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REMARQUES

SUR BAJA ZET.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

Qo

Et

VE ton retour tardoit à mon impatience! que, d'un œil content, je te vois dans Byfance!] Le nom de Byfance que portoit autrefois la ville, qu'on nomma depuis Antonia, & que nous appellons aujourd'hui Conftantinople, ne fert plus à défigner cette derniere ville. La difficulté qu'auroit trouvée Racine à faire entrer en vers le nom de Conftantinople, lui a fait préférer celui de Byfance.

Songe que du récit, Ofmin, que tu vas faire, Dépendent les deftins de l'Empire Ottoman.]

La maniere dont le fujet eft expliqué eft admirable; les acteurs parlent fi naturellement,

qu'on ne s'apperçoit point que le poëte aft voulu inftruire le fpectateur. Cette scene paffe pour un chef-d'œuvre d'expofition.

Ottoman eft adjectif, contre la regle ordinaire des noms propres. C'est une exception à l'ufage général. Nous ne pourrions pas dire également l'empire Bourbon pour l'empire des Bourbons.

Babylone, Seigneur, à fon prince fidelle,

Voyoit, fans s'étonner, notre armée autour d'elle; Les Perfans, &c.]

C'étoit Schah Abbas, roi de Perfe, qui s'étoit emparé, au commencement du regne d'Amurat, de la province & de la ville de Bagdad. Racine appelle cette ville Babylone, quoiqu'elle n'en ait jamais porté le nom, & qu'elle ait toujours eu celui de Bagdad, ou du jardin de Dad, moine dont la cellule échappa feule avec fon jardin à la ruine totale de Seleucie. Racine a cru que la ville fondée par Seleucus Nicator, ayant été appellée dans la fuite Babylone, parce qu'elle s'accrut des débris de cette grande ville, comme fon fondateur fe l'étoit propofé, Plin. liv. VI. chap. 26. la ville de Bagdad pouvoit également être défignée fous le nom de Babylone, puifqu'elle reçut dans fon enceinte les habitans de Seleucie, & qu'elle fut, depuis la deftruction de cette feconde Babylone, la ville la plus importante de toute la contrée.

Un long chemin fépare & le camp & Byfance.] Quelque diligence que faffe Ofmin, le chemin du camp d'Amurat à Byfance, comme l'ob

Terve M. l'abbé d'Olivet, n'en fera ni plus ni moins long; mais Ofmin veut dire que le temps qu'il a employé à faire un fi long chemin eft fi confidérable, qu'il ne peut affurer que les chofes foient encore dans le même état où il les a laiffées lorfqu'il s'eft éloigné du camp d'Amurat. C'est par cette alliance de mots que le poëte a fçu donner à fon ftyle une précifion qui n'exclut point la clarté.

Amurat eft content, fi nous le voulons croire, Et fembloit fe promettre une heureufe victoire.]

M. l'abbé d'Olivet remarque avec raison qu'on ne peut paffer auffi brufquement du préfent eft à l'imparfait fembloit. Nous croyons, avec Louis Racine, que c'eft une faute de l'imprimeur, & que le poëte avoit mis:

'Amurat eft content, fi nous le voulons croire, Et femble se promettre une heureuse victoire. Ils regrettent le temps, à leur grand cœur fi doux, Lorfqu'affurés de vaincre, ils combattoient fous vous.]

On ne dit point le temps lorfque, le temps auquel, &c. mais le temps où. M. l'abbé d'Olivet prétend que les mots qui fe trouvent entre le temps & lorfque, doivent fervir à faire excufer cette licence; mais cette raifon ne nous paroît point propre à juftifier Racine. Il nous femble que ce poëte auroit pu mettre:

Ils regrettent le temps, à leur grand cœur fi

doux,

Ce temps où, fürs de vaincre, ils combattoient

fous vous.

Fv

Tel étoit fon deffein. Cet efclave eft venu Il a montré fon ordre, & n'a rien obtenu.] Ces deux vers annoncent la catastrophe. Quoi, Seigneur ! le fultan reverra fon vifage.] Cette expreffion reverra fon vifage, paroît trop amenée par la rime.

Et même il a voulu que l'heureufe Roxane, Avant qu'elle eût un fils, prit le nom de fultane. ]

Les maîtreffes du grand feigneur ne prennent le nom de fultanes qu'après qu'elles ont eu un fils. Racine feint que Roxane l'a obtenu par avance; cette fiction étoit néceffaire pour relever la dignité du rôle, & pour fauver l'indécence d'un pareil perfonnage par rapport à

nos mœurs.

L'imbécille Ibrahim, fans craindre fa naissance Traine, exempt de péril, une éternelle enfance.]

Racine a fait d'Ibrahim un imbécille, pour mieux fonder les prétentions exclufives de Bajazet au trône des fultans. Ibrahim fuccéda à Amurat, & fut pere de Mahomet IV.

Louis Racine rapporte que Boileau difoit que fon ami avoit encore plus que lui le génie fatyrique, & qu'il citoit pour preuve ces quatre vers fi admirables. Remarq. tom. I. pag. 443.

Et goûter, tout fanglant, le plaifir & la gloire Que donne aux jeunes cœurs la premiere victoire.]

On goûte le plaifir, mais on ne goûte pas la gloire, on en jouit. L'un paffe à la faveur de l'autre.

L'embarras irritant de ne s'ofer parler, &c.] Ces détails amoureux, vus avec trop de fineffe, ne conviennent point au caractere d'Acomat. Il auroit dû s'arrêter à ce vers :

Il vit que fon falut

Dépendoit de lui plaire, & bientôt il lui plut.

Et même, avec fes fils partageant fa tendresse. ]

Ce vers annonce, fans l'apprendre, au fpectateur l'amour d'Atalide pour Bajazet. Racine eft peut-être celui de nos poëtes qui ait mieux connu l'art de préparer les catastrophes.

L'un & l'autre ont promis Atalide à ma foi.]

L'un & l'autre, c'est-à-dire, Roxane & Bajazet. Comment Bajazet, qui aime & eft aimé d'Atalide, a-t-il pu promettre cette princesse à Acomat?

Voudrois-tu qu'à mon âge Je fille de l'amour le vil apprentissage?]

Racine a bien fenti qu'il auroit été ridicule qu'Acomat fût amoureux; il lui donne une paffion plus convenable à fon âge, l'ambition.

Une remarque à faire en paffant, c'eft que dans Racine l'amour eft l'ame de fes tragédies, & que la politique n'y paroît qu'en fecond ordre. Dans Corneille, au contraire, la politique occupe fouvent le premier rang, & l'amour le fecond; auffi chez ce dernier les pieces font plus admirables qu'intéreffantes.

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