Imágenes de página
PDF
ePub

Du Troyen ou de moi faites-le décider ;

Qu'il songe qui des deux il veut rendre ou garder;
Enfin qu'il me renvoie, ou bien qu'il vous le livre.
Adieu. S'il y consent, je suis prête à vous suivre.

590

SCÈNE III

ORESTE seul

Oui, oui, vous me suivrez, n'en doutez nullement :
Je vous réponds déjà de son consentement.

Je ne crains pas enfin que Pyrrhus la retienne :
Il n'a devant les yeux que sa chère Troyenne;
Tout autre objet le blesse; et peut-être aujourd'hui
Il n'attend qu'un prétexte à l'éloigner de lui.
Nous n'avons qu'à parler: c'en est fait. Quelle joie
D'enlever à l'Épire une si belle proie!

Sauve tout ce qui reste et de Troie et d'Hector,
Garde son fils, sa veuve, et mille autres encor,
Épire: c'est assez qu'Hermione rendue
Perde à jamais tes bords et ton prince de vue.
Mais un heureux destin le conduit en ces lieux.
Parlons. A tant d'attraits, Amour, ferme ses yeux!

595

600

SCÈNE IV

PYRRHUS, ORESTE, PHŒNIX

PYRRHUS

Je vous cherchais, Seigneur. Un peu de violence
M'a fait de vos raisons combattre la puissance,

Je l'avoue; et depuis que je vous ai quitté,
J'en ai senti la force et connu l'équité.

605

J'ai songé, comme vous, qu'à la Grèce, à mon père,
A moi-même, en un mot, je devenais contraire;
Que je relevais Troie, et rendais imparfait
Tout ce qu'a fait Achille et tout ce que j'ai fait.
Je ne condamne plus un courroux légitime,
Et l'on vous va, Seigneur, livrer votre victime.

ORESTE

Seigneur, par ce conseil prudent et rigoureux,
C'est acheter la paix du sang d'un malheureux.

PYRRHUS

Oui. Mais je veux, Seigneur, l'assurer davantage :
D'une éternelle paix Hermione est le gage;
Je l'épouse. Il semblait qu'un spectacle si doux
N'attendît en ces lieux qu'un témoin tel que vous.
Vous y représentez tous les Grecs et son père,
Puisqu'en vous Ménélas voit revivre son frère.
Voyez-la donc. Allez. Dites-lui que demain
J'attends, avec la paix, son cœur de votre main.

Ah dieux !

ORESTE

610

615

620

SCÈNE V

PYRRHUS, PHOENIX

PYRRHUS

Hé bien, Phoenix, l'amour est-il le maître? 625

Tes yeux refusent-ils encor de me connaître ?

PHOENIX

Ah! je vous reconnais; et ce juste courroux,

Ainsi qu'à tous les Grecs, Seigneur, vous rend à vous.

Ce n'est plus le jouet d'une flamme servile :
C'est Pyrrhus, c'est le fils et le rival d'Achille,
Que la gloire à la fin ramène sous ses lois,
Qui triomphe de Troie une seconde fois.

PYRRHUS

Dis plutôt qu'aujourd'hui commence ma victoire.
D'aujourd'hui seulement je jouis de ma gloire;
Et mon cœur, aussi fier que tu l'as vu soumis,
Croit avoir en l'amour vaincu mille ennemis.
Considère, Phoenix, les troubles que j'évite,
Quelle foule de maux l'amour traîne à sa suite,

630

635

Que d'amis, de devoirs j'allais sacrifier,

Quels périls . . . Un regard m'eût tout fait oublier.

640

Tous les Grecs conjurés fondaient sur un rebelle.

Je trouvais du plaisir à me perdre pour elle.

PHOENIX

Oui, je bénis, Seigneur, l'heureuse cruauté
Qui vous rend . . .

PYRRHUS

Tu l'as vu, comme elle m'a traité.

Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée,
Que son fils me la dût renvoyer désarmée.
J'allais voir le succès de ses embrassements:
Je n'ai trouvé que pleurs mêlés d'emportements.
Sa misère l'aigrit; et toujours plus farouche,
Cent fois le nom d'Hector est sorti de sa bouche.
Vainement à son fils j'assurais mon secours :

645

650

« C'est Hector, disait-elle en l'embrassant toujours; Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace;

C'est lui-même, c'est toi, cher époux, que j'embrasse. >>

Et quelle est sa pensée? Attend-elle en ce jour
Que je lui laisse un fils pour nourrir son amour?

PHOENIX

Sans doute. C'est le prix que vous gardait l'ingrate.
Mais laissez-la, Seigneur.

PYRRHUS

Je vois ce qui la flatte.

Sa beauté la rassure; et malgré mon courroux,
L'orgueilleuse m'attend encore à ses genoux.

Je la verrais aux miens, Phoenix, d'un œil tranquille.
Elle est veuve d'Hector, et je suis fils d'Achille :
x Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus.

PHOENIX

Commencez donc, Seigneur, à ne m'en parler plus.
Allez voir Hermione; et content de lui plaire,

Oubliez à ses pieds jusqu'à votre colère.
Vous-même à cet hymen venez la disposer.
Est-ce sur un rival qu'il s'en faut reposer?
Il ne l'aime que trop.

PYRRHUS

Crois-tu, si je l'épouse,

Qu'Andromaque en son cœur n'en sera pas jalouse?

PHOENIX

Quoi? toujours Andromaque occupe votre esprit ?
Que vous importe, ô dieux! sa joie ou son dépit ?
Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire?

655

660

665

670

PYRRHUS

Non, je n'ai pas bien dit tout ce qu'il lui faut dire :
Ma colère à ses yeux n'a paru qu'à demi;
Elle ignore à quel point je suis son ennemi.
Retournons-y. Je veux la braver à sa vue,
Et donner à ma haine une libre étendue.
Viens voir tous ses attraits, Phoenix, humiliés.
Allons.

PHOENIX

Allez, Seigneur, vous jeter à ses pieds.
Allez, en lui jurant que votre âme l'adore,
A de nouveaux mépris l'encourager encore.

PYRRHUS

Je le vois bien, tu crois que prêt à l'excuser
Mon cœur court après elle, et cherche à s'apaiser.

PHOENIX

Vous aimez: c'est assez.

675

680

[blocks in formation]
[ocr errors]

Qui me hait d'autant plus que mon amour la flatte?
Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi,
Je puis perdre son fils; peut-être je le doi.
Étrangère. que dis-je ? esclave dans l'Épire,
Je lui donne son fils, mon âme, mon empire;
Et je ne puis gagner dans son perfide cœur
D'autre rang que celui de son persécuteur ?
Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine :
Il faut bien une fois justifier sa haine.
J'abandonne son fils. Que de pleurs vont couler !
De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler !

690

695

« AnteriorContinuar »