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Je ne vous nirai point, Seigneur, que fes foupirs M'ont daigné quelquefois expliquer fes defirs, &c.]

Cette réponse ingénue eft la caufe de la perte de Britannicus: elle n'en intéresse pas moins pour Junie, qui fe montre en cet endroit telle qu'elle eff. On peut remarquer ici avec quel art Racine a fçu conferver à fes perfonnages le caractere qui leur eft propre ; il ne leur fait dire ni plus, ni moins, que ce qu'ils doivent dire.

Un hymen.]

Et me fait dénouer

C'eft peut-être la premiere fois qu'on a dit dénouer un hymen. Cette expreffion paroît ha fardée.

Digne de l'univers à qui vous vous devez. ]

VARIANTE.

Digne de l'univers à qui vous les devez.

Seigneur, avec raison je demeure étonnée. ]

Cette réponse de Junie eft parfaitement bien écrite; rien de plus noble & de plus honnête. S'est fait une vertu conforme à fon malheur.]

Se faire une vertu conforme à fon malheur : expreffion neuve & heureuse. Ce font ces tours enchanteurs qui diftinguent les grands poëtes, & particulierement Racine. C'eft ce charme inexprimable, qu'il répand fur tout ce qu'il écrit, qui fait qu'on ne fe laffe point de la lecture de fes ouvrages.

Paffe fubitement, de cette nuit profonde,

Dans un rang qui l'expofe aux yeux de tout le monde ;

Dont je n'ai pu de loin foutenir la clarté,
Et dont une autre enfin remplit la majesté. ]

la

On dit à un roi, felon Louis Racine, majefté, la fplendeur de votre rang, & non pas la clarté. Ici, ce mot, qui répond à cette nuit profonde, eft amené fi naturellement, qu'il paroît néceffaire.

Abfente de la cour, je n'ai pas dû penfer. ] Tout ce que dit Junie, eft plein de grace, de candeur & de nobleffe; Racine eft le feul qui ait réuffi à peindre l'ingénuité.

Faites-lui concevoir

Qu'il doit porter ailleurs fes vœux & fon espoir.] Un autre que Néron auroit fait dire à Britannicus d'éviter la préfence de Junie; mais ce ne feroit point affez cruel pour lui, il veur que ce foit fa maîtreffe qui lui annonce un pareil arrêt.

Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame.]

Qu'un empereur aille fe cacher pour écouter fa maîtreffe & fon rival, eft affûrément un très-petit moyen; mais quelle fituation pour Britannicus qui croira fa maîtreffe infidelle, & pour fa maîtreffe qui ne pourra le détromper!

SCENE IV.

BRITANNICUS, Seigneur, demande la prin

cesse. ]

Junie, témoin de ce que Narciffe dit à Néron, avoit d'affez fortes raifons pour foupçonner qu'ils étoient tous deux d'intelligence, & pour avertir dans le troifieme acte fon amant de fe défier de Narciffe.

MAIS

SCENE V I.

parmi ce plaifir, quel chagrin me dévore?

Parmi exige toujours après lui un pluriel ou un nom collectif, comme parmi les plaifirs parmi la foule; mais on ne peut pas dire avec exactitude, parmi ce plaifir.

Ma princeffe, avez-vous daigné me souhaiter?] Ma princeffe paffe maintenant pour une expreffion fade.

De faire à Néron même envier nos amours?]

Tout ce que dit Britannicus va le perdre; Junie qui voit le danger où il s'engage, l'interrompt pour lui prêter des fentiments qu'il n'a jamais eus. Quelques critiques ont trouvé ce détour un peu trop fin pour une jeune princeffe, qui, comme elle le dit, ne fait point feindre.

Après ce coup, Narcisse, à quoi dois-je m'attendre?]

Cette fcene eft d'un rare artifice & d'un merveilleux intérêt; tant qu'elle dure, des trois acteurs qui la compofent, deux font dans un continuel fupplice; il ne s'y profere pas un feul mot qui n'ajoute à la crife & à la fituation.

SCENE VII.

NoN, Seigneur, je ne puis rien entendre.]

Il y a beaucoup d'adreffe à ne point laiffer Junie en fcene avec Néron; cette princeffe n'auroit pu qu'éclater en reproches qui n'auroient produit d'autre effet que de démentir fon caractere de douceur & d'honnêteté, & irriter Néron davantage.

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Er, tandis qu'à mes yeux on le pleure, on

l'adore,

Fais-lui payer bien cher un bonheur qu'il ignore.] Ce rafinement de cruauté eft digne de Né

ron.

Et, pour nous rendre heureux, perdons les miférables.]

Nous avons toujours remarqué qu'à cet

endroit l'acteur, chargé du rôle de Narcife ne peut fe faire entendre à caufe des murmures du fpectateur indigné; c'eft qu'on fouffre toujours avec peine un homme qui n'eft méchant que pour le plaifir de l'être. Que Néron amoureux foit cruel, on le fupporte plus aifément, fa paffion eft une espece d'excuse; mais que Narciffe, dans l'efpérance très-incertaine de s'élever, fe détermine à faire périr deux infortunés, cela révolte. Il est bon d'observer ici avec quel art Racine a fçu lier ses scenes & avec quelle impatience le spectateur attend l'acte fuivant, pour apprendre le parti qu'au ront pris Britannicus & Néron.

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