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CHRONIQUE

D'ENGUERRAN

DE MONSTRELET.

LIVRE PREMIER.

1400-1422.

PROLOGUE.

Cy commence le premier livre de Enguerran de Monstrelet, parlant espécialement des fais et advenues des royaumes de France et d'Angleterre, et, entre-deux, d'aucunes autres matières. Et commence au roy Charles de France, VIo de ce nom, lequel est dit Charles le Bei, ou Charles le Bien-Aymé. Et fait, ledit Enguerran, son prologue en ceste manière '.

Selon ce que dit Saluste, au commencement d'un sien livre nommé Cathilinaire, où il raconte aucuns merveilleux fais, tant des Rommains, comme de leurs adversaires, tout homme doit fouir oiseuse et soy exerciter en bonnes œuvres, afin qu'il ne soit pareil aux

1. Ce titre ne se trouve pas dans l'édition Vérard.

bestes, qui ne sont utiles qu'à elles seulement se à autres choses ne sont contraintes et induites.

Comme donques, assez soit convenable et digne ocupacion que les très dignes et haulx fais d'armes, les inestimables et aventureux engins et subtilitez de guerre dont les vaillans hommes ont usé, tant ceulx qui de noble maison sont yssus, comme du moien et bas estat, et qui sont advenus au très chrestien Roy de France', et en plusieurs autres contrées de la chrestienté et des marches et pays d'autre loy, feussent et soient mis et récitez par escript en manière de croniques ou histoires, à l'advertissement et introduction de ceulx qui, à juste cause, se vouldroient en armes honnorablement exerciter; aussi à la gloire et louenge de ceulx qui par force de courage et puissance de corps vaillamment s'i sont portez, tant en rencontres ou assaulx souspris et soudains, comme en journées entreprinses et assignées, corps contre corps, plusieurs contre autres, ou puissance contre autre, et en toutes les manières que vaillant homme se peut avoir, lesquelles, le lisant ou oïant, doit ententivement comprendre, incorporer et considérer; or est-il, que pour principalement ramener à mémoire les dessusdiz haulx fais d'armes, et autres matières dignes de recordacion, et mesmement des proesses et vaillances ou temps dont ceste présente histoire fait mencion; aussi des discors, guerres et contens, esmeuz et par long temps continuez, entre les princes et grans seigneurs dudit royaume de France, des pays voisins et autres marches loingtaines, à quelque occasion que lesdictes

1. Royaulme de France (éd. Vér.)

guerres

aient prins sourse ou naissance, je, Enguerran de Monstrelet, yssu de noble généracion, résident, ou temps de la compilacion de ce présent livre, en la noble cité de Cambray, ville séant en l'empire d'Alemaigne, me suis entremis et ocupé d'en faire et composer ung livre ou histoire, en prose, jà soit ce que la matière requière plus hault et subtil engin que le mien, pour ce que plusieurs choses qui y sont recitées font à peser, si comme les royales majestez, haultesses et puissances des princes d'excellence et noblesse en armes, dont icellui sera composé; mesmement aussi, que pour enquérir et savoir comment les besongnes ont esté faictes, et icelles comprendre par lois continuees, en aiant considéracion à ce que maintes fois ay apperceu, que aucuns d'un mesmes parti ou de plusieurs, faisoient de icelles besongnes où ilz avoient tous ensemble esté présens, divers rapors et difficiles; Et me suis par maintes fois en moy-mesmes apensé comment ce se povoit faire, et se de la diversité de leurs rapors y povoit avoir autre cause ou raison que faveur aux parties, et peut estre que oyl; consideré que ceulx qui sont aucunes fois à ung bout d'un assault, ou d'une bataille, ou escarmouche, ont assez à penser à eulx vaillamment conduire et garder leur corps et honneur, et ne pevent lors bonnement veoir ce qui advient d'une autre partie. Néantmoins, pour ce que dès ma jeunesse et que je me suis congneu, ay esté enclin à veoir et oyr telles et semblables ystoires, et y prins voulentiers peine et labeur en continuant à ce faire selon mon petit entendement jusques au temps de mon plus meur aage, pour la verité d'icelles enquérir par mainte diligence, dont je me suis informé

des premiers poins d'icellui livre jusques aux derreniers, tant aux nobles gens, qui pour honneur de gentilesse ne doivent ou vouldroient dire pour eulx, ne contre eulx, que verité, comme aussi aux plus véritables que j'ay sceu dignes et renommez de foy, de toutes les parties, et par espécial des guerres du royaume de France, et pareillement aux roys-d'armes, héraulx et poursuivans de plusieurs seigneurs et pays, qui de leur droit et office doivent de ce estre justes et diligens enquéreurs, bien instruis et vrais relateurs ; sur la récitation et relacion desquelz, à diverses foiz recitées, en mectant arrière tous rapors que je ay doubté ou esperé estre non prouvables par continuacion, pour jamais actaindre le cas, après que sur eulx ay eu plusieurs considéracions et grans dilacions de moy informer comme dessus, ay prins mon arrest en la déclaracion et raport des plus venérables, et l'ay fait grosser au bout d'un an, et non devant. Je me suis determiné et conclud de poursuivre ma dessusdicte matière depuis le commencement de mon livre jusques en fin d'icellui, et ainsi l'ay fait, sans favoriser à quelque partie, ains, à mon povoir, ay voulu, comme raison donne, rendre à chascune partie vraie déclaracion de son fait, selon ma congnoissancè. Car, autrement faire, seroit embler et taire l'onneur et proesse que les vaillans hommes et prudens auroient acquis à la peine, travail et péril de leur corps, dont la gloire et louenge doit estre rendue et perpétuellement denoncée à l'exaltacion de leurs nobles fais. Et pour ce que celle besongne est de soy dangereuse et ne se peut mectre du tout au plaisir de chascun en particulière affection ou autrement, et par aventure vouldroient

aucuns maintenir, aucune chose y déclairée non estre telle et ainsi advenue, je prie et requiers très instamment à toutes nobles personnes de quelque estat qu'ilz soient, qui ce présent livre liront ou oront, qu'il leur plaise me tenir pour excusé s'ilz y treuvent aucune chose qui à leur entendement ne soit agréable, puis que je me suis délibéré d'escripre vérité selon la relacion qui faicte m'en a esté. Car, se faulte y estoit trouvée ou autrement entendue, dont je me suis à mon povoir gardé, icelle doit estre et retourner sur ceulx qui du propos dont elle feroit mencion, m'en auroient fait les rapors et rendu certain. Et s'ilz y treuvent aussi aucune chose vertueuse, digne de mémoire et recordacion, en quoy on se puist et doive déliter et y prendre bon exemple ou introduction, la grace et mérite en soit sur ceulx dont ce procède, en perpétuelle mémoire, et non pas à moy, qui ne suis en ceste partie que simple expositeur.

Et commencera ceste présente cronique au jour de pasques communiaulx, l'an de grace mil quatre cens, auquel an, fine le derrenier volume de ce que fist et composa en son temps ce prudent et très renommé historien, maistre Jehan Froissart, natif de Valenciennes en Haynnau; duquel, par ses nobles œuvres, la renommée durra par long temps. Et finera cestui premier livre, au trespas du roy de France de très bonne mémoire, Charles le Bien-Aymé, VIo de ce nom, lequel expira sa vie en son hostel de Saint-Pol à Paris, le xxi jour d'octobre', l'an de grace mil quatre cens

1. Le Religieux de Saint-Denis dit le 21. (Chron. de Ch. VI, publiée par M. Bellaguet, t. VI, p. 498.)

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