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Cependant prenez garde de ne pas l'obscurcir: elle veut être ornée; mais elle ne veut rien qui la cache. Le voile le plus léger l'embarraffe.

On ne fauroit donc trop étudier fon sujet. D'abord il le faut dépouiller de tout ce qui lui eft étranger, enfuite le confidérer par rapport à la fin qu'on fe propofe, & n'employer pour l'embellir & pour le développer, que des idées qui fe lient également à ces deux points fixes.

Dans les détails du ftyle, il faut, parmi les tours qui fe conforment à la plus grande liaison des idées, choifir ceux qui expriment l'intérêt qu'il eft raisonnable de prendre aux vérités qu'on enfeigne. Le style feroit ridicule, fi les expreffions marquoient un intérêt trop grand: il feroit froid, fi elles n'en marquoient aucun. Quoique le propre du philofophe foit de voir, il n'est pas condamné à être privé de fentiment; & on s'intéreffe peu aux matieres qu'il traite, s'il ne paroît pas s'y intéreffer lui-même.

Il observera tout ce que nous avons dit dans le premier livre fur les conftructions, & dans le fecond fur les différentes efpeces de tours; & il employera des figures, moins pour donner de l'agrément à fon ftyle, que pour répandre une plus grande lumiere

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CHAPITRE III.

De la narration.

Es préceptes font ici les mêmes. Toute narration a un objet, & dès-lors les circonftances & les ornemens font déterminés, ainfi que les tours propres à infpirer l'intérêt qu'elle mérite.

Ce qu'il y a de particulier à l'histoire, c'est que la néceffité de rapporter des faits qui font arrivés en même tems, ne permet pas de fe paffer de tranfitions. Mais les tranfitions ne doivent pas être des morceaux appliqués uniquement pour paffer d'un fait à un autre: il faut les tirer du fond du fujet. Elles doivent exprimer les rapports qui font entre toutes les parties, & les lier par ce qu'elles ont de commun, ou par les oppofitions qu'on remarque entr'elles époques, caufes, effets, circonftances, &c.

Ce qui rend l'histoire difficile à écrire, c'est la multitude des chofes dont elle fait fon objet & le grand nombre de connoiffances néceffaires pour les traiter: religion, législation, gouvernement, droit public, politique, ufages, mœurs, arts, fciences, commerce. C'eft relativement à tous ces objets que les faits doivent être choifis & détaillés, & on doit négliger tout ce qui ne fert point à les faire connoître.

Celui qui entreprend d'écrire l'hiftoire d'un peuple, eft libre de ne pas l'embraffer dans toutes

les parties. Mais quoiqu'il fe borne à quelquesunes, il faut qu'il ait étudié les autres: il faut furtout qu'il connoiffe le gouvernement, auquel tout le refte eft en quelque forte fubordonné. Car le gouvernement favorife les progrès de chaque chofe, ou y met obftacle. Mais lui-même dépend du climat, & de mille influences étrangères, morales & phyfiques. Il faut donc le confidérer fous ce point de vue.

Si le gouvernement influe fur les mœurs, les mœurs influent fur le gouvernement. Quel que foit donc l'objet qu'un hiftorien se propofe, il doit encore connoître les mœurs. S'il les ignore, il n'aura pas derègle affez certaine pour le choix des faits, ou du moins il ne les développera qu'imparfaitement.

Il feroit à fouhaiter que chaque hiftorien écrivît fur les chofes qu'il fait le mieux, & dont il eft capable de faire connoître les commencemens, les progrès & la décadence. L'un s'appliqueroit à donner la connoiffance des loix, l'autre du commerce, le troifieme de l'art militaire ; & ainfi du refte.

Il eft vrai, & je viens de le dire, qu'aucune de ces parties ne pourroit être bien traitée par celui qui ignoreroit tout-à-fait les autres: mais fi on n'a pas affez étudié le gouvernement, les loix, la politique, pour en faire des tableaux bien détaillés, on pourra du moins les connoître affez pour écrire, par exemple, l'hiftoire militaire.

Par-là, on auroit du même peuple plufieurs hiftoires également curieufes, & toutes propres à inftruire chaque citoyen fuivant fon état.

En général, Monfeigneur, on ne peut bien écrire que fur les matieres qu'on a approfondies.

En effet, comment traiter un fujet, fi on ne le connoît pas affez pour déterminer l'objet qu'on fe propofe? Si on ne voit pas, par où on doit commencer, par où on doit finir, & par où on doit paffer, n'eft-ce pas-là ce qui doit déterminer jufqu'aux acceffoires, dont il faut accompagner chaque penfée?

Le style de l'histoire doit être rapide dans les récits, précis dans les réflexions, grand & fort dans les descriptions & dans les tableaux. L'ordre doit régner par-tout, & les tranfitions ne fauroient être trop fimples.

La rapidité des récits veut que les phrafes foient courtes, & qu'on élague tous les détails inutiles à l'objet qu'on a en vue.

La précifion des réflexions confifte dans des maximes, qui font les résultats d'un grand nombre d'observations.

Le ftyle périodique convient particuliérement aux defcriptions; car celui qui décrit peut raffembler plus d'idées que celui qui narre ou qui raifonne: & même il le doit. Une defcription est le tableau de plufieurs chofes qui font réunies, & qui ne font qu'un tout.

C'eft d'après les faits qu'il faut peindre un homme, & non d'après l'imagination : car les portraits ne font intéreffans, qu'autant qu'ils font vrais. La touche en doit être forte, les couleurs bien fondues. Un pinceau maniéré fait des peintures froides: il s'appéfantit fur des détails inutiles, & il dégroffit à peine les principaux traits. Il y a des écrivains qui reffemblent à des peintres, qui font bien une coeffure, une draperie, tout, excepté la figure.

Il faut un grand fond de jugement pour bien faire un portrait, & la plupart de ceux qui fe piquent d'exceller en ce genre, ont tout au plus ce qu'on appelle par abus efprit. Ils courent après les antithefes, ils s'épuifent pour trouver des distinctions fines, ils ne fongent qu'à faire de jolies phrafes, & la reffemblance eft la feule chofe dont ils ne font pas occupés.

Les loix font les mêmes pour les ouvrages d'invention, tels que les romans: car foit que vous imaginiez les faits, foit que vous les preniez dans l'hiftoire, c'est toujours à l'objet que vous vous propofez, à marquer les détails dans lesquels vous devez entrer, à mettre chaque chofe à fa place, à donner à chacune l'expreffion convenable, en un mot, à faire un enfemble dont toutes les parties foient bien proportionnées. La feule différence qu'il y ait entre celui qui écrit l'histoire & celui qui écrit des romans, c'eft que le premier peint les caracteres d'après les faits, & que le fecond imagine les faits d'après les caracteres fuppofés.

Voilà les principes généraux: nous aurons plus d'une fois occafion de les expliquer.

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