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ducs et pairs, les hommes les plus distin- 1789. gués du royaume, toutes les dames de la cour, assistaient à cette cérémonie et en augmentaient l'éclat. Avec quelle émotion ne vit-on pas s'avancer vers son trône un monarque jeune encore qui portait, sur tous les traits de sa figure calme, bienveillante et régulière, l'empreinte des pures vertus de son âme; un monarque, héritier de la plus ancienne et de la plus auguste dynastie du monde, à qui la nation devait déjà des jours de gloire et grand nombre d'institutions et de réformes bienfaisantes, et qui, ramenant des états-généraux interrompus depuis 175 ans, venait solennellement abdiquer le pouvoir absolu; exemple plus rare encore que celui d'abdiquer le trône. D'une voix ferme et sonore, et avec l'accent d'une sensibilité mesurée, mais profonde, il prononça un discours où se peignaient là droiture de ses intentions et son amour pour son peuple. Les deux partis, préoccupés de leurs discordes, s'attendaient à quelque parole royale qui préjugerait ou déciderait le mode de la délibération. Ce mot ne fut pas prononcé, et l'effet d'un discours touchant, sincère et conciliateur, fut perdu. Celui du garde des sceaux (Barentin) parut vague et

1789.

sans couleur. Necker répondit faiblement à
l'attente de ses nombreux admirateurs. Il
parla long-temps des finances, et ce sujet
semblait déjà gothique. Il eut tort de parler
fastueusement des prodiges de son second
ministère, qui ne datait que de six mois.
Suivant lui le déficit, que son prédécesseur
avait confessé surpasser cent millions, ne se
réduisait plus qu'à cinquante-quatre mil-
lions. Le roi, ajoutait-il, possédait de puis-
sans moyens de le combler par ses écono-
mies et par le retour du crédit public. La
convocation des états-généraux n'était donc
plus strictement nécessaire. Le roi ne les
avait appelés que par fidélité pour sa parole
et pour mettre plus d'harmonie dans les
constitutions du royaume. Cette déclaration
parut fanfarone à plusieurs députés, impo-
litique aux autres, parce qu'elle fournissait
des prétextes au zèle turbulent des novateurs.
Quand il en vint au point dont les esprits
étaient préoccupés, c'est-à-dire, au mode de
délibération à suivre par les trois ordres, il
sembla éviter d'être clair. Le tiers-état crut
pouvoir traduire ainsi les paroles du ministre :
«Je vous ai donné la double représentation;
c'est à vous à conquérir la délibération en
> commun. Les deux ordres privilégiés lui

surent peu de gré de ses ménagemens crain- 1789. tifs, et s'obstinèrent à ne voir qu'hypocrisie

dans sa modération.

des trois ordres.

Le lendemain les ordres se réunirent dans Séparation leurs salles respectives pour la vérification des pouvoirs. Le tiers-état, à qui l'on avait ménagé la salle la plus vaste, et capable de contenir les trois ordres, parut s'étonner de ne voir arriver ni la noblesse ni le clergé. A quoi lui servait l'avantage du doublement, si la délibération ne se faisait en commun? La séparation qu'affectaient les deux ordres privilégiés, lui parut une déclaration de guerre; mais il sut se contenir, et suivit avec patience et dextérité un plan d'inertie calculée. Pendant plusieurs semaines, au milieu des embarras les plus urgens des finances et des rapides progrès de l'anarchie, les trois ordres ne sortirent pas de leur enceinte particulière et y restèrent inactifs; mais le tiersétat assurait chaque jour sa position. Sur six cents députés qui le composaient, soixantedix ou quatre-vingts, à la tête desquels étaient Mounier, Malouet, Bergasse, et alors Thouret, montrèrent de la répugnance à prendre un parti absolu, et voulaient ménager encore les ordres privilégiés. Mais il n'était ni dans leur vœu ni dans leur pouvoir de se

1789. joindre aux deux ordres qui ne les appelaient pas; tandis que la noblesse et le clergé renfermaient chacun une minorité assez imposante qui brûlait d'aller se joindre au tiersétat, et n'était retenue que par la crainte du blâme qui suit les défections. Rien n'était plus facile au tiers-état que de négocier avec succès auprès des hommes qui formaient ces deux minorités, et qui supportaient impatiemment, au milieu de leur ordre, des reproches souvent aggravés par le dédain. Le tiers-état seul envoyait des commissaires aux deux ordres, et le clergé les recevait avec des égards qui lui étaient prescrits par le caractère pacifique du sacerdoce. Le député Target produisit dans cet ordre une vive impression, en venant l'adjurer de se réunir au tiers-état au nom du Dieu de paix. Les curés applaudirent avec une bonhomie qui devait mal trouver sa récompense.

Conduite

de la cour et

Que faisait cependant le ministère ? que du ministère. faisait la cour? Malheureusement le ministère et la cour suivaient une direction tout-à-fait opposée, et le roi qui eût voulu tenir la balance entre les deux ordres, la tenait d'une main peu ferme entre ses plus intimes conseillers. Il modifiait les plans des uns par plans des autres, et différant d'agir, courait

les

le risque de n'agir plus que mal à propos. Il 1789. est vrai que le roi avait déjà fait offrir sa médiation aux trois ordres; mais personne ne pouvait se former une idée juste et précise du plan de conciliation sur lequel Necker insistait. « Délibérez en commun, disait»il, lorsqu'il s'agira d'affaires qui demandent » l'unité de résolution et l'unité d'action et » d'intérêt. Délibérez par ordre dans les oc»casions moins urgentes, afin de ralentir le goût des innovations. » On lui demandait qui serait le juge de cette urgence; il répondait le roi. Alors on se soulevait dans les deux partis. Le gouvernement, disait-on, aurait dans ce mode arbitraire un moyen infaillible pour faire passer toutes les résolutions qui lui conviendraient. Il y avait une manière beaucoup plus simple et beaucoup plus forte de résoudre la difficulté ; c'était que le clergé et la noblesse réunis formassent une chambre haute, investie du pouvoir et des prérogatives de celle d'Angleterre. Necker inclinait visiblement vers ce parti pour lequel se déclaraient les esprits les plus sages; mais il n'osait le proposer ni aux trois ordres ni au roi, à qui il répugnait alors de jouer le rôle d'un roi d'Angleterre. Pour réussir dans ce projet, aussi salutaire que

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