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jetant la sienne; si le férit et blessa vers le côté ; duquel coup il fut navré, et percé au bras, tant que la lance se tint dedans son bracelet. Mais ledit seigneur de Chargny la secoua tantôt sur le sablon. Et lors les deux champions approchèrent de grand courage l'un de l'autre. Si commencèrent à batailler et à combattre de leurs lances gentement. Si avoit icelui seigneur de Chargny grand' déplaisance de ce que son ennemi et adversaire ne fermoit point sa visière. Durant lequel temps, le duc de Bourgogne ordonna qu'on les fit cesser, et commanda à ceux qui gardoient le champ qu'ils les prissent. Laquelle chose ils firent, et furent amenés devant ledit duc de Bourgogne. Si étoient tous deux moult troublés, au semblant qu'ils montroient, de ce qu'on leur avoit si tôt pris. Et, par espécial, l'Espagnol, venant devant ledit duc, répéta par deux fois qu'il n'étoit pas content pour si peu de chose faire, attendu qu'à grand dépens et à grand travail de son corps, il est venu de moult lointain pays par mer et par terre, pour acquérir honneur et révérence. A quoi lui fut répondu que bien et moult honorablement avoit fait son devoir, et accompli ses armes.

Après lesquelles paroles, furent ramenés et conduits à leurs logis et hôtels, et issirent des lices, chacun par son côté, aussitôt l'un comme l'autre. Toutefois ledit chevalier d'Espagne fut là noté de plusieurs nobles là étant, d'avoir entrepris une grand' hardiesse et habileté de combattre par

cette manière, la visière levée, pource que pareil cas n'avoit point éte vu. Et, après cette besogne, le dimanche, et autres jours ensuivants, icelui duc de Bourgogne fit grand honneur et révérence en son hôtel au dessusdit chevalier d'Espagne, et lui donna de grands dons pour payer pleinement ses dépens ; et, brefs jours ensuivants, prit congé dudit duc et des siens, et se partit d'Arras pour s'en retourner en son pays.

CHAPITRE CLXXXII.

Comment les François et Bourguignons, étant en la ville d'Arras, étoient cordialement ensemble l'un avecque l'autre.

Le lundi, qui fut le jour Notre-Dame de la miaoût, les ducs de Bourgogne, de Bourbon et de Gueldres; les comtes d'Etampes, de Richemont et de Vendôme, de Saint-Pol et de Ligny, de Meurs et de Nassau, avecque la plus grand' partie des chevaliers et écuyers des deux parties, allèrent tous à cheval, en grand' concorde, à l'hôtel d'icelui duc de Bourgogne, ouïr la messe à Notre-Dame, en la cité, vêtus et aornés de moult riches vêtements, dont le pauvre peuple, là étant en grand' multitude, avoit grand' liesse, espérant bref avoir consolation de paix, que tant et si longuement avoit attendu. Après laquelle messe, re

CHRONIQUES DE MONSTRELET. -T. VI.

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tournèrent en l'hôtel dudit duc de Bourgogne, et là dînèrent la plus grand' partie. Si furent moult richement servis de plusieurs et divers mêts. Pour lesquels convis et assemblées ainsi faites par icelles parties, les ambassadeurs d'Angleterre n'étoient point bien contents, pource que déjà le duc de Bourgogne et ceux de son parti avoient grand' communication avecque iceux François, leurs adversaires et ennemis, et avoient suspection et doute, qu'entre icelles parties de France et de Bourgogne ne se machinât aucun traité qui fût aucument à leur préjudice.

CHAPITRE CLXXXIII.

Comment le cardinal de Vincestre vint à Arras pour être à la convention, qui là étoit assemblée.

Le dix-neuvième jour d'août ensuivant, vint le cardinal de Vincestre en la ville d'Arras, pour être au parlement là étant, et étoient en sa compagnie le comte de Huntingdon, et autres notables chevaliers et écuyers d'Angleteterre, jusques au nombre de trois cents chevaucheurs. A l'encontre duquel allèrent les ducs de Bourgogne et de Gueldres, les comtes de Saint-Pol, de Ligny, de Meurs, et la plus grand' partie des nobles avecque ledit duc de Bourgogne. Si fut fait par le cardinal

et duc dessusdits, grand honneur et reception l'un à l'autre, et pareillement des autres seigneurs. Si retournèrent tous ensemble avec icelui cardinal, jusques auprès de la porte d'Arras, où ils prirent congé l'un à l'autre. Si s'en alla le dessusdit cardinal loger en l'hôtel de l'évêque et ses gens. Si venoient, chacun jour ambassadeurs envoyés de diverses nations. Et avoient ordonné le lieu où la convention se devoit tenir entre les parties, en l'abbaye de Saint-Vaast d'Arras, où il y avoit en ladite abbaye, salles, chambres, et de notables édifices moult propices pour toutes les parties. Si assemblèrent au lieu dessusdit les trois parties en la présence des deux cardinaux, premiers venus, lesquels, et par espécial le cardinal de Sainte-Croix, remontrèrent moult authentiquement à icelles trois parties, les grands maux et inconvénients qui étoient advenus par toute chrétienté, à l'occasion des guerres qu'ils avoient si longuement maintenues, eux admonestant moult doucement et sagement, que pour l'amour de Dieu principalement, ils voulsissent entendre au bien de paix, en tant qu'ils étoient ensemble, et qu'un chacun d'eux fit requêtes si courtoises et si raisonnables, qu'ils se pussent accorder les uns avecque les autres. Après lesquelles remontrances, s'assemblèrent au lieu de ladite convention par plusieurs journées, et furent, par lesdites parties, mis avant plusieurs traités, lesquels étoient moult contraires, et difficiles les uns aux autres. Entre lesquels requirent

ceux de la partie du roi Charles, que le roi Henri d'Angleterre se voulsit déporter et désister de lui nommer roi de France, moyennant que, par certaines conditions, lui seroient accordées les seigneuries de Guienne et Normandie ; laquelle chose les Anglois ne voulurent point accorder.

CHAPITRE CLXXXIV.

Comment, durant le temps du parlement d'Arras, La Hire et Pothon vinrent courir et fourrager le pays du duc de Bourgogne

LE vingt-cinquième jour du mois d'août, le parlement étant à Arras, comme dit est, La Hire et Pothon de Sainte-Treille, atout six cents combattants, dont il y avoit bien six vingt lances ou environ, qu'iceux avoit assemblées des frontières vers Beauvais, chevauchèrent toute la nuit jusques à la rivière de Somme, laquelle ils passèrent à Cappy, et de là se retirèrent et s'en allèrent vers Dourlens et Beauquêne, pour fourrager le pays. Si se partirent et s'en allèrent en plusieurs lieux, et assemblèrent grand nombre de paysans, chevaux vaches, brebis, et plusieurs autres besognes, atout lesquelles se commencèrent à retraire vers le passage de l'eau, par où ils étoient venus, Durant lequel temps, les nouvelles furent portées à Arras devers le duc de Bourgogne, par le seigneur de

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