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ledit duc d'Orléans. Et de prime face fut aucunement souspeçonné que messire Aubert de Chauny n'en feust coulpable, pour la grant hayne qu'il avoit audit duc à cause de ce que audit messire Aubert avoit sa femme soustraicte, et emmenée avecques lui. Et tant avoit tenu icelle dame en sa compaignie qu'il en avoit ung filz, duquel et de son gouvernement sera faicte mencion cy-après. Mais tantost après on sçeut la vérité dudit homicide, et que ledit seigneur de Chauny n'en estoit en riens coulpable. Et en ce mesme jour, Isabel, la royne de France, quant elle sçeut les nouvelles dudit homicide fait tant près de son hostel, conçeut si grant fraieur et horreur que, posé qu'elle n'eust pas encores acompli sa gésine, néantmoins se fist mectre sur une lictière par son frère Loys de Bavière, et autres de ses gens, et se fist porter à l'hostel de SaintPol en la chambre prouchaine de la chambre du Roy, et là se loga, pour plus grant seureté. Et mesmement la nuit que ledit maléfice fut perpétré, y eut plusieurs nobles qui se armèrent, comme le conte de Saint-Pol et plusieurs autres, lesquelz se tindrent en l'hostel du Roy leur souverain seigneur, non sachant quelle chose de celle besongne s'en pourroit ensuir1.

Et après le corps dudit duc d'Orléans mis en terre comme dit est, s'assemblèrent tous les princes en l'hostel du Roy avec le conseil royal et autres gens de justice, ausquelz fut commandé par lesdis seigneurs qu'ils feissent bonne diligence d'enquerre se par nulle voye on pourroit parcevoir qui avoit esté l'acteur, ne

1. Voy. le Mémoire de Bonamy (Mém. de l'Acad. des Inscript., t. XLIII). Voy. aussi nos Pièces justificatives.

les complices de faire ceste besongne. Et avec ce, fut ordonné que toutes les portes de Paris, reservé deux, feussent fermées, et que icelles deux feussent bien gardées pour savoir qui en ystroit.

Après lesquelles ordonnances et aucunes autres, lesdiz seigneurs et le conseil royal se retrairent tous confus et en très grant tristesse en leurs hostelz. Et lendemain qui fut le vendredi se rassembla ledit conseil en l'hostel du Roy à Saint-Pol, ou quel lieu estoient le roy Loys de Cecile, les ducs de Berry, de Bourgongne et de Bourbon et moult d'autres gens de grant seigneurie. Et tantost après vint là le prévost de Paris, auquel le duc de Berry demanda quelle diligence il avoit faicte sur la mort de si grant seigneur comme le seul frère du Roy. Lequel prévost respondi qu'il en avoit faicte la plus grande diligence qu'il avoit peu, mais encores n'en povoit savoir la vérité; disant que se on le laissoit entrer dedens les hostelz des serviteurs du Roy et aussi des autres princes, par aventure, comme il crédit, trouveroit-il la vérité des acteurs ou des complices. Et lors, le roy Loys, le duc de Berry et le duc de Bourbon lui donnèrent congié et licence de entrer par tout où bon lui sembleroit. Et adonc, le duc Jehan de Bourgongne, oyant la licence octroiée par iceulx seigneurs au prévost de Paris, eut doubtance et crainte, et pour ce, tira il à part le roy Loys et le duc de Berry, son oncle, et en brief leur confessa et dist que par l'introduction du dyable il avoit fait faire cet homicide par Raoulet d'Actonville et ses complices. Lesquelz seigneurs, oyans ceste confession, eurent si grande admiracion et tristesse au cuer, qu'à peine lui porent il donner response. Et ce qu'ilz lui en don

nèrent, ce fut en lui très grandement réprouvant la condicion et manière du très cruel homicide ainsi par lui perpétré en la personne de son propre cousin germain. Et après qu'ilz eurent oy la congnoissance dudit duc de Bourgongne, retournèrent devers le conseil et ne déclairèrent point prestement ce qu'il leur avoit dit. Et tost après, ledit conseil finé, chascun s'en retourna en son hostel.

Lendemain, qui fut le samedi, environ dix heures devant nonne, furent les seigneurs devantdicz assemblez en l'hostel de Neelle', où estoit logié le duc de Berry, pour tenir le conseil royal. Ouquel lieu, pour estre à icellui conseil, vint le duc de Bourgongne, ainsi qu'il avoit acoustumé, en sa compaignie, le conte Waleran de Saint-Pol. Mais quant il vint pour entrer dedens, son oncle le duc de Berry lui dist : « Beau nepveu! n'entrez point au conseil pour ceste foiz. Il ne plaist mie bien à chascun que vous y soiez. »> Et sur ce, ledit duc de Berry rentra dedens, et fist tenir les huis fermez ainsi qu'il avoit esté ordonné par ledit conseil. Et alors, ledit duc Jehan de Bourgongne, tout confus et en grant doubte, demanda au conte Waleran de Saint-Pol : « Beau cousin, qu'avons nous à faire sur ce que vous oez? » Et le conte Waleran lui fist response : « Monseigneur, pardonnez moy, je yray vers mes seigneurs au conseil, lesquelz me ont mandé.» Et après ces paroles, ledit duc de Bourgongne, en

1. Il y avait à Paris deux hôtels de Nesle. Celui dont il s'agit ici est le fameux hôtel de Nesle, situé vis-à-vis du Louvre, sur l'emplacement actuel de l'Institut. L'autre hôtel de Nesle, moins connu, fut appelé dans la suite l'hôtel de Soissons. Il se trouvait sur l'emplacement actuel de la Halle aux Blés.

grant doubtance retourna en son hostel d'Artois. Et afin qu'il ne feust prins ne arresté, sans délay monta à cheval avec six de ses hommes seulement en sa compaignie, et se parti par la porte Saint-Denis, et hastivement chevaucha en prenant aucuns chevaulx nouveaulx, sans arrester en nulle place, jusques à son hostel de Bapaumes. Et quant il eut ung petit dormy, il s'en ala sans délay à Lisle en Flandres. Et ses gens qu'il avoit laissez audít lieu de Paris, le suivirent le plus tost qu'ilz porent, doubtans d'estre arrestez et prins. Et pareillement, Raoulet d'Aquetonville et ses complices, leurs vestemens changez et desguisez, se partirent de Paris par divers lieux, et tous ensemble s'en alèrent loger dedens le chastel de Lens en Artois, par l'ordonnance dudit duc Jehan de Bourgongne, leur maistre et leur seigneur.

Ainsi et par celle manière se départit icellui duc, après la mort dudit duc d'Orléans, de la ville de Paris, à petite compaignie, et laissa en icelle ville la seigneurie de France en grant tristesse et desplaisance, Et toutesfoiz ceulx de l'ostel dudit duc d'Orléans mort, quant ilz oyrent le secret partement dudit duc de Bourgongne, se armèrent jusques au nombre de six vingts hommes, desquelz estoit l'un des principaulx, messire Clugnet de Brabant, et eulx, montez à cheval, se partirent de Paris pour suivir ledit duc de Bourgongne, en entencion de le mectre à mort s'ils l'eussent peu actaindre. Mais ce faire leur fut défendu par le roy Loys de Cécile, et pour ce s'en retournèrent grandement courroucez en leurs hostels. Si fut lors dénoncé par toute la cité de Paris et tout commun, que ledit duc de Bourgongne avoit fait faire

cest homicide. Dont le peuple de Paris, qui n'estoit pas bien content dudit duc d'Orléans, et point ne l'avoient en grace pour ce qu'ilz entendoient que par son moien les tailles et autres subsides s'entretenoient, commencèrent à dire l'un à l'autre, en secret : Le baston noueux est plané1!

Ceste doloreuse mort fut l'année du grant yver, l'an mil quatre cens et sept, et dura la gelée soixante six jours en ung tenant, très terrible et tant que au desgeler, le Pont Neuf de Paris fut abatu en Seine. Et moult firent ces eaues et gelées de grans dommages en plusieurs contrées du royaume de France'.

Et quant est à parler des discordes, haynes et envies que avoient l'un contre l'autre les ducs d'Orléans et de Bourgongne avant la mort d'icellui duc d'Orléans, et des manières qui avoient esté tenues par iceulx, n'est jà besoin d'en faire en ce présent chapitre récitation pour ce qu'il sera au long et plus à plain déclairé ès proposicions qui pour ce furent faictes, dedens brief temps après ensuivant, c'estassavoir la justificacion que fist proposer le duc Jehan de Bourgongne, hault et publiquement, devant le Roy, plusieurs princes et autres notables personnes, tant ecclésiastiques que séculiers; et les accusacions pour quoy il disoit et advouoit avoir fait mettre à mort ledit duc d'Orléans, et pareillement par les responses que depuis en fist faire et proposer la duchesse d'Orléans doagière

par

1. Allusion aux devises des deux princes. On se rappelle que Louis d'Orléans avait pris pour la sienne un bâton noueux ou estoc, et Jean sans Peur, un rabot.

2. Nous donnons dans nos Pièces justificatives un extrait curieux des registres du Parlement relatif à ce désastre.

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