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gue espace, et y eut moult grand' foison de mommeurs de la partie du duc de Bourgogne.

Et ce fait, après qu'on eut pris vin et épices, chacun se retrahit à son hôtel, jusqu'au lendemain, qu'on tint conseil, où il fut ordonné et institué qu'on manderoit Artus de Bretagne, connétable de France, et l'archevêque de Reims. Et assez brefs jours ensuivants, vint le duc de Bourbon, accompagné de messire Christophe de Harcourt, du seigneur de la Fayette, maréchal de France et de plusieurs autres notables, et vaillants chevaliers et écuyers. Au-devant et à l'encontre duquel, le dessusdit due de Bourgogne envoya aux champs les seigneurs de son hôtel, et quand il approcha, ledit duc de Bourgogne alla, moult hâtivement, à l'encontre de lui, au dehors de la ville; et là s'entre rencontrèrent les deux ducs, et firent, l'un à l'autre, très grand honneur et révérence, en montrant semblant d'avoir, l'un envers l'autre, très fraternelle et très grand' amour ensemble. Et lors, un chevalier de Bourgogne, qui étoit là, dit haut et clair: «<< Entre nous autres, » sommes bien mal conseillés de nous aventurer, >> et mettre en péril et danger de corps et d'âme, » pour les singulières volontés des princes et grands seigneurs, lesquels, quand il leur plaît, se re>> consillent l'un avecque l'autre, et souvente>> fois advient, que nous en demeurons pauvres et >> détruits. »

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Si fut cette parole bien notée et entendue de plusieurs là étant, de toutes les deux parties, et bien

У avoit raison; car très souvent en advient ainsi. Néanmoins après cette reconnoissance ledit duc de Bourgogne convoya son beau-frère jusques à son hôtel, et de là se trahit au sien. Et après, ledit duc de Bourbon, lui et sa femme vinrent voir le duc de Bourgogne en son hôtel, et là derechef furent faites plusieurs grandes joyeusetés les uns avecque les autres. Et le lendemain les deux ducs et la duchesse tous trois ouïrent messe en un oratoire, et après dîner se tint un grand conseil en l'hôtel du comte de Nevers, auquel la paix fut du tout conclue entre iceux deux seigneurs, c'est à savoir le duc de Bourgogne et le duc de Bourbon; lequel traité fut si bien conclu, qu'à tous les deux fut très agréable, et pour tant incontinent de mieux en mieux fut par eux, et toutes leurs gens généralement, faite plus grand' joie et semblant de grand amour les uns avec les autres que par avant n'avoit été fait, et en faisant toutes ces fêtes et ébattements, la plus grand' partie furent aux dépens du duc de Bourgogne, car bien le vouloit ainsi être fait.

Et outre, durant les besognes dessusdites, vinrent audit lieu de Nevers le comte de Richemont, connétable de France, qui aussi avoit épousé la sœur au duc de Bourgogne; et avecque lui vint Regnault de Chartres, archevêque et duc de Reims, grand chancelier de France, accompagné de plusieurs notables gens de conseil, et de plusieurs chevaliers et écuyers, au-devant desquels allèrent les deux ducs, et grand' compagnie de leurs gens. Et quand

ils s'entre assemblèrent, ils firent l'un à l'autre très grand' révérence et honneur, et tous ensemble allèrent moult cordialement jusques en la ville, où ils furent logés chacun à son état, au mieux que faire se put. Et briefs jours ensuivants, furent tenus plusieurs étroits conseils sur la paix, et réconciliation d'entre le roi de France et le duc de Bourgogne; et mêmement, par ses ambassadeurs dessusdits, furent faites plusieurs offres au duc de Bourgogne pour l'intérêt de la mort Jean son père ; lesquelles offres lui furent assez agréables, et tellement fut traité en ce même lieu de Nevers, qu'il fut content de prendre et accepter la journée de convention, qui depuis se tint à Arras, sur intention de paracomplir le surplus.

Et ces besognes ainsi achevées, les parties se départirent très amoureusement, et le fit-on savoir en plusieurs lieux et divers royaumes et contrées, et mêmement à notre Saint-Père le pape, et au concile de Bâle, afin qu'un chacun d'eux envoyât ses ambassadeurs pour le bien et entretennement de la besogne. Et depuis cette journée de Nevers, et que ledit duc de Bourgogne fut retourné à Dijon, se prépara de tous points de retourner en son pays d'Artois, afin de apprêter ses besognes pour être à la dessusdite convention d'Arras. Et ainsi, de ce jour en avant, les frontières des marches de Bourgogne commencèrent à être assez paisiblement l'un contre l'autre, plus que par avant n'avoient été.

En ce temps, le damoisel de Richemont, atout sept

ou huit cents Anglois et Picards, que messire Jean de Luxembourg lui avoit envoyés, alla au pays d'Ardenne, aroir et courre plusieurs villes du damoisel Everard de la Marche, et icelles du tout mettre à saquement; et après que audit pays eurent fait moult de dommages par feu et par épée, ils s'en retournèrent sans perte atout (avec) grands proies.

Item, en cet an, René, duc de Bar, fit assiéger la ville et forteresse de Commercy au pays de Barrois, sur intention de subjuguer icelle pour aucune obéissance que ledit duc disoit lui devoir être faite par ledit seigneur de Commercy; mais en la fin, par le moyen du connétable de France, qui pour lors étoit en la marche d'environ, fut l'accord fait entre les parties, par tel si que ledit de Commercy promit faire toute obéissance à icelui duc de Bar, et par ainsi fit départir ses gens dudit siége. Durant lequel temps, le dessusdit connétable mit en son obéissance, au pays de Champagne, plusieurs forteresses, tant par le siége et composition, comme par soudain assaut.

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Comment Amé, duc de Savoie, se rendit hermite en un manoir nommé Ripaille.

EN cet an, Amé, duc de Savoie, qui étoit âgé de cinquante-six ans ou environ, s'en alla rendre ermite en un sien manoir nommé Ripaille, séant à demi-lieue près de Thonon, où, par coutume, par avant son département, il tenoit son état. Lequel manoir de Ripaille ledit duc avoit fait édifier grandement, et y avoit une abbaye et prieuré de l'ordre Saint-Maurice, fondée de très long-temps par les prédécesseurs d'icelui duc. Si avoit bien dix ans par avant en volonté de là se rendre et devenir ermite

par la manière qu'il fit. Et pour y être accompagné avoit demandé à deux nobles hommes de ses plus. féables et principaux gouverneurs s'ils lui vouloient tenir compagnie, à y être avec lui quand à son plaisir seroit d'y entrer. Lesquels, ayant considération que cette volonté lui pourroit muer, lui accordèrent d'y entrer ; et étoit messire Claude de Sexte, et l'autre un vaillant écuyer nommé Henri de Coulombières. Et lors icelui duc, qui dejà avoit fait édifier, comme dit est, sa maison, et encommencer celles de ceux qui vouloient être en sa compagnie, se partit par nuit de son hôtel de

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