Images de page
PDF
ePub

un sens mystérieux; en Grèce les progrès de l'art affranchirent la statuaire et la peinture de ces créations hybrides, mais les divinités se seraient confondues dans un même type. On leur donna des attributs; Jupiter eut pour armoiries l'aigle et la foudre, Minerve l'olivier et la chouette, Vénus la colombe.

Le moyen-âge renouvela les créations bizarres de la haute antiquité: sur les plus anciens monumens de l'art chrétien paraissent des compositions mixtes; le christianisme comme le paganisme ne pouvait sculpter et peindre ses dogmes qu'en empruntant la langue symbolique; c'est ainsi que la reine Pedauque fut représentée avec un pied d'oie sur le portail de plusieurs églises de France (1).

Les écus armoriés de la noblesse étaient, pour les chevaliers bardés de fer, le seul moyen de se reconnaître dans la mêlée. A leur origine toutes les armes étaient parlantes; le royaume de Grenade avait neuf grenades; celui de Galice un calice; celui

(1) Bullet, Mythologie française, p. 33.

de Léon un lion; et celui de Castille un château (1). Plus tard le blason perpétua dans les familles le souvenir des grandes actions et des hauts faits d'armes, mais le plus souvent la signification primitive fut oubliée.

Les couleurs étaient sans doute significatives dans ces représentations où tout était emblème; les auteurs de l'art héraldiqué l'affirment et nous ont conservé le sens des métaux et des émaux dont ils font remonter la tradition jusqu'aux Grecs (2). J'expliquerai la symbolique de ces différentes couleurs du blason: la tradition

«

[ocr errors]

(1) Pasquier, p. 142.

(2) « Toutes les armoiries, dit Anselme, dans le Pa« lais de l'Honneur, sont différenciées en deux métaux, cinq couleurs et deux fourrures. Ces deux métaux << sont or et argent; les cinq couleurs, azur (bleu); « gueules (rouge); sable (noir); sinople (vert); et pourpre (violet); les deux pannes ou fourrures sont l'hermine et le vair. Aristote, de son temps, donna « des noms aux métaux et aux couleurs, selon les sept planètes. L'or fut appelé le soleil, l'argent la lune, << azur Jupiter, gueules Mars, sable Saturne, sinople Vénus, et pourpre Mercure; et chaque dieu estoit < vestu et peint de son métail et de sa couleur.» (Conf. Court de Gébelin, Monde primitif, tom. VIII, p. 200.)

[ocr errors]

«

del'antiquité s'y conserva long-temps pure, et sur quelques monumens, la langue sacrée des armoiries servit à faire comprendre la langue divine employée dans le sujet principal, comme l'écriture phonétique enfermée dans un cartouche, donnait le nom du personnage représenté sur les anaglyphes égyptiens (1).

La galanterie des Maures et leur mysticisme amoureux vint fermer l'ère aristocratique et donner naissance à la langue populaire des couleurs qui s'est consérvée jusqu'à nos jours.

La claustration des femmes, en Orient, donna une nouvelle importance aux emblèmes des couleurs; elles remplacérent la langue parlée, comme le selam ou bouquet symbolique devint la langue écrite de

l'amour.

Chez les Arabes comme chez tous les peuples, ce langage eut une origine religieuse. Dans l'ancienne Perse, les esprits

(1) Je donnerai l'explication d'un vitrail, sur lequel les trois langues divine, sacrée et profane, ou religieuse, héraldique et populaire, redisent la même pensée.

[ocr errors]

ou génies avaient des fleurs qui leur étaient consacrées (1). On retrouve cette flore symbolique dans l'Inde et en Égypte, en Grèce et à Rome (2).

Le selam des Arabes paraît avoir emprunté ses emblèmes à la langue des couleurs; le Coran en donne la raison mystique : Les couleurs que la terre étale à nos yeux, dit Mahomet, sont des signes manifestes pour ceux qui pensent (3). Ce passage remarquable explique la robe diaprée que portait Isis ou la Nature, conçue comme un vaste hiéroglyphe. Les couleurs qui brillent sur la terre correspondent aux nuances que le voyant perçoit dans le monde des esprits où tout est

(1) Boun-Dehesch, p. 407.

(2) Un savant allemand vient de donner l'histoire mythologique des fleurs en Grèce et à Rome (Dierbach, Flora mythologica, oder Pfanzenkunde in bezug auf Mythologie und Symbolik der Griechen und Romer.) Nous constaterons l'existence de ces traditions dans le moyen-âge: leur dernière expression populaire s'est conservée jusqu'à nos jours, et l'auteur du langage des fleurs a recueilli la signification emblématique de cent quatrevingt-dix plantes, (Delachenaye, Abécédaire de Flore, ou Langage des fleurs. P. Didot l'aîné, 1811.)

(3) Coran, chap. 16; les Abeilles, trad. de Savary.

spirituel et par conséquent significatif; telle est du moins l'origine de la symbolique des couleurs dans les livres des prophètes et l'Apocalypse. Le Coran reproduit la même théorie dans les visions et les costumes de Mahomet.

Les Maures d'Espagne, matérialisant ces symboles, formèrent une langue qui eut ses principes et son dictionnaire. Un auteur moderne a donné le catalogue de plus de soixante de ces couleurs emblématiques et le sens de leurs combinaisons (1). La France les adopta et en conserve des traces dans la langue populaire. Le bleu est encore l'emblème de la fidélité, le jaune de la jalousie, le rouge de la cruauté, le blanc de l'innocence, le noir de la tristesse et du deuil, et le vert de l'espérance.

Ainsi finit la symbolique des couleurs, et cependant sa dernière expression matérialisée témoigne encore de sa noble origine. La peinture moderne en conserve la tradition dans les tableaux d'église;

(1) Gassier. Histoire de la Chevalerie française, p. et suivantes.

351

« PrécédentContinuer »