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devez aymer et garder comme vostre propre dominacion et royaume. Considérez les exemples et les fais des anciens qui tant aymèrent justice, comme il appert par cellui qui voiant que son filz avoit desservi à perdre les deux yeulx, volt que son filz perdist ung œil, et lui propre en perdist ung, afin que les lois qui estoient adonques ne feussent point violées, ne corrompues. Ainsi le récite Valère en son VI livre. Et Hélinand raconte vérité du roy Cambises, qui commanda escorcher ung faulx juge et fist mectre la pel sur la chaière1 dudit juge, et puis après y establi et constitua le filz dudit faulx juge et le fist asseoir en la chaière de son père comme juge, en lui disant: «Quant tu jugeras aucune chose, ce que j'ay fait à ton père te soit un exemple, et sa pel tenant à ton siège te soit en mémoire. » O roy de France! il te souviengne de la parole que dist David quant le roy Saul le persécutoit injustement: Dominus, inquit, retribuet uni cuique s 'cundum justiciam suam. C'est à dire nostre seigneur Dieu retribuera à ung chascun selon sa justice. Ces paroles sont escriptes ou premier livre des Roys, ou xvi chapitre. Tu, donques, dois faire semblablement selon ton povoir comme vray ensuiveur de Nostre Seigneur, et subvenir et aider à la partie qui est blécée et injustement persécutée.

Item, tu dois avoir en ta mémoire comment Androniche, cruel persécuteur et homicide, fut condempné à mort ou lieu où il avoit occis le prestre de la loy, comme il est escript ou livre des Machabées. O roy de France! prenez exemple au roy Daire, qui bailla à

1. Chaière, d'où chaire, et plus tard chaise.

dévorer aux lyons ceulx qui mauvaisement avoient accusé Daniel le prophète. Considère la justice exécutée sur les deux viellars qui par leur faulse accusacion avoient condempné Susanne. Ces choses-cy apparent et sont escriptes ou livre de Daniel le prophète, ou vi et xin chapitres. Ces exemples te doivent esmouvoir, comme roy et souverain, à justice. Car, ainsi que tes subjects doivent à toy obéir, en telle manière es tu tenu de leur faire justice. Et, ainsi que le subject peut forfaire en désobéissant, aucuns pourroient doubter et proposer que le subject se pourroit exécuter1 avec tous ses biens, pour le refus de justice et équité. Sire! il te plaise considérer ceste parole. Car pour justice tu ne dois rien doubter, comme je déclaireray cy-après. Et pour conclusion de ceste première raison, dist la parole qui est escripte ou livre de Job, ou In chapitre Cum justicia indutus sum et vestivi me vestimento et dyademate in coronacione mea. C'est à dire, je me suis vestu de justice et en ay le vestement, et mis le dyadème en ma coronacion.

Conséquemment, très noble prince, je dy que amour fraternelle te doit très grandement ensuyr et incliner à faire justice. Car, comme je croy, frères ne pourroient avoir plus grant amour ensemble que vous aviez. Soies donc vray amy à ton frère en jugement et en justice. Car ce sera grant reprouche et très grant honte à toy et à la couronne de France par tout le monde,

1. Ce passage est à remarquer. Par les mots le subject l'orateur entend évidemment désigner le duc de Bourgogne, et il y a ici une exhortation bien claire au Roi, de confisquer les terres du duc de Bourgogne. « Car pour justice tu ne dois rien doubter », lui est-il dit.

se justice et réparacion n'est faicte de la mort de ton frère, si cruelle et infâme. Maintenant est venu le temps que tu dois démonstrer amour fraternelle. Ne soies pas des amis de quoy parle Le Sage ou vini chapitre du livre de Ecclésiastique, disant: Est amicus socius mense et non permanebit in die neccessitatis. C'est à dire, tu trouveras ung ami qui te tendra bonne compaignie à la table et tandis que tu seras en prospérité, mais il ne te sera point amy au jour de ta neccessité. Maintenant, comme neccessité le requiert et désire, démonstre toy tel vray ami que tu ne soies appellé du tout le monde fautif ami; duquel parle Aristote ou ix chapitre des Moralitez. Qui, inquit, fingit se esse amicum et non est, pejor eo qui facit falsam monetam. Celui, ce dit Aristote, qui se feint estre ami et ne l'est point, il est pire que cellui qui forge faulse monnoye. Se aucuns te dient que partie adverse soit de ton sang et de ta parenté, néantmoins tu dois hayr son péchié. Tu dois garder justice entre deux amis, selon le dist de Aristote ou second livre des Moralitez: Duobus, inquit, existentibus amicis sanctum est prehonorare veritatem. C'est à dire, c'est ferme chose et honnorable prehonnorer vérité entre deux amis. Il te souviengne de l'aspre amour qui estoit entre toy et ton frère. Non mie que par ce je te vueille attraire à faveur, mais tant seulement je te exorte à vérité et à justice. Hélas! ce seroit petit cuer et peu de bien, estre filz et frère de roy, se ceste mort si cruelle sans réparacion estoit mise en oubli, actendu que cellui qui le fist occire le devoit aymer comme son frère, car en la Saincte Escripture les nepveux et cousins germains sont appellez frères,

comme il appert ou livre de Genèse de Abraham qui dist à Loth, son nepveu : Non sit objurgium inter te et me, fratres enim sumus. C'est à dire, tençon ne soit point entre toy et moy, car nous sommes frères. Et saint Jaques estoit appellé frère de Nostre Seigneur, et toutesfois ce n'estoit que son cousin germain. Dont tu peuz dire à partie adverse la parole que Nostre Seigneur dist à Cayn, après qu'il eut occis son frère Abel: Vox sanguinis fratris tui clamat ad me de terra. C'est à dire, la voix du sang de ton frère crie à moy de la terre. Et certainement la terre crie et le sang se complaint, et cellui n'est pas bon homme qui n'a compassion de telle mort si cruelle. Et n'est point merveilleuse chose se je dy que partie adverse ressemble à Cayn, ou que en lui je voy moult de similitudes de Cayn. Car, ainsi que Çayn, meu par envie, occist Abel, son frère, pour ce que Nostre Seigneur avoit reçeu ses dons et sacrifices et il n'avoit point les siens regardez, et pour tant il machina en son cuer comment il pourroit son frère occire. Et en telle manière, partie adverse, c'estassavoir le duc de Bourgongne, meu par envie, car mondit seigneur d'Orléans estoit agréable et acceptable au Roy, il machina en son cuer sa mort, et finablement il le fist cruellement et traitrement occire, comme il sera cy après déclairé en la seconde partie. Après, ainsi comme Cayn par convoitise chey en cel inconvénient, partie adverse en telle manière meu de convoitise fist ce qu'il fist, veu la manière qu'il tint et comme il se maintint devant et après la mort de mondit seigneur d'Orléans. En oultre je treuve que Cayn est interprète acquis, ou acquisition. Par tel nom peut estre partie adverse nom

mée. Car vengence est acquise au Roy en corps et en biens, mais que justice ait régné. Et ainsi sera il fait, au plaisir de Dieu, par sa provision. Et par les choses dessusdictes, appert comment partie adverse fait raisonnablement acomparer à Cayn. Sire, donques il te souviengne de la parole dessusdicte adrécée à Cayn: Vox sanguinis, etc. La voix du sang de ton frère, c'est la voix de la dame d'Orléans et de ses filz, crians et requérans à toy justice. Hélas! pour qui feroies tu justice, se tu ne fais pour l'amour de ton frère. Qui aura fiance en toy, se tu faulx au frère qui te amoit le mieulx. Se tu n'as esté ami à ton frère, à qui seras tu amy, actendu qu'on ne te demande fors que justice. O très noble prince, considère que ton frère germain à toy est osté. Doresenavant tu n'auras plus de frère, ne jamais tu ne le verras plus. Car partie adverse a occis ton seul frère cruellement, et osté de toy. Aies considéracion qu'il estoit ton frère, et tu trouveras que moult doit estre plaint, et mesmement de toy qu'il aymoit parfaictement, de la royne de France ta femme, et tes enfans. De rechef, par le grand sens qui en lui estoit, il honnouroit toute la lignée royale de France. Car à peine pourroit-on trouver plus facond, ne mieulx emparlé de lui, plus courtois, mieulx proposant et respondant devant nobles, clers et lais. Nostre Seigneur lui avoit octroié et donné ce que roy Salomon avoit demandé, c'estassavoir Prudence et Sapience. Ung chascun scet bien qu'il estoit aourné d'excellence et d'entendement, dont de lui on povoit dire ce qui fut dit de David, ou vir chapitre du livre des Fais des apostres: Sapienciam sicut angelus Do mini. Il avoit sapience comme l'ange de Nostre Sei

le

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