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gouverneurs que puisqu'on ne lui vouloit laisser ses gens entrer avecque lui, qu'on le remît dehors, à quoi ils s'excusèrent aucunement. Et entre temps le duc fit mettre en ordonnance une partie de ses gens au vieil marché, durant lequel temps s'émut débat entre les parties; et commencèrent à tirer et à combattre l'un contre l'autre en plusieurs lieux. Et adonc fut conseillé icelui duc qu'il se retrahît vers icelle porte pour la reconquerre, afin qu'il pût avoir ses gens avecque lui, et retourner dehors, si besoin lui en étoit. Laquelle chose il fit; et envoya par une rue une partie de ses gens sur les fossés, pour envoyer ceux qui étoient devant ladite porte au travers, et lui en sa personne alla par la grand rue. Si écrièrent leurs ennemis, tous à une voix; et les envahirent en moult grand bruit; mais sans délai ces Brugelins si se départirent et laissèrent celle porte ; si furent aucunement poursuivis, et les aucuns mis à mort.

Et adoncque le seigneur de l'Ile-Adam, qui s'étoit mis à pied avecque aucuns archers, qui point ne faisoient bien leur devoir à son plaisir, se bouta si avant pour rebouter les dessusdits, pensant que les autres le suivissent de près qui rien n'en faisoient, sinon assez doutablement, qu'il fut incontinent envahi de plusieurs Brugelins; lequel, avant qu'il pût avoir aucun secours, fut mis à mort, et lui arrachèrent l'ordre de la toison qu'il portoit. Pour la mort duquel ledit duc, et généralement tous ceux qui étoient avecque lui, avoient au cœur

très grand tristesse ; mais ils n'en purent avoir autre chose. Et n'y avoit celui, qui ne fût en très grand doute de sa vie, pource qu'ils sentoient icelles communes être en très grands multitude tous en armes, prêts pour les envahir de toutes parts; et n'étoient qu'un petit de gens au regard d'iceux. Néanmoins ledit duc, de sa personne, fut toujours assez reconforté, et avoit grand regret qu'il ne pouvoit avoir ses gens qui étoient dehors, pour combattre lesdits Brugelins, lesquels il véoit ainsi émus. Et d'autre part, ses gens de dedans étoient en grand doute, et ceux qui étoient dehors avoient très grand' déplaisance; car ils savoient par leurs gens qui étoient sur ladite porte, le meschef et tribulation où étoient leur prince et leurs compagnons. Et avecque ce virent jusques à huit ou dix d'iceux leurs compagnons, lesquels furent achassés sur les fossés par les Brugelins, qui pour eux cuider sauver saillirent ès fossés et furent noyés.

Si dura cette mortelle tempête moult cruelle, dedans icelle ville de Bruges, par l'espace d'heure et demie ou environ. Et après, pource que ledit duc fut averti qu'ils s'apprêtoient tous aval la ville à grand' puissance, pour là venir à eux combattre atout grand nombre de ribaudequins, artilleries et autres habillements de guerre, à quoi nullement n'eût su résister, lui fut conseillé derechef qu'il se mît en tous périls et en peine de reconquerre la porte devant dite, où ses ennemis étoient assemblés. Et lors vint vers eux pour les combattre,

atout ce que pour lors pouvoit avoir de gens, mais ils se départirent hâtivement comme ils avoient fait. Si furent pris les marteaux qui étoient dedans la maison d'un maréchal, assez près de ladite porte; si leur bailla icelui maréchal, et en furent tantôt rompus les verroux d'icelle porte et les serrures. Et quand elle fut ouverte avecque les barrières, lors issirent ses gens de grand' volonté; mais ledit duc, qui étoit monté sur un moult bon coursier durant toutes ces tribulations dessusdites, et avoit moult fort été approché de ses ennemis, demeura sur le derrière en guise de bon pasteur, et se mit à chemin pour retourner en la ville de Roulers, dont il s'étoit parti ce propre jour, très ennuyeux de cœur de ce qu'il véoit les besognes ainsi tourner sur lui, et par espécial de la mort du seigneur de l'Ile-Adam dessus nommé, et de ses autres gens. Si étoient, la plus grand' partie de ses autres gens d'armes là étants si effrayés, qu'à grand' peine leur pouvoit-on faire tenir ordonnance au retour dessusdit. Et n'étoient point entrés en icelle ville avec ledit duc, messire Roland de Hutekerque, ni messire Colard de Communes. Si furent morts en icelle journée des gens du duc, jusques à cent ou plus, qui tous furent enterrés en une fosse au cimetière de l'hôpital, réservé le seigneur de l'Ile-Adam, qui fut enterré à part lui; et depuis, à grand' solennité, fut remis en l'église de Saint-Donast de Bruges. Et si en demeura deux cents prisonniers des gens dudit prince, desquels, le vendredi ensuivant, en

y eut trente-deux décapités; et le surplus eurent feurs vies sauves par les prières de bonnes gens d'église et des marchands d'étrange pays, qui e firent très humble requête.

Et au bout de huit jours ensuivant, délivrèrent atout leurs bagues tous les familiers dudit duc de Bourgogne; mais ils firent écarteler le dessusdit maréchal, dont dessus est faite mention, qui avoit livré les marteaux pour ouvrir la porte; et se nommoit Jacob Vau Ardoyen. Et quant aux Brugelins combattants au prince, n'en y eut de morts que douze ou environ. Et entre lesdits Picards qui furent morts, y eut peu de gens de renom, sinon le devantdit seigneur de l'Ile-Adam, et un huissier de salle du duc de Bourgogne, nommé Herman. Et quant est au gouvernement d'iceux Brugelins, ils étoient nuit et jour en armes en très grand nombre, tant sur les marches qu'ailleurs. Et bref après ensuivant, allèrent abattre la maison d'un bourgeois, nommé Gérard Reubs. Et quant au regard du duc de Bourgogne, il s'en alla à Roulers, et delà en la ville de Lille, où il tint plusieurs conseils, pour savoir par quelle manière il pourroit mettre en obéissance iceux Brugelins. Et fut avisé, pour les mieux contraindre, qu'on feroit crier par toutes les villes et pays entour d'eux, que nuls ne leur portassent vivres sur quant que on doit être ennemi du prince. Et ainsi en fut fait, dont ils furent fort émerveillés, et en grand doute; mais pour tant ne laissèrent-ils point de continuer en ce qu'ils avoient commencé.

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CHAPITRE CCXIV.

Comment Le Bourg de La Hire courut et fit moult de maux ès marches de Péronne, Roye et Mont-Didier.

EN ce même temps, le Bourg (bâtard) de La Hire, qui se tenoit au châtel de Clermont en Beauvoisis, atout environ de soixante à quatre-vingts combattants, dont il travailloit malement le pays environ, et par espécial, les châtellenies de Péronne, Roye et Mont-Didier, appartenants au duc de Bourgogne, et y couroit très souvent, et en ramenoit à leurs garnisons de grands proies, tant prisonniers, bétail, comme autres biens, nonobstant la paix d'Arras faite entre le roi de France, et le duc de Bourgogne, comme dit est dessus, entre les autres vint un certain jour courre devant la ville de Roye. Si prit et leva le bétail, et aucuns biens qu'il put atteindre, atout lesquels s'en retourna pour s'en aller devers le dessusdit lieu de Clermont. Si avoit avec lui gens de plusieurs garnisons, tant de Mortemer, appartenants à Guillaume de Flavy, comme d'autres forteresses. De laquelle ville de Roye étoit capitaine, de par ledit duc, un très vaillant homme d'armes et noble homme, nommé Aubert de Folleville, lequel, sachant l'entreprise dessusdite, assembla incontinent tout ce qu'il put avoir de gens

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