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DU TANNÉ.

Le philosophe Phavorinus disait que les yeux conçoivent plus de différentes couleurs que les paroles n'en peuvent exprimer (1). Si chaque nuance représentait une idée et que nos yeux pussent en saisir les variétés, la langue des couleurs serait le moyen le plus étendu et le plus flexible de transmettre la pensée. Telle n'est pas la richesse de ces symboles: une vingtaine de combinaisons en forme toute l'étendue, et la plupart des langues n'assignèrent même pas un nom à chacune.

Aulu-Gelle (2) a consacré un chapitre à montrer la pauvreté du grec et du latin dans la désignation des nuances; ses observations portent principalement sur la

(1) Auli Gellii Noctes Atticæ, lib. II, cap. XXVI. (2) Ibid.

couleur rousse (rufus color) qui chez les Romains désignait la nuance du rouge et du noir, comme du rouge et du jaune et les autres dégradations de la couleur rouge. Les traducteurs grecs ou latins ont encore jeté la confusion dans la désignation de ces teintes. Il n'est pas toujours facile de reconnaître une nuance désignée dans les monumens écrits; la même difficulté existe pour les peintures de l'antiquité ou du moyen-âge, qui nécessairement ont été altérées par le temps; la couleur des émaux et des vitraux change par l'action du feu, le plus ou moins de cuisson dénaturait les teintes, de même que la qualité des substances minérales qu'on employait. Ainsi le brun paraît quelquefois composé de noir et de rouge ou de noir et de jaune; mais la présence de la couleur infernale indique nécessairement la pensée de l'artiste; les couleurs primitives se distinguent toujours facilement, et les nuances ne forment que les modifications de l'idée principale qu'on ne peut méconnaître.

Le feu dans toutes les religions de l'antiquité fut le symbole de l'amour divin;

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l'histoire des sacrifices le démontre; partout des hosties consumées sur un bûcher forment le fonds du culte, comme l'amour est la base de la religion.

L'amour de soi, l'égoïsme, principe de tous les vices, de tous les crimes, cette ardeur dévorante de la haine et des passions, devait avoir le même symbole, le feu.

Le Lévitique emploie ce mot dans sa double acception; les fils d'Aaron, Nadab et Abihu, prirent chacun un encensoir, y mirent du feu et de l'encens, et se présentèrent devant l'Éternel avec un feu qui n'était pas pris au lieu où il leur avait été prescrit de le prendre: aussitôt il sortit de devant l'Éternel un feu qui les fit périr en sa présence (1).

La Bible, comme les livres sacrés des anciens peuples, est écrite dans une langue symbolique. Ce qui est vrai pour les Vedas et les Pouranas de l'Inde, les Kings de la Chine, les livres Zends de la Perse, les anaglyphes égyptiens et la mythologie

(1) Levit, cap. X, 1. Conf. Num. III, 4, et XXVI, 61. Paral. XXIV, 2.

grecque et romaine, doit l'être également pour le Pentateuque; voilà ce que la critique de Voltaire n'aurait pas dû oublier. Pour les chrétiens le témoignage de saint Paul est irrécùsable. Il nous apprend que le passage de la mer Rouge, que la manne du désert et l'eau jaillissant du rocher, étaient des symboles (1); les pères -de l'Église ont expliqué la Bible dans ce

sens.

Le feu infernal, en opposition avec le feu divin, reçut pour symboles particuliers la fumée et la cendre; la fumée, qui obscurcit la flamme, était l'emblème des ténèbres de l'impiété; la cendre indiquaitla mort spirituelle, conséquence de l'égoïsme qui dévore et détruit son héritage céleste.

Se couvrir de cendre était chez les Hébreux le signe du deuil, et de la plus profonde douleur (2); le feu et la fumée dans la langue des prophètes et dans l'Apocalypse représentent les maux et les erreurs de l'enfer.

(1) Première épître aux Corinthiens, cap. X. (2) Jérémie. XIII, 18.

Osée dit des méchans qu'ils ont appliqué aux embûches leurs cœurs embrasés comme un four (1); ils seront, dit-il, comme la fumée qui sort d'une cheminée (2).

L'impiété, dit Isaïe, s'est allumée comme un feu, elle dévorera les ronces et les épines, et les haliers de la forêt ; l'orgueilleuse fumée l'environnera; le peuple sera comme la pâture du feu : l'homme n'épargnera point son frère (3). Ainsi l'impiété trouve son symbole dans le feu terrestre qui dévore, et l'orgueil dans la fumée qui lui est inséparable.

Le feu, la fumée et le soufre, qui sortaient de la bouche des chevaux dans l'Apocalypse, étaient de même des images de l'amour dépravé et de l'intelligence pervertie (4).

La Bible fait un usage si fréquent de ces emblèmes, qu'il faudrait la citer en entier;

(1) Osée, cap. VII, 6.

(2) Ibid, cap. XIII, 3.

(3) Isaïe, cap. IX, 18-19.

(4) Apocalypse, cap. IX, 17-18.

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