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Neoptolème, partons, il est inutile de lui parler : la compassion pour un seul homme ne doit pas nous faire abandonner le salut de la Grèce entière.

Alors je me sentis comme une lionne à qui on vient d'arracher ses petits; elle remplit les forêts de ses rugissemens. O caverne, disois-je, jamais je ne te quitterai; tu seras mon tombeau ! O séjour de ma douleur, plus de nourriture, plus d'espérance! qui me donnera un glaive pour me percer? Oh! si les oiseaux de proie pouvoient m'enlever!.... Je ne les percerai plus de mes flèches! O arc précieux, arc consacré par les mains du fils de Jupiter! O cher Hercule, s'il te reste encore quelque sentiment, n'es-tu pas indigné ? Cet arc n'est plus dans les mains de ton fidèle ami; il est dans les mains impures et trompeuses d'Ulysse. Oiseaux de proie, bêtes farouches, ne fuyez plus cette caverne, mes mains n'ont plus de flèches. Misérable, je ne puis vous nuire, venez m'enlever! ou plutôt que la foudre de l'impitoyable Jupiter m'écrase!

Votre père, ayant tenté tous les autres moyens pour me persuader, jugea enfin que le meilleur étoit de me rendre mes armes; il fit signe à Néoptolème qui me les rendit aussitôt. Alors je lui dis Digne fils d'Achille, tu montres que tu

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VAR.

-' me dévorer. Edit. sans autorité. Aussitôt je lui dis. a.

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qui me les rendit.

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l'es mais laisse-moi percer mon ennemi. Aussitôt je voulus tirer une flèche contre votre père; mais Néoptoleme m'arrêta, en me disant La colère vous trouble, et vous empêche de voir l'indigne action que vous voulez faire. Pour Ulysse, il paroissoit aussi tranquille contre mes flèches que contre mes injures. Je me sentis touché de cette intrépidité et de cette patience. J'eus honte d'avoir voulu, dans ce premier transport, me servir de mes armes pour tuer celui qui me les avoit fait rendre; mais, comme mon ressentiment n'étoit pas encore apaisé, j'étois inconsolable de devoir mes armes à un homme que je haïssois tant. Cependant Néoptolème me disoit : Sachez que le divin Hélénus, fils de Priam, étant sorti de la ville de Troie par l'ordre et par l'inspiration des dieux, nous a dévoilé l'avenir. La malheureuse Troie tombera, a-t-il dit; mais elle ne peut tomber qu'après qu'elle aura été attaquée par celui qui tient les flèches d'Hercule cet homme ne peut guérir que quand il sera devant les murailles de Troie; les enfans d'Esculape le guériront.

En ce moment je sentis mon cœur partagé : j'étois touché de la naïveté de Néoptolème et de la bonne foi avec laquelle il m'avoit rendu mon arc; mais je ne pouvois me résoudre à voir encore le jour, s'il falloit céder à Ulysse; et une mauvaise honte me retenoit en suspens. Me ver

VIII.

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ra-t-on, disois-je en moi-même, avec Ulysse et avec les Atrides? Que croira-t-on de moi?

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Pendant que j'étois dans cette incertitude, tout à coup j'entends une voix plus qu'humaine : je vois Hercule dans un nuage éclatant; il étoit environné de rayons de gloire. Je reconnus facilement ses traits un peu rudes " son corps robuste et ses manières simples; mais il avoit une hauteur et une majesté qui n'avoient jamais paru si grandes en lui quand il domptoit les monstres. Il me dit : Tu entends, tu vois Hercule. J'ai quitté le haut Olympe pour t'annoncer les ordres de Jupiter. Tu sais par quels travaux j'ai acquis l'immortalité : il faut que tu ailles avec le fils d'Achille, pour marcher sur mes traces dans le chemin de la gloire. Tu guériras; tu perceras de mes flèches Pâris auteur de tant de maux. Après la prise de Troie, tu enverras de riches dépouilles à Péan ton père, sur le mont OEta; ces dépouilles seront mises sur mon tombeau comme un monument de la victoire due à mes flèches. Et toi, ò fils d'Achille! je te déclare que tu ne peux vaincre sans Philoctète, ni Philoctète sans toi. Allez donc comme deux lions qui cherchent ensemble leur proie. J'enverrai Esculape à Troie pour guérir Philoctète. Surtout, ô Grecs! aimez et observez la religion : le reste meurt; elle ne meurt jamais.

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un peu grossiers. a. 2 si grandes m. s. aj. B.

Après avoir entendu ces paroles, je m'écriai : O heureux jour, douce lumière, tu te montres ainsi enfin après tant d'années! Je t'obéis, je pars après avoir salué ces lieux. Adieu, cher antre. Adieu, nymphes de ces prés humides. Je n'entendrai plus le bruit sourd des vagues de cette mer. Adieu, rivage où tant de fois j'ai souffert les injures de l'air. Adieu, promontoire où Écho répéta tant de fois mes gémissemens. Adieu, douces fontaines qui me fûtes si amères. Adieu, ô terre de Lemnos; laisse-moi partir heureusement, puisque je vais où m'appelle la volonté des dieux et de mes amis !

Ainsi nous partîmes : nous arrivâmes au siége de Troie. Machaon et Podalyre, par la divine science de leur père Esculape, me guérirent, ou du moins me mirent dans l'état où vous me voyez. Je ne souffre plus; j'ai retrouvé toute ma vigueur; mais je suis un peu boiteux. Je fis tomber Pâris comme un timide faon de biche qu'un chasseur perce de ses traits. Bientôt Ilion fut réduite en cendres; vous savez le reste. J'avois néanmoins encore je ne sais quelle aversion pour le sage Ulysse, par le souvenir de mes maux, et sa vertu ne pouvoit apaiser mon ressentiment; mais la vue d'un fils qui lui ressemble, et que je ne puis m'empêcher d'aimer, m'attendrit le cœur pour le père même.

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Télémaque, pendant son séjour chez les alliés, trouve de grandes difficultés pour se ménager parmi tant de rois jaloux les uns des autres. Il entre en différend avec Phalante, chef des Lacédémoniens, pour quelques prisonniers faits sur les Dauniens, et que chacun prétendoit lui appartenir. Pendant que la cause se discute dans l'assemblée des rois alliés, Hippias, frère de Phalante, va prendre les prisonniers pour les emmener à Tarente. Télémaque irrité attaque Hippias avec fureur, et le terrasse dans un combat singulier. Mais bientôt, honteux de son emportement, il ne songe qu'au moyen de le réparer. Cependant Adraste, roi des Dauniens, informé du trouble et de la consternation occasionnés dans l'armée des alliés par le différend de Télémaque et d'Hippias, va les attaquer à l'improviste. Après avoir surpris cent de leurs vaisseaux, pour transporter ses troupes dans leur camp, il y met d'abord le feu, commence l'attaque par le quartier de Phalante, tue son frère Hippias; et Phalante lui-même tombe percé de coups. A la première nouvelle de ce désordre, Télémaque, revêtu de ses armes divines, s'élance hors du camp, rassemble autour de lui l'armée des alliés, et dirige les mouvemens avec tant de sagesse, qu'il repousse en peu de l'ennemi victorieux. Il eût même remporté une victoire complète, si une tempête survenue n'eût séparé les deux armées. Après le combat, Télémaque visite les blessés, et leur procure tous les soulagemens dont ils peuvent avoir besoin. Il prend un soin particulier de Phalante, et des funérailles d'Hippias, dont il va lui-même porter les cendres à Phalante, dans une urne d'or.

PENDANT

temps

ENDANT que Philoctète avoit raconté ainsi ses aventures, Télémaque étoit demeuré comme sus

VARIANTES. ' LIVRE XVI.

2 avoit. A. B.

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