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PRÉFACE

DES ÉDITEURS.

RACINE

ACINE, dans Bajazet, fuivit une route qu'on n'avoit point encore ofé fréquenter. On regarda comme une nouveauté de voir des Turcs fur le théâtre. L'histoire de cette nation n'étoit point alors connue comme elle l'eft aujourd'hui; d'ailleurs, depuis la renaissance des lettres on n'avoit point hafardé de mettre en action un fujet récent. Cette tentative fut accueillie avec d'autant plus de raifon, qu'elle fembloit ouvrir à tous les poëtes une nouvelle carriere à par

courir.

Racine a fait entrer dans cette piece les principaux événements de l'hiftoire de l'Empire Ottoman; la défaite de Bajazet I par Tamerlan ; la gloire du regne de Soliman I, la prife de Rhodes, fes autres victoires en Afrique, en Perfe & en Hongrie, fon mariage avec Roxelane; le meurtre d Ofman II, devenu le jouet

d'une populace infolente; la révolte des Spahis, qui penfa faire perdre à Amurat le trône & la vie; enfin le fiége de Bagdad. On ne peut trop admirer l'art avec lequel ce poëte a fçu profiter de ces différents traits; la maniere dont il les a expofés dans fon drame, nous dif penfe d'en donner le précis.

Quoique Racine ait fuivi exactement l'hiftoire en bien des points, & qu'il fe foit conformé autant qu'il l'a pu aux ufages des Turcs, le jugement de Corneille n'est pas pourtant fans fondement. On rapporte que ce grand homme, affiftant à la premiere repréfentation de Bajazet, dit à Segrais, placé auprès de lui, que les perfonnages de cette tragédie avoient, fous des habits turcs, des fentiments françois. Je ne le dis qu'à vous ajouta-t-il, d'autres croiroient que la jaloufie me fait parler.

Cette tragédie fut représentée le 4 ou 5 Janvier 1672, fur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne. On n'en fit point de critique en forme; on fe contenta d'y reprendre en gros quelques défauts. Une femme de beaucoup d'efprit ( Madame de Sévigné), pour refter, comme elle

le dit elle-même, fidelle à ses vieilles admirations, ne porta point fur Bajazet un jugement favorable. Cela prouve feulement qu'une femme peut avoir beaucoup d'efprit, & n'être pas en état de juger une piece de théâtre. Il nous femble cependant que fi le peintre inimitable du cœur humain, lui qui a exprimé avec tant de graces & de vérité les charmes & les fureurs de l'amour, devoit trouver des partisans & des défenfeurs, ce devroit être fur-tout parmi les femmes.

PREFACE DE L'AUTEUR.

Sultan Amurat, ou fultan Morat, empereur des Turcs, &c.]

C'est Amurat IV, dix-feptieme fultan de la race des Ottomans, né en 1609, mis fur le trône en 1623, & mort d'un accès de fievre en 1639. Il étoit fils d'Achmet I, quinzieme fultan, mort en 1617 après un regne de quatorze ans & quatre mois.

On peut dire que le refpect que l'on a pour les héros s'augmente à mesure qu'ils s'éloignent de nous. ]

Ce paffage ne prouveroit-il pas que pour rendre les héros plus dignes de notre admiration, il faut les faire paroître, non tels qu'ils font, mais tels qu'ils doivent être; car pourquoi le refpe&t pour les héros s'augmente-t-il à mesure qu'ils s'eloignent de nous ? C'est qu'un homme, quelque grand qu'il foit, a toujours des foibleffes, & que la connoiffance que nous en avons, ne peut manquer d'affoiblir l'idée d'eftime ou d'adiniration qu'on veut nous infpirer pour lui. Si, malgré la distance des temps & des lieux, le poëte nous représente fon héros tel qu'il étoit avec toutes fes foibleffes, & il le remet, pour ainfi dire, parmi nous, nous infpire d'autant moins de refpe&t pour lui, qu'il le rend plus femblable à nous.

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