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DU GRIS.

Le mélange du blanc et du noir, ou le gris, fut dans le christianisme l'emblème de la mort terrestre et de l'immortalité spirituelle. En Europe le deuil est d'abord noir, puis gris, enfin blanc, triple symbole de l'immortalité s'élevant du sein de la mort.

Sur les peintures religieuses du moyenâge, le gris représente la résurrection des morts et particulièrement la résurrection de la chair; l'union des deux couleurs distinctives de la Divinité et de la matière, rendait assez bien ce dogme de l'ame retrouvant une nouvelle substance corporelle dans sa nouvelle patrie; ces observations me sont dictées par l'examen de quelques miniatures du quatorzième et du quinzième siècle, qui représentent le jugement dernier.

Une de ces peintures que je possède représente Jésus-Christ posant les pieds sur le soleil; il est assis sur un cercle d'or, hieroglyphe qui représentait en Égypte la course du soleil et une période accomplie; le cercle d'or est de même ici le signe de la fin du grand cycle ou de la fin du monde, et par suite du jugement dernier. Le Seigneur est environné du limbe rouge qui, en s'éloignant, devient jaune et bleu : ces trois couleurs de la Trinité annoncent la toute-puissance du Christ. Le manteau dont il est revêtu est gris doublé de vert; en général la couleur extérieure du manteau se rapporte à l'homme extérieur ou à la chair, comme sa couleur intérieure indique l'homme spirituel ou l'ame. Le vêtement de Dieu aurait donc ici la signification de résurrection de la chair promise aux régénérés.

Deux apôtres à genoux implorent la clémence divine, tandis qu'au son de la trompette angélique deux morts brisent leurs sépulcres. L'ange du jugement a les ailes vertes qui annoncent son message

de régénération et de nouvelle vie; sa robe rouge indique le royaume du ciel qui est l'amour divin.

Le tableau se divise en deux parties représentant les élus et les damnés; à la droite de Dieu, est saint Pierre, sa robė est bleue et son manteau rose; ces couleurs indiquent le baptême d'esprit (le bleu) et la vie d'amour et de sagesse (le rose); au-dessus de l'apôtre, un élu, orné d'une chevelure dorée, s'élève du tombeau.

Saint Jean-Baptiste est à la gauche du Christ, il porte une tunique noire enrichie d'or; sa barbe et ses cheveux sont verts: il implore la clémence divine pour les hommes qui n'ont reçu d'autre régénération que celle de l'aspersion baptismale marquée par la barbe et les cheveux verts, tandis que leur ame, indiquée par la tunique noire, est restée morte à la lumière divine figurée par les filets d'or; au-dessous du précurseur, s'élève un damné, ses cheveux noirs forment opposition avec la chevelure dorée de l'élu. Cette peinture rappelle le mythe d'Eros et d'Anteros (1).

(1) Voyez le chapitre de la couleur tannée, p, 265..

Deux vignettes du breviaire de Sarisbury, manuscrit de la Bibliothèque Royale du quinzième siècle, reproduisent le même sujet avec quelques variantes; dans une sphère pourpre et verte et rayonnante d'or est la Sainte Trinité; Dieu et JésusChrist sont couverts du manteau gris 'doublé de vert.

- Une des significations de la couleur blanche est l'innocence; par opposition le noir exprime la culpabilité; la réunion de ces deux couleurs ou le gris indique dans la langue profane des couleurs l'innocence calomniée, noircie, condamnée par l'opinion ou les lois.

Froissart raconte une anecdote singulière qui s'explique par la symbolique des couleurs; en 1386 le sieur de Carouges accuse Jacques de Gris d'avoir séduit sa femme; le duel est ordonné, Jacques de Gris est vaincu, il meurt et son innocence est reconnue (1). Le rouge, dans le sens matériel et populaire, indique la vengeance, le sang, comme le gris signifie

(1) Conf. Anselme, Palais de l'Honneur, p. 89.

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