Imágenes de página
PDF
ePub

HERMIONE

Et l'ingrat? jusqu'au bout il a poussé l'outrage?
Mais as-tu bien, Cléone, observé son visage?
Goûte-t-il des plaisirs tranquilles et parfaits?
N'a-t-il point détourné ses yeux vers le palais ?
Dis-moi, ne t'es-tu point présentée à sa vue?
L'ingrat a-t-il rougi lorsqu'il t'a reconnue ?
Son trouble avouait-il son infidélité ?

A-t-il jusqu'à la fin soutenu sa fierté ?

CLÉONE

1445

Madame, il ne voit rien. Son salut et sa gloire
Semblent être avec vous sortis de sa mémoire.
Sans songer qui le suit, ennemis ou sujets,
Il poursuit seulement ses amoureux projets.
Autour du fils d'Hector il a rangé sa garde,
Et croit que c'est lui seul que le péril regarde.
Phoenix même en répond, qui l'a conduit exprès
Dans un fort éloigné du temple et du palais.
Voilà, dans ses transports, le seul soin qui lui reste.

1450

1455

HERMIONE

Le perfide! Il mourra. Mais que t'a dit Oreste?

CLÉONE

Oreste avec ses Grecs dans le temple est entré.

HERMIONE

Hé bien! à me venger n'est-il pas préparé ?

Je ne sais.

CLÉONE

1460

HERMIONE

Tu ne sais? Quoi donc? Oreste encore,

Oreste me trahit?

CLÉONE

Oreste vous adore.

Mais de mille remords son esprit combattu
Croit tantôt son amour et tantôt sa vertu.
Il respecte en Pyrrhus l'honneur du diadème ;
Il respecte en Pyrrhus Achille, et Pyrrhus même ;
Il craint la Grèce, il craint l'univers en courroux ;
Mais il se craint, dit-il, soi-même plus que tous.
Il voudrait en vainqueur vous apporter sa tête:
Le seul nom d'assassin l'épouvante et l'arrête.
Enfin il est entré sans savoir dans son cœur
S'il en devait sortir coupable ou spectateur.

HERMIONE

Non, non, il les verra triompher sans obstacle :
Il se gardera bien de troubler ce spectacle.

Je sais de quels remords son courage est atteint :
Le lâche craint la mort, et c'est tout ce qu'il craint.
Quoi? sans qu'elle employât une seule prière,
Ma mère en sa faveur arma la Grèce entière ?
Ses yeux pour leur querelle, en dix ans de combats,
Virent périr trois rois qu'ils ne connaissaient pas ?
Et moi, je ne prétends que la mort d'un parjure,
Et je charge un amant du soin de mon injure;
Il peut me conquérir à ce prix sans danger;
Je me livre moi-même, et ne puis me venger ?
Allons: c'est à moi seule à me rendre justice.
Que de cris de douleur le temple retentisse;

1465

1470

1475

1480

1485

De leur hymen fatal troublons l'événement,

Et qu'ils ne soient unis, s'il se peut, qu'un moment.
Je ne choisirai point dans ce désordre extrême:
Tout me sera Pyrrhus, fût-ce Oreste lui-même.
Je mourrai; mais au moins ma mort me vengera.
Je ne mourrai pas seule, et quelqu'un me suivra.

1490

SCÈNE III

ORESTE, HERMIONE, CLÉONE

ORESTE

Madame, c'en est fait, et vous êtes servie :
Pyrrhus rend à l'autel son infidèle vie.

Il est mort?

HERMIONE

ORESTE

Il expire; et nos Grecs irrités

Ont lavé dans son sang ses infidélités.

Je vous l'avais promis; et quoique mon courage
Se fît de ce complot une funeste image,
J'ai couru vers le temple, où nos Grecs dispersés
Se sont jusqu'à l'autel dans la foule glissés.
Pyrrhus m'a reconnu. Mais sans changer de face,
Il semblait que ma vue excitât son audace,
Que tous les Grecs, bravés en leur ambassadeur,
Dussent de son hymen relever la splendeur.
Enfin avec transport prenant son diadème,
Sur le front d'Andromaque il l'a posé lui-même.
« Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne et ma foi:
Andromaque, régnez sur l'Épire et sur moi.

1495

1500

1505

Je voue à votre fils une amitié de père;
J'en atteste les dieux, je le jure à sa mère.
Pour tous mes ennemis je déclare les siens,

Et je le reconnais pour le roi des Troyens. >>

A ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage,
Nos Grecs n'ont répondu que par un cri de rage;
L'infidèle s'est vu partout envelopper,

Et je n'ai pu trouver de place pour frapper.
Chacun se disputait la gloire de l'abattre.

Je l'ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre,
Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober;

Mais enfin à l'autel il est allé tomber.

Du peuple épouvanté j'ai traversé la presse
Pour venir de ces lieux enlever ma princesse,
Et regagner le port, où bientôt nos amis

Viendront couverts du sang que je vous ai promis.

HERMIONE

1510

1515

1520

Qu'ont-ils fait ?

ORESTE

Pardonnez à leur impatience :

Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance.
Vous vouliez que ma main portât les premiers coups,
Qu'il sentît en mourant qu'il expirait pour vous;
Mais c'est moi dont l'ardeur leur a servi d'exemple :
Je les ai pour vous seule entraînés dans le temple,
Madame; et vous pouvez justement vous flatter
D'une mort que leurs bras n'ont fait qu'exécuter.
Vous seule avez poussé les coups

1525

1530

HERMIONE

Tais-toi, perfide,

Et n'impute qu'à toi ton lâche parricide.

Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur :

1535

Va, je la désavoue, et tu me fais horreur.

Barbare, qu'as tu fait? Avec quelle furie
As-tu tranché le cours d'une si belle vie?
Avez-vous pu, cruels, l'immoler aujourd'hui,
Sans que tout votre sang se soulevât pour lui ?
Mais parle de son sort qui t'a rendu l'arbitre?
Pourquoi l'assassiner? Qu'a-t-il fait? A quel titre ?
Qui te l'a dit?

ORESTE

O dieux! Quoi? ne m'avez-vous pas Vous-même, ici, tantôt, ordonné le trépas?

HERMIONE

Ah! fallait-il en croire une amante insensée ?
Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ?
Et ne voyais-tu pas, dans mes emportements,
Que mon cœur démentait ma bouche à tous moments?
Quand je l'aurais voulu, fallait-il y souscrire ?

1540

1545

N'as-tu pas dû cent fois te le faire redire?

1550

Toi-même avant le coup me venir consulter,

Y revenir encore, ou plutôt m'éviter?

Que ne me laissais-tu le soin de ma vengeance?
Qui t'amène en ces lieux où l'on fuit ta présence?
Voilà de ton amour le détestable fruit :
Tu m'apportais, cruel, le malheur qui te suit.
C'est toi dont l'ambassade, à tous les deux fatale,
L'a fait pour son malheur pencher vers ma rivale.
Nous le verrions encor nous partager ses soins;
Il m'aimerait peut-être, il le feindrait du moins.
Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Épire :
Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire,
A toute ma famille; et c'est assez pour moi,
Traître, qu'elle ait produit un monstre comme toi.

1555

1560

« AnteriorContinuar »