoient lesdits François, tendant iceux rebouter hors de ladite ville; mais à bref comprendre, ils ne purent ce faire, pource que lesdits François étoient en très grand nombre, bien armés, et usités en fait de guerre; et déjà étoient bien avant en ladite ville quand ceux de dedans vinrent à eux et derechef, pour les mieux abuser, commencèrent iceux François à crier à haute voix : la paix! la paix! et marchèrent par bonne ordonnance et en tirant vers eux; et y eut trait tant d'un côté comme d'autre ; mais ce dura assez

petit: car avecque toutes ces males aventures, un nommé Guillaume de Villeneuve, qui étoit capitaine de la garnison, lequel les devoit conduire et mener, quand il aperçut la besogne être si avancée, il monta à cheval, et avec lui environ cent combattants de ses gens; si se partit sans délai par une autre porte, et avec lui grand' multitude de peuple; et par ainsi tout le surplus fut tantôt mis en déroi, sans ce qu'ils fissent quelque résistance. Pourquoi les François, ce voyant, s'avancèrent de plus en plus, et allèrent jusques au marché.

Et quand ils virent que nul n'arrêteroit devant eux pour eux gréver, une partie des chefs se tinrent ensemble, et envoyèrent une partie de leurs gens par les rues voir s'ils trouveroient qui leur contredisît; mais tout fuyoit devant eux, et se sauvoient où ils pouvoient le mieux.

Durant laquelle tribulation furent morts de ceux de la ville environ soixante ou quatre-vingts, desquels fut le principal, maître Jean de Festigny, natif de Bourgogne, leur évêque ; et si en furent pris prisonniers de cinq à six cents, dont maître Gilles de l'Aube-Epine, qui gouvernoit pour les Anglois, fut le principal. Et à bref comprendre, tant de gens d'église comme bourgeois, et autres habitants qui purent être pris et atteints, furent mis à finance, et avec ce, généralement tous les biens qu'ils purent trouver, à qui qu'ils fussent, puisqu'on en pouvoit faire argent, tout fut pris et ravi.

Quant est à parler de ravissements, violations et

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