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La tierce vérité, ou cas dessusdit en ladicte première vérité. Il est licite à chascun subject, sans quelque mandement, selon les lois morales, naturèles et divines, de occire ou faire occire traistre desloial ou tirant, et non point tant seulement licite, mais honnorable et méritoire, mesmement quant il est de si grant puissance que justice n'y peut estre faicte bonnement par le souverain. Je prouve ceste vérité par douze raisons, en l'honneur des douze apostres. Desquelles raisons, les trois premières sont trois auctoritez de trois philosophes moraulx. Les autres trois, sont de trois auctoritez de saincte Église. Les autres trois, sont de trois lois civiles et impériales. Et les trois dernières sont exemples de la saincte Escripture.

La première des trois auctoritez des trois docteurs de saincte théologie est du docteur saint Thomas, qui dist en la dernière partie du second livre des sentences: Quando aliquis ad dominum sibi per violenciam surrexit. A parler briefment et proprement, le docteur dessusdit veult dire que ce subject qui occist le tirant dessusdit, fait oeuvre de loenge et de rémunéracion. La seconde auctorité si est Salberiensis sacre theologie eximii doctoris, in libro suo Policrat, libro II, c. xv, sic dicentis: Amico adulari non licet, sed aurem tiranni mulare licitum est, etc. C'est à dire il n'est licite à nullui de flater son ami, mais il est licite de adenter et endormir par belles paroles les oreilles du tirant. Car puisqu'il est licite d'occire ledit tirant, il est licite de le flater et blander par belles paroles et

1. Le ms. Supp. fr. 93 met en tète de cet alinéa les mots : De

occisions.

2. Mulare (sic) lis, mulcere.

signes. La tierce auctorité est de plusieurs docteurs que je mets tous ensemble afin que je n'y excède le nombre de trois. C'estassavoir Ricardi de Media villa, Alexandri de Halis et Ascens, in summa qui conclusionem ponant in effectum; et adjoinct pour plus grande confirmacion l'auctorité de saint Pierre l'apostre, qui dit ainsi : Subditi estote Regi quasi precellenti, sive ducibus, tanquam ab eo missis ad vindictam malefactorum, laudem vero bonorum, quia sic est voluntas Dei, Prima po. II°. C'est à dire que la voulenté de Dieu est que tous obéissent au Roy comme excellent et souverain seigneur sur tous les autres de son royaume, et puis après aux ducs et autres princes, comme commis et envoiez de lui à la voulenté et punicion des malfaicteurs et à la rémunéracion des bons et à la vengence des mauvaises injures faictes et machinées au Roy par ses ennemis et malfaicteurs. Donques il s'ensuit que les ducs sont obligez de venger le Roy de toutes injures qui seront faictes et machinées à faire, ou au moins d'en faire leur povoir, et de exposer à ce toute leur puissance, toutes et quantesfoiz qu'il viendra à leur congnoissance.

Après je viens à la seconde auctorité des trois philosophes moraulx, dont la première est Anaxagore Philippi in libro suo pluribus locis, sic de civilibus subditorum ait: Licitum est occidere tyrannum, et non solum licitum, ymo laudabile. C'est à dire qu'il est licite à ung chascun subject occire le tirant, et non point seulement licite, mais chose honnorable et digne de loenge. La seconde, Tullii in libro De officiis, laudatis illis qui Julium Cesarem interfecerunt quamvis esset sibi familiaris amicus, eo quod jura imperii

quasi tyrannus usurpaverat. C'est à dire que le noble moral Tulle dit et escript en son livre Des offices, que ceulx qui occirent Jules César font à priser et bien sont dignes de loenges pour tant que Jules César avoit usurpé la seigneurie de l'empire roummain par tirannie et comme tirant. La tierce auctorité est de Bocace, en son livre: De casibus virorum illustrium, cap. v, contra filios tirannos, en parlant du tirant dit ainsi : « Le diray-je roy, le diray-je prince, lui garderay-je foy comme à seigneur? Nonnil. Car il est ennemi de la chose publique. Contre cellui puis-je faire conspiracion, prendre armes, mectre espies et employer force? C'est fait de courageux, c'est très saincte chose et très neccessaire, car il n'est plus agréable sacrifice que le sang du tirant. C'est une chose importable de recevoir villenies pour bien faire. >>

Après, je viens à la tierce auctorité des lois civiles. Et pour ce que je ne suis point légiste, il me suffit de dire la sentence des lois sans les alléguer, car en toute ma vie je ne fus estudiant que deux ans en droit canon et civil, et y a plus de vingt ans passez, pour quoy je n'en puis guères sçavoir, et ce que lors je en peuz aprendre, je l'ay oublié par la longueur du temps. La première auctorité des lois civiles est que les déserteurs et destructeurs de chevalerie, chascun les peut occire licitement. Et qui est plus déserteur que cellui qui destruit la personne du Roy, qui est le chef de chevalerie et sans lequel la chevalerie ne peut longuement durer. La seconde auctorité est, qu'il est licite à ung chascun de occire et faire occire les larrons qui guètent les chemins ès bois et en forestz. Et pour quoy il est licite? en ma foy c'est pour ce qu'ilz sont

formellement ennemis de la chose publique et continuellement machinent à l'encontre et mectent peine à occire les passans. Donques est-il licite de occire le tirant qui continuellement machine contre son roy et son souverain seigneur, et à destruire le bien publique. La tierce auctorité est qu'il est licite à ung chascun d'occire ung larron s'il le treuve en sa maison, de nuit, par la loy civile et impériale. Donques, par plus forte raison, est-il licite d'occire ung tirant qui par nuit et par jour machine la mort de son souverain seigneur. Ceste conséquence appert à tout homme de sain entendement s'il y veult considérer, et l'antécédent est le texte de la loy escripte.

Aincois que je entre en la matière des trois exemples de la Saincte Escripture, je vueil respondre à aucunes objections qu'on pourroit faire à l'encontre de ce que dit est, en arguant ainsi : Tout homicide par toutes lois est défendu, c'estassavoir divine, naturelle, morale et civile. Tout ce que dit est, n'est pas tout vray dit. Qu'il soit défendu en la loi divine, je treuve et le preuve. Car la Saincte Escripture dit ainsi : Non occides, et est ung des commandemens de la loy divine par lequel est défendu tout homicide. Qu'il soit défendu en la loi de nature, je le preuve. Natura enim inter homines quamdam cognicionem constituit quá hominem homini insidiari nephas est. Qu'il soit aussi défendu par la loy morale, je le preuve per illud. Hoc non facias aliis quod tibi non vis fieri. Alterum non ledas. Jus suum unicuique tribuere. Hoc est morale insuper et de naturali jure. Qu'il soit aussi défendu par la loy civile et impériale, je le preuve par les lois civiles et impériales, qui disent ainsi : Qui hominem

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occidit, capite puniatur, non habita differencia sexus vel condicionis.

Pour respondre aux raisons dessusdictes, est à savoir que les théologiens et juristes parlent en diverses manières de ce mot homicidium. Mais nonobstant qu'ilz diffèrent ès parlers, ilz diffèrent1 en une mesme sentence. Car les théologiens dient que tuer ung homme licitement n'est point homicide, car ce mot homicidium emporte en soy quod sit justum. Et propter hoc dicunt quod Moyses Phinees et Matathias non commiserunt homicidia, quia juste occiderunt. Mais les juristes dient que toute occision de homme, soit juste ou injuste, est homicide. Et les autres dient qu'il y a deux manières de homicides, juste et injuste, et que pour homicide juste nul ne doit estre puny. Je respondray donques selon les théologiens. Je dy que l'occision dudit tirant n'est point homicide, pour ce qu'elle fut juste et licite. Ainsi ne s'en ensuit point de punicion, mais rémunéracion. Quant à l'argument qui dit quod hominem homini insidiari nephas est, etc., c'est à dire que le tirant qui continuellement machine la mort de son roy et souverain seigneur et homo est nephas et perdicio et iniquitas. Et pour ce, cellui qui l'occist par bonne subtilité et cautelle en l'espiant, pour saulver la vie de son roy et souverain seigneur, et le garde de tel péril, il ne fait pas nephas, mais s'acquitte envers son roy et souverain seigneur. Quant à l'argument qui dit: Non facias aliis, etc. Alterum non ledere, etc., je respons que ce, fait expressément contre ledit tirant

1. Ils diffèrent (sic), lis. ils conviennent comme dans le ms. Supp. fr. 93.

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