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n'entendoit plus que des cris de joie, que les chansons des bergers et des laboureurs qui célébroient leurs hyménées. On auroit cru voir le dieu Pan avec une foule de Satyres et de Faunes mêlés parmi les Nymphes, et dansant au son de la flûte à l'ombre des bois. Tout étoit tranquille et riant; mais la joie étoit modérée et les plaisirs ne servoient qu'à délasser des longs travaux; ils en étoient plus vifs et plus purs.

Les vieillards, étonnés de voir ce qu'ils n'avoient osé espérer dans la suite d'un si long âge, pleuroient par un excès de joie mêlée de tendresse; ils levoient leurs mains tremblantes vers le ciel. Bénissez, disoient-ils, ô grand Jupiter, le roi qui vous ressemble et qui est le plus grand don que vous nous ayez fait! Il est né pour le bien des hommes, rendez-lui tous les biens que nous recevons de lui. Nos arrière-neveux, venus de ces mariages qu'il favorise, lui devront tout, jusqu'à leur naissance; et il sera véritablement le père de tous ses sujets. Les jeunes hommes et les jeunes filles qu'ils épousoient ne faisoient éclater leur joie qu'en chantant les louanges de celui de qui cette joie si douce leur étoit venue. Les bouches, et encore plus les cœurs, étoient sans cesse remplis de son nom. On se croyoit heureux de le voir; on craignoit de le perdre; sa perte eût été la désolation de chaque famille.

Alors Idoménée avoua à Mentor qu'il n'avoit

jamais senti de plaisir aussi touchant que celui d'être aimé, et de rendre tant de gens heureux. Je ne l'aurois jamais cru, disoit-il : il me sembloit que toute la grandeur des princes ne consistoit qu'à se faire craindre; que le reste des hommes étoit fait pour eux, et tout ce que j'avois ouï dire des rois qui avoient été l'amour et les délices de leurs peuples me paroissoit une pure fable; j'en reconnois maintenant la vérité. Mais il faut que je vous raconte comment on avoit empoisonné mon cœur, dès ma plus tendre enfance, sur l'autorité des rois. C'est ce qui a causé tous les malheurs de ma vie. Alors Idoménée commença cette narration.

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Idoménée raconte à Mentor la cause de tous ses malheurs, son aveugle confiance en Protésilas, et les artifices de ce favori pour le dégoûter du sage et vertueux Philoclès: comment, s'étant laissé prévenir contre celui-ci, au point de le croire coupable d'une horrible conspiration, il envoya secrètement Timocrate pour le tuer, dans une expédition dont il étoit chargé. Timocrate, ayant manqué son coup, fut arrêté par Philoclès, auquel il dévoila toute la trahison de Protésilas. Philoclès se retira aussitôt dans l'île de Samos, après avoir remis le commandement de sa flotte à Polymène, conformément aux ordres d'Idoménée. Ce prince découvrit enfin les artifices de Protésilas; mais il ne put se résoudre à le perdre, et continua même de se livrer aveuglément à lui, laissant le fidèle Philoclès pauvre et déshonoré dans sa retraite. Mentor fait ouvrir les yeux à Idoménée sur l'injustice de cette conduite; il l'oblige à faire conduire Protésilas et Timocrate dans l'île de Samos, et à rappeler Philoclès pour le remettre en honneur. Hégésippe, chargé de cet ordre, l'exécute avec joie. Il arrive avec les deux traîtres à Samos, où il revoit son ami Philoclès content d'y mener une vie pauvre et solitaire. Celui-ci ne consent qu'avec beaucoup de peine à retourner parmi les siens mais, après avoir reconnu que les dieux le veulent, il s'embarque avec Hégésippe, et arrive à Salente, où Idoménée, entièrement changé par les sages avis de Mentor, lui fait l'accueil le plus honorable, et concerte avec lui les moyens d'affermir son gouvernement.

PROTÉSILAS, qui est un peu plus âgé que moi, fut celui de tous les jeunes gens que j'aimai le plus. Son naturel vif et hardi étoit selon mon goût : il entra dans mes plaisirs; il flatta mes passions; il me rendit suspect un autre jeune homme que

j'aimois aussi, et qui se nommoit Philoclès. Celuici avoit la crainte des dieux, et l'âme grande, mais modérée; il mettoit la grandeur, non à s'élever, mais à se vaincre, et à ne rien faire de bas. Il me parloit librement sur mes défauts; et lors même qu'il n'osoit me parler, son silence et la tristesse de son visage me faisoient assez entendre ce qu'il vouloit me reprocher. Dans les commencemens cette sincérité me plaisoit; et je lui protestois souvent que je l'écouterois avec confiance toute ma vie, pour me préserver des flatteurs. Il me disoit tout ce que je devois faire pour marcher sur les traces de mon aïeul Minos, et pour rendre mon royaume heureux. Il n'avoit pas une aussi profonde sagesse que vous, ô Mentor, mais ses maximes étoient bonnes : je le reconnois maintenant. Peu à peu les artifices de Protésilas, qui étoit jaloux et plein d'ambition, me dégoûtèrent de Philoclès. Celui-ci étoit sans empressement, et laissoit l'autre prévaloir; il se contentoit de me dire toujours la vérité lorsque je voulois l'entendre. C'étoit mon bien, et non sa fortune, qu'il cherchoit.

Protésilas me persuada insensiblement que c'étoit un esprit chagrin et superbe qui critiquoit toutes mes actions; qui ne me deman'doit rien, parce qu'il avoit la fierté de ne vouloir rien tenir de moi, et d'aspirer à la réputation d'un homme qui est au-dessus de tous les hon

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neurs il ajouta que ce jeune homme, qui me parloit si librement sur mes défauts, en parloit aux autres avec la même liberté; qu'il laissoit assez entendre qu'il ne m'estimoit guère; et qu'en rabaissant ainsi ma réputation, il vouloit, par l'éclat d'une vertu austère, s'ouvrir le chemin à la royauté.

D'abord je ne pus croire que Philoclès voulût

me détrôner: il y a dans la véritable vertu une candeur et une ingénuité que rien ne peut contrefaire, et à laquelle on ne se méprend point, pourvu qu'on y soit attentif. Mais la fermeté de Philoclès contre mes foiblesses commençoit à me lasser. Les complaisances de Protésilas, et son industrie inépuisable pour m'inventer de nouveaux plaisirs, me faisoient sentir encore plus impatiemment l'austérité de l'autre.

Cependant Protésilas, ne pouvant souffrir que je ne crusse pas tout ce qu'il me disoit contre son ennemi, prit le parti de ne m'en parler plus, et de me persuader par quelque chose de plus fort que toutes les paroles. Voici comment il acheva de me tromper il me conseilla d'envoyer Philoclès commander les vaisseaux qui devoient attaquer ceux de Carpathie ; et, pour m'y déterminer, il me dit : Vous savez que je ne suis pas suspect dans les louanges que je lui donne : j'avoue qu'il a du courage et du génie pour la il vous guerre; servira mieux qu'un autre, et je préfère l'in

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