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pêchât l'effet des remèdes. Tout à coup il aperçoit Télémaque qui se présente à lui. D'abord son cœur fut combattu par deux passions contraires. Il conservoit un ressentiment de tout ce qui s'étoit passé entre Télémaque et Hippias; la douleur de la perte d'Hippias rendoit ce ressentiment encore plus vif: d'un autre côté, il ne pouvoit ignorer qu'il devoit la conservation de sa vie à Télémaque, qui l'avoit tiré sanglant et à demi mort des mains d'Adraste. Mais quand il vit l'urne d'or où étoient renfermées les cendres si chères de son frère Hippias, il versa un torrent de larmes; il embrassa d'abord Télémaque sans pouvoir lui parler, et lui dit enfin d'une voix languissante et entrecoupée de sanglots :

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Digne fils d'Ulysse, votre vertu me force à vous aimer; je vous dois ce reste de vie qui va s'éteindre: mais je vous dois quelque chose qui m'est bien plus cher. Sans vous, le corps de mon frère auroit été la proie des vautours; sans vous, son ombre, privée de la sépulture, seroit malheureusement errante 4 sur les rives du Styx, et toujours repoussée par l'impitoyable Charon. Faut-il que je doive tant à un homme que j'ai tant haï ! O dieux ! récompensez-le, et délivrez-moi d'une vie si malheureuse! Pour vous 5, ô Télémaque,

VAR.

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5 Et

'mais il ne pouvoit ignorer. a. — d'abord m. A. aj. B. 3 et m. A. 4 erreroit malheureusement. A. B. aj. B. vous, Télémaque. a.

rendez-moi les derniers devoirs que vous avez rendus à mon frère, afin que rien ne manque à votre gloire.

A ces paroles, Phalante demeura épuisé et abattu d'un excès de douleur. Télémaque se tint auprès de lui sans oser lui parler, et attendant qu'il reprît ses forces. Bientôt Phalante, revenant de cette défaillance, prit l'urne des mains de Télémaque, la baisa plusieurs fois, l'arrosa de ses larmes, et dit: O chères, ô précieuses cendres! quand est-ce que les miennes seront renfermées avec vous dans cette même urne? O ombre d'Hippias! je te suis dans les enfers: Télémaque nous vengera tous deux.

Cependant le mal de Phalante diminua de jour en jour par les soins des deux hommes qui avoient la science d'Esculape. Télémaque étoit sans cesse avec eux auprès du malade, pour les rendre plus attentifs à avancer sa guérison, et toute l'armée admiroit bien plus la bonté de cœur avec laquelle il secouroit son plus grand ennemi, que la valeur et la sagesse qu'il avoit montrées, en sauvant, dans la bataille, l'armée des alliés.

En même temps, Télémaque se montroit infatigable dans les plus rudes travaux de la guerre; il dormoit peu, et son sommeil étoit souvent interrompu, ou par les avis qu'il recevoit à toutes les heures de la nuit comme du jour, ou par la visite de tous les quartiers du camp, qu'il ne fai

soit jamais deux fois de suite aux mêmes heures, pour mieux surprendre ceux qui n'étoient pas assez vigilans. Il revenoit souvent dans sa tente couvert de sueur et de poussière : sa nourriture étoit simple; il vivoit comme les soldats, pour leur donner l'exemple de la sobriété et de la patience. L'armée ayant peu ' de vivres dans ce campement, il jugea nécessaire d'arrêter les murmures des soldats, en souffrant lui-même volontairement les mêmes incommodités qu'eux. Son corps, loin de s'affoiblir dans une vie si pénible, se fortifioit et s'endurcissoit chaque jour; il commençoit à n'avoir plus ces grâces si tendres qui sont comme la fleur de la première jeunesse; son teint devenoit plus brun et moins délicat, ses membres moins mous et plus nerveux.

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LIVRE XIV.'

Télémaque, persuadé par divers songes que son père Ulysse n'est plus sur la terre, exécute le dessein qu'il avoit conçu depuis long-temps, de l'aller chercher dans les enfers. Il se dérobe du camp, pendant la nuit, et se rend à la fameuse caverne d'Achérontia. Il s'y enfonce courageusement, et arrive bientôt au bord du Styx, où Charon le reçoit dans sa barque. Il va se présenter devant Pluton, qui lui permet de chercher son père dans les enfers. Il traverse d'abord le Tartare, où il voit les tourmens que souffrent les ingrats, les parjures, les impies, les hypocrites, et surtout les mauvais rois. Il entre ensuite dans les Champs-Élysées, où il contemple avec délices la félicité dont jouissent les hommes justes, et surtout les bons rois qui, pendant leur vie, ont sagement gouverné les hommes. Il est reconnu par Arcésius, son bisaïeul, qui l'assure qu'Ulysse est vivant, et qu'il reprendra bientôt l'autorité dans Ithaque, où son fils doit régner après lui. Arcėsius donne à Télémaque les plus sages instructions sur l'art de régner. Il lui fait remarquer combien la récompense des bons rois qui ont principalement excellé par la justice et par ·la vertu, surpasse la gloire de ceux qui ont excellé par la valeur. Après cet entretien, Télémaque sort du ténébreux empire de Pluton, et retourne promptement au camp des alliés,

CEPENDANT Adraste, dont les troupes avoient été considérablement affoiblies dans le combat, s'étoit retiré derrière la montagne d'Aulon, pour attendre divers secours, et pour tâcher de surprendre encore une fois ses ennemis : semblable à un lion affamé, qui, ayant été repoussé d'une

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bergerie, s'en retourne dans les sombres forêts, et rentre dans sa caverne, où il aiguise ses dents et ses griffes, attendant le moment favorable égorger tous les troupeaux.

pour

I

Télémaque, ayant pris soin de mettre une exacte discipline dans tout le camp, ne songea plus qu'à exécuter un dessein qu'il avoit conçu, et qu'il cacha à tous les chefs de l'armée. Il y avoit déjà long-temps qu'il étoit agité, pendant toutes les nuits, par des songes qui lui représentoient son père Ulysse. Cette chère image revenoit toujours sur la fin de la nuit, avant que l'aurore vînt chasser du ciel, par ses feux naissans, les inconstantes étoiles, et de dessus la terre le doux sommeil, suivi des songes voltigeans. Tantôt il croyoit voir Ulysse nu, dans une île fortunée, sur la rive d'un fleuve, dans une prairie ornée de fleurs, et environné de nymphes qui lui jetoient des habits pour se couvrir; tantôt il croyoit l'entendre parler dans un palais tout éclatant d'or et d'ivoire, où des hommes couronnés de fleurs l'écoutoient avec plaisir et admiration. Souvent Ulysse lui apparoissoit tout à coup dans des festins où la joie éclatoit parmi les délices, et où l'on entendoit les tendres accords d'une voix avec une lyre plus douces que la lyre d'Apollon, et que les voix de toutes les Muses. Télémaque, en s'éveillant, s'attristoit de ces Cette image d'Ulysse. a.

VAR.

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