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Les chefs de l'armée s'assemblent pour délibérer sur la demande des Dauniens. Télémaque, après avoir rendu les derniers devoirs à Pisistrate, fils de Nestor, se rend à l'assemblée, où la plupart sont d'avis de partager entre eux le pays des Dauniens, et offrent à Télémaque pour sa part la fertile contrée d'Arpine. Bien loin d'accepter cette offre, Télémaque fait voir que l'intérêt commun des alliés est de laisser aux Dauniens leurs terres, et de leur donner pour roi Polydamas, fameux capitaine de leur nation, non moins estimé pour sa sagesse que pour sa valeur. Les alliés consentent à ce choix, qui comble de joie les Dauniens. Télémaque persuade ensuite à ceux-ci de donner la contrée d'Arpine à Diomède, roi d'Étolie, qui étoit alors poursuivi avec ses compagnons par la colère de Vénus qu'il avoit blessée au siége de Troie. Les troubles étant ainsi terminés, tous les princes ne songent plus qu'à se séparer pour s'en retourner chacun dans son pays.

LES chefs de l'armée s'assemblèrent dès le lendemain, pour accorder un roi aux Dauniens. On prenoit plaisir à voir les deux camps confondus par une amitié si inespérée, et les deux armées qui n'en faisoient plus qu'une. Le sage Nestor ne put se trouver dans ce conseil, parce que la douleur, jointe à la vieillesse, avoit flétri son cœur, comme la pluie abat et fait languir, le soir, une fleur qui étoit, le matin, pendant la naissance de l'aurore, la gloire et l'ornement des vertes campagnes. Ses yeux étoient devenus deux fontaines de larmes qui ne pouvoient tarir : loin d'eux s'en

fuyoit le doux sommeil, qui charme les plus cuisantes peines. L'espérance, qui est la vie du cœur de l'homme, étoit éteinte en lui. Toute nourriture étoit amère à cet infortuné vieillard; la lumière même lui étoit odieuse : son âme ne demandoit plus qu'à quitter son corps ', et qu'à se plonger dans l'éternelle nuit de l'empire de Pluton. Tous ses amis lui parloient en vain: son cœur, en défaillance, étoit dégoûté de toute amitié; comme un malade est dégoûté des meilleurs alimens. A tout ce qu'on pouvoit lui dire de plus touchant, il ne répondoit que par des gémissemens et des sanglots. De temps en temps on l'entendoit dire: O Pisistrate, Pisistrate! Pisistrate, mon fils, tu m'appelles! Je te suis : Pisistrate, tu me rendras la mort douce. O mon cher fils! je ne désire plus pour tout bien, que de te revoir sur les rives du Styx. Il passoit des heures entières sans prononcer aucune parole, mais gémissant, et levant les mains et les yeux noyés de larmes vers le ciel.

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Cependant les princes assemblés attendoient Télémaque, qui étoit auprès du corps de Pisistrate il répandoit sur son corps des fleurs à pleines mains; il y ajoutoit des parfums exquis, et versoit des larmes amères. O mon cher compagnon! disoit-il, je n'oublierai jamais de t'avoir vu à Pylos, de t'avoir suivi à Sparte, de t'avoir VARIANTES. qu'à mourir. A. et m. A. aj. B.

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I

retrouvé sur les bords de la grande Hespérie; je te dois mille soins : je t'aimois, tu m'aimois aussi. J'ai connu ta valeur ; elle auroit surpassé celle de plusieurs Grecs fameux. Hélas! elle t'a fait périr avec gloire, mais elle a dérobé au monde une vertu naissante qui eût égalé celle de ton père : oui, ta sagesse et ton éloquence, dans un âge mûr, auroit été semblable à celle de ce vieillard, admiré de toute la Grèce. Tu avois déjà cette douce insinuation à laquelle on ne peut résister quand il parle, ces manières naïves de raconter, cette sage modération qui est un charme pour apaiser les esprits irrités, cette autorité qui vient de la prudence et de la force des bons conseils. Quand tu parlois, tous prêtoient l'oreille, tous étoient prévenus, tous avoient envie de trouver que tu avois raison: ta parole, simple et sans faste, couloit doucement dans les cœurs, comme la rosée sur l'herbe naissante. Hélas! tant de biens que nous possédions, il y a quelques heures, nous sont enlevés à jamais. Pisistrate, que j'ai embrassé ce matin, n'est plus; il ne nous en reste qu'un douloureux souvenir. Au moins si tu avois fermé les yeux de Nestor avant que ' l'admiration. B. c. Edit. L'auteur avoit d'abord mis, qui a été l'admiration : ensuite il a effacé qui a été, et tion, en substituant un é à l'a du mot admiration. Mais comme il oublia de biffer l'au commencement de ce mot, le copiste в a lu et écrit l'admir: Fénelon, pour faire un sens, ajouta ation; leçon suivie depuis 1717. Nous suivons l'original.

VAR.

nous eussions fermé les tiens, il ne verroit pas ce qu'il voit, il ne seroit pas le plus malheureux de tous les pères.

Après ces paroles, Télémaque fit laver la plaie sanglante qui étoit dans le côté de Pisistrate; il le fit étendre dans un lit de pourpre, où sa tête penchée ', avec la pâleur de la mort, ressembloit à un jeune arbre qui, ayant couvert la terre de son ombre, et poussé vers le ciel des rameaux fleuris, a été entamé par le tranchant de la cognée d'un bûcheron : il ne tient plus à sa racine ni à la terre, mère féconde qui nourrit les tiges dans son sein; il languit, sa verdure s'efface; il ne peut plus se soutenir, il tombe : ses rameaux, qui cachoient le ciel, traînent sur la poussière, flétris et desséchés; il n'est plus qu'un tronc abattu et dépouillé de toutes ses grâces. Ainsi Pisistrate, en proie à la mort, étoit déjà emporté par ceux qui devoient le mettre dans le bûcher fatal. Déjà la flamme montoit vers le ciel. Une troupe de Pyliens, les yeux baissés et pleins de larmes, leurs armes renversées, le conduisoient lentement. Le corps est bientôt brûlé : les cendres sont mises dans une urne d'or; et Télémaque, qui prend soin de tout, confie cette urne, comme un grand trésor, à Callimaque, qui avoit été le gouverneur de Pisistrate. Gardez, lui dit-il, ces cendres, tristes mais précieux restes 'penchée sur l'épaule. a. ses. B. c. Edit. f. du cop.

VAR.

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de celui que vous avez aimé; gardez-les pour son père : mais attendez à les lui donner, quand il aura assez de force pour les demander; ce qui irrite la douleur en un temps, l'adoucit en un

autre.

Ensuite Télémaque entra dans l'assemblée des rois ligués, où chacun garda le silence pour l'écouter dès qu'on l'aperçut; il en rougit, et on ne pouvoit le faire parler. Les louanges qu'on lui donna, par des acclamations publiques, sur tout ce qu'il venoit de faire, augmentèrent sa honte; il auroit voulu se pouvoir cacher; ce fut la première fois qu'il parut embarrassé et incertain. Enfin il demanda comme une grâce qu'on ne lui donnât plus aucune louange. Ce n'est pas, dit-il, que je ne les aime, surtout quand elles sont données par de si bons juges de la vertu; mais c'est que je crains de les aimer trop elles corrompent les hommes; elles les remplissent d'eux-mêmes; elles les rendent vains et présomptueux. Il faut les mériter et les fuir : les meilleures louanges ressemblent aux fausses. Les plus méchans de tous les hommes, qui sont les tyrans, sont ceux qui se sont fait le plus louer par des flatteurs. Quel plaisir y a-t-il à être loué comme eux? Les bonnes louanges sont celles que vous me donnerez en mon absence, si je suis assez heureux pour en mériter. Si vous me croyez véritablement bon, vous devez croire aussi que je

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