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croire d'après un passage du Simplicissimus, où l'auteur, comme en d'autres endroits, semble parler par la bouche de son héros.

Simplicissimus est en garnison à Soest, en Westphalie. Il suit les prédications du pasteur calviniste de l'endroit. Puis un jour il fait cette réflexion, << qu'on souffre souvent grand dommage pour s'attirer la haine des gens d'église, qui jouissent d'un grand crédit chez toutes les nations, à quelque religion qu'elles appartiennent ». Il va donc voir le pasteur, et lui demande dans quelle école on peut le mieux s'instruire des choses de la religion. Le pasteur lui conseille d'aller à Genève. « Jésus, Marie! s'écrie Simplice, c'est bien loin. - Qu'entends-je? dit le pasteur, monsieur est papiste? Comment? demande Simplice, est-on papiste pour ne pas vouloir aller à Genève? Non, répond le pasteur, mais vous invoquez la Vierge Marie. C'est Dieu seul qu'il faut honorer, et c'est l'Évangile seul qu'il faut croire. La religion calviniste a son fondement solide dans l'Évangile, un fondement que ni les luthériens ni les papistes n'ébranleront jamais. Simplice, mis en demeure de s'expliquer, dit : « Toutes les religions parlent ainsi : laquelle faut-il croire? Pensez-vous que ce soit une petite chose de confier le salut de son âme à un parti que deux autres accusent de mensonge? Je vois avec mon œil impartial ce que le jésuite Vetter et le moine déchaussé Nass impriment contre Luther, ce que

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Luther et les siens impriment de leur côté contre le pape, et Spangenberg contre saint François, qui pendant des siècles a été tenu pour un homme de Dieu. De quel parti me ranger, quand les autres crient sur les toits qu'il n'y a rien de bon en lui? Pensez-vous que j'aie tort de me réserver, jusqu'à ce que mon esprit soit bien éclairé et se rende compte de ce qui est blanc ou noir? Ou me conseillez-vous de me jeter aveuglément dans une croyance, comme la mouche se jette dans une bouillie chaude? J'aime mieux me tenir à l'écart,... à moins, ajoute malicieusement Simplice, que monsieur le pasteur ne se montre à moi comme le messager du Saint-Esprit et ne me dessille les yeux, comme Ananias a dessillé les yeux de saint Paul'. »

La théologie était pour Grimmelshausen, comme pour tous ses contemporains, la première des sciences. Il l'effleura, plutôt qu'il ne l'approfondit, et il fit de même pour tout ce qui constituait alors le savoir d'un « honnête homme ». Un critique du temps, dont le nom ne nous est pas connu, un envieux sans doute, lui reproche son ignorance : << Il aurait mieux fait, après la conclusion de la paix, de garder son mousquet, de chercher encore la gloire militaire dans d'autres pays, et d'extorquer leur bien aux paysans de la Hollande, du Danemark et de la Pologne: on fait bien d'un palefrenier

1. Simplicissimus, liv. III, chap. xx.

un général, mais non d'un crasseux mousquetaire un honnête écrivain. » Grimmelshausen répond, avec sa rude franchise, dans une préface du Pèlerin satirique : « Ayant pu faire ce que j'ai fait, songe donc, grosse bête (Bestia), ce que j'aurais pu faire, si j'y avais été préparé dès ma jeunesse. » On voit, par son Calendrier perpétuel, qu'il s'est occupé de physique et d'astronomie. Sa connaissance de l'antiquité est fort vague et paraît toute puisée aux encyclopédies scolaires du temps. Il confond Plutus, le dieu de la Richesse, avec Pluton, le roi des Enfers, même dans le titre d'un ouvrage, où pourtant un peu de précaution était nécessaire 1. Mais il sait le français, probablement l'italien, peut-être l'espagnol. Le premier ouvrage qu'il ait publié, sinon le premier qu'il ait écrit, est une traduction d'un roman français, l'Homme dans la lune. Il cite les poètes italiens, et il traduit quelquefois ses citations. Quant aux romans picaresques venus d'Espagne, comme Lazarille de Tormes et Guzman d'Alfarache, il pouvait les lire dans des traductions allemandes, et peut-être a-t-il reçu de là sa première impulsion. Le héros de Grimmelshausen qu'est-ce autre chose, en effet, qu'un picaro alle

1. Das Rathstübel Plutonis, oder Kunst reich zu werden; imprimé en 1672.

2. Lazarillo de Tormes fut traduit en allemand par Nicolas Ulenhart (Augsbourg, 1617), et Guzman de Alfarache par Ægidius Albertinus (Munich, 1615).

mand, que la misère a poussé au mal, comme un Espagnol du temps de Philippe II, et qui rachète ses fautes par un repentir tardif?

III

Les premiers chapitres du roman nous transportent dans les montagnes du Spessart, dernière ramification de la Forêt-Noire au nord du Mein, région sauvage, encore aujourd'hui peu habitée, alors repaire de bêtes fauves et de bandits. Dans une clairière bordée de chênes séculaires se trouve blottie la cabane que le père de Simplice a construite de ses mains. Le pâturage et la forêt qui l'avoisine, c'est tout ce que l'enfant connaît du monde. Son père, sa mère, son unique sœur Ursule, un valet et une servante, c'est pour lui l'humanité. Quant à son instruction, son père suivait, dit-il, la mode du temps. Il dédaignait de lui apprendre ce qu'il jugeait inutile, et il faisait en cela comme beaucoup de grands seigneurs. Il pensait que tout ce qu'un berger avait besoin de savoir, c'était le moyen d'éloigner le loup de la bergerie. « Ainsi je ne connaissais ni Dieu ni les hommes, ni ciel ni enfer, ni anges ni démons; je ne faisais nulle différence entre le bien et le mal, et je vivais comme nos premiers parents dans le paradis. » C'était l'état de

nature. Simplice ne savait qu'une chose jouer de la musette. On lui disait que cela éloignait le loup, quoiqu'il ne sût pas encore comment le loup était fait.

Or, un jour, son père l'envoie faire paître les brebis. Il embouche sa musette, et, avec la joie de son âge, il en fait retentir les monts et les vallées. Mais il obtient l'effet contraire de celui qu'il attendait. Au lieu d'effrayer le loup, il attire une troupe de cavaliers qui ne valent pas mieux, et qui se sont égarés dans la forêt. On le jette sur un cheval, si violemment qu'il retombe de l'autre côté et écrase presque sa musette, qui pousse un gémissement. On le remet en selle, et il faut qu'il conduise les cavaliers et son troupeau vers la cabane de son père.

Ici se place une de ces scènes de pillage, épisodes journaliers de la vie de ce temps, et que relatent uniformément les témoins oculaires. Il faut aux soldats du feu pour faire cuire leurs viandes : or il y a des bûches dans le hangar, mais on préfère prendre les tables, les bancs et les bois de lit. Pour égayer le repas, on inflige, aux habitants les supplices ordinaires, en quelque sorte classiques, que tout soudard au fait de son métier connaissait. Le père de Simplice est étendu par terre; on lui taillade à coups de sabre la plante des pieds, qu'on saupoudre de sel et qu'on fait lécher par une chèvre, de manière que le patient semble à chaque instant devoir étouffer dans un rire spasmodique. On lie

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