Ah! je ne croyais pas qu'il fût si près d'ici.
Le croirai-je, Seigneur, qu'un reste de tendresse Vous fasse ici chercher une triste princesse ? Ou ne dois-je imputer qu'à votre seul devoir L'heureux empressement qui vous porte à me voir ?
Tel est de mon amour l'aveuglement funeste. Vous le savez, Madame; et le destin d'Oreste Est de venir sans cesse adorer vos attraits, Et de jurer toujours qu'il n'y viendra jamais.
Je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures,
Que tous mes pas vers vous sont autant de parjures : Je le sais, j'en rougis. Mais j'atteste les dieux,
Témoins de la fureur de mes derniers adieux, Que j'ai couru partout où ma perte certaine Dégageait mes serments et finissait ma peine. J'ai mendié la mort chez des peuples cruels Qui n'apaisent leurs dieux que du sang des mortels : Ils m'ont fermé leur temple; et ces peuples barbares De mon sang prodigué sont devenus avares.
Enfin je viens à vous, et je me vois réduit
A chercher dans vos yeux une mort qui me fuit. Mon désespoir n'attend que leur indifférence : Ils n'ont qu'à m'interdire un reste d'espérance, Ils n'ont, pour avancer cette mort où je cours, Qu'à me dire une fois ce qu'ils m'ont dit toujours. Voilà, depuis un an, le seul soin qui m'anime. Madame, c'est à vous de prendre une victime Que les Scythes auraient dérobé à vos coups, Si j'en avais trouvés d'aussi cruels que vous.
Quittez, Seigneur, quittez ce funeste langage. A des soins plus pressants la Grèce vous engage. Que parlez-vous du Scythe et de mes cruautés ? Songez à tous ces rois que vous représentez. Faut-il que d'un transport leur vengeance dépende? Est-ce le sang d'Oreste enfin qu'on vous demande ? Dégagez-vous des soins dont vous êtes chargé.
Les refus de Pyrrhus m'ont assez dégagé, Madame il me renvoie; et quelque autre puissance Lui fait du fils d'Hector embrasser la défense.
Ainsi donc, tout prêt à le quitter, Sur mon propre destin je viens vous consulter. Déjà même je crois entendre la réponse Qu'en secret contre moi votre haine prononce.
Hé quoi? toujours injuste en vos tristes discours, De mon inimitié vous plaindrez-vous toujours ? Quelle est cette rigueur tant de fois alléguée ? J'ai passé dans l'Épire, où j'étais reléguée : Mon père l'ordonnait. Mais qui sait si depuis Je n'ai point en secret partagé vos ennuis? Pensez-vous avoir seul éprouvé des alarmes ? Que l'Épire jamais n'ait vu couler mes larmes ? Enfin qui vous a dit que malgré mon devoir Je n'ai pas quelquefois souhaité de vous voir?
Souhaité de me voir! Ah! divine princesse
Mais, de grâce, est-ce à moi que ce discours s'adresse ? Ouvrez vos yeux : songez qu'Oreste est devant vous, Oreste, si longtemps l'objet de leur courroux.
Oui, c'est vous dont l'amour, naissant avec leurs charmes, Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes ; Vous que mille vertus me forçaient d'estimer; Vous que j'ai plaint, enfin que je voudrais aimer.
Je vous entends. Tel est mon partage funeste: Le cœur est pour Pyrrhus, et les vœux pour Oreste.
Ah! ne souhaitez pas le destin de Pyrrhus:
Ah! que vous me verriez d'un regard bien contraire ! Vous me voulez aimer, et je ne puis vous plaire; Et l'amour seul alors se faisant obéir,
Vous m'aimeriez, Madame, en me voulant haïr.
O dieux ! tant de respects, une amitié si tendre Que de raisons pour moi, si vous pouviez m'entendre ! Vous seule pour Pyrrhus disputez aujourd'hui, Peut-être malgré vous, sans doute malgré lui. Car enfin il vous hait; son âme ailleurs éprise N'a plus
Qui vous l'a dit, Seigneur, qu'il me méprise? 550 Ses regards, ses discours vous l'ont-ils donc appris ? Jugez-vous que ma vue inspire des mépris,
Qu'elle allume en un cœur des feux si peu durables? Peut-être d'autres yeux me sont plus favorables.
Poursuivez: il est beau de m'insulter ainsi. Cruelle, c'est donc moi qui vous méprise ici? Vos yeux n'ont pas assez éprouvé ma constance? Je suis donc un témoin de leur peu de puissance? Je les ai méprisés? Ah! qu'ils voudraient bien voir Mon rival, comme moi, mépriser leur pouvoir.
Que m'importe, Seigneur, sa haine ou sa tendresse ? Allez contre un rebelle armer toute la Grèce ;
Rapportez-lui le prix de sa rébellion; Qu'on fasse de l'Épire un autre Ilion,
Allez. Après cela direz-vous que je l'aime?
Madame, faites plus, et venez-y vous-même. Voulez-vous demeurer pour otage en ces lieux ? Venez dans tous les cœurs faire parler vos yeux. Faisons de notre haine une commune attaque.
Mais, Seigneur, cependant s'il épouse Andromaque? 570
Songez quelle honte pour nous
Si d'une Phrygienne il devenait l'époux !
Et vous le haïssez? Avouez-le, Madame,
L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme :
Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux;
Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux.
Seigneur, je le vois bien, votre âme prévenue Répand sur mes discours le venin qui la tue, Toujours dans mes raisons cherche quelque détour, Et croit qu'en moi la haine est un effort d'amour. Il faut donc m'expliquer: vous agirez ensuite. Vous savez qu'en ces lieux mon devoir m'a conduite;
Mon devoir m'y retient, et je n'en puis partir
Que mon père ou Pyrrhus ne m'en fasse sortir. De la part de mon père allez lui faire entendre Que l'ennemi des Grecs ne peut être son gendre :
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