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LES ENFANTS SONT ÉGAUX DEVANT LA MÈRE.

I

En France, sur 12.971 enfants qui naissent passant pour légitimes, 1 est réputé illégitime. Plus du treizième. Sur 925,425 naissances déclarées selon la loi, le nombre annuel des naissances déclarées hors la loi est de 70,043, soit sur 35,401,701 Français, dernier chiffre du recensement officiel de la population, 2,800,000 bâtards.

A Paris, sur 2.84 enfants qui naissent passant pour légitimes, 1 est réputé illégitime. Plus du tiers.

A Munich, sur 1.21 enfants qui naissent passant pour légitimes, 1 est réputé illégitime. Près de la moitié.

En Belgique, dans les communes rurales, sur 15.40 enfants qui naissent passant pour légitimes, 1 est réputé illégitime; et, dans les villes, sur 5.60 enfants qui naissent passant pour légiTimes, 1 est réputé illégitime. Plus du sixième.

A Bruxelles, sur 2.50 qui naissent passant pour légitimes, 4 est réputé illégitime. Plus du tiers.

La statistique confond, sous le nom d'illegitimes, les enfants

que la loi distingue par ces mots : naturels, adultérins, incestueux. En France, l'enfant naturel n'est point héritier; la loi ne lui accorde de droit sur les biens de son père ou de sa mère que lorsqu'il a été légalement reconnu. Même dans ce cas, le droit de l'enfant naturel n'est que du tiers de la portion héréditaire qu'il aurait eue s'il avait été légitime.

L'enfant naturel reconnu ne peut réclamer les droits d'enfant légitime.

Toute reconnaissance de la part du père ou de la mère, de même que toute réclamation de la part de l'enfant, peut être contestée par tous ceux qui y ont intérêt.

La recherche de la paternité est interdite. La recherche de la maternité est admise. Mais l'enfant qui réclame sa mère est tenu de prouver qu'il est identiquement le même que l'enfant dont elle est accouchée. Il n'est reçu à faire cette preuve par témoins, que lorsqu'il y a déjà un commencement de preuve par écrit.

L'enfant né d'un commerce incestueux ou adultérin n'est jamais admis à la recherche soit de la paternité, soit de la maternité. Il ne peut hériter. La loi ne lui accorde que des aliments.

Lorsque le père ou la mère de l'enfant adultérin ou incestueux lui ont fait apprendre un art mécanique, ou lorsque l'un d'eux lui a assuré des aliments de son vivant, l'enfant ne peut élever aucune réclamation contre leur succession.

Le crime de suppression d'état, crime qui consiste à mettre l'enfant dans l'impossibilité de prouver de quels parents il est né, est puni de la reclusion.

Le condamné à la reclusion est renfermé dans une maison de force; la durée de cette peine est de cinq années au moins.

Deux millions huit cent mille Français réputés enfants illégitimes, qualifiés de bâtards et mis ainsi hors le droit commun, forment incontestablement une nation dans une nation.

Partout cette proportion tend à s'accroître par deux causes:

par l'immense développement de l'industrie manufacturière et par l'immense accroissement des villes.

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En 1817, en France, sur 881,570 naissances passant pour légitimes, on comptait 62,553 naissances réputées illegitimes; en 1848, sur 880,957 naissances passant pour légitimes, on comptait 67,791 naissances réputées illégitimes: augmentation du nombre des naissances réputées illégitimes, 5.238.

En 1848, en Belgique, on comptait une naissance réputée illégitime sur 7 naissances passant pour légitimes, dans les villes, el sur 18.09 dans les campagnes; en 1850, on comptait 1 naissance réputée illégitime sur 5.60 naissances passant pour légitimes dans les villes et sur 15.40 dans les campagnes.

Lorsque les lois admettaient et consacraient l'inégalité des citoyens devant elles, la condition faite aux bâtards (') pouvait, sinon se justifier, du moins s'expliquer.

S'expliquer n'est plus possible.

Comment expliquer que ce soit l'enfant qui porte la peine de la faute qu'il n'a pas commise, de la faute qui a été commise avant même qu'il fût né, qu'il fût engendré, qu'il fût conçu?

Comment expliquer que ce soit l'enfant privé de l'héritage des biens de son père et de sa mère qui hérite des conséquences de leur conduite condamnée par la loi religieuse et civile?

Comment expliquer l'inégalité entre enfants de la même mère, lorsque la religion chrétienne qui, si elle est la vraie, devrait être la loi universelle, la règle éternelle, déclare que tous les hommes sont frères, égaux en Dieu et devant Dieu (*)?

Cette inégalité entre enfants de la même mère ne saurait s'ex

(*) En J.-C. il n'y a plus de distinction entre le maître et l'esclave, entre l'homme et la femme.

Il n'y a plus maintenant ni de juif, ni de gentil, ni d'esclave, ni de libre, ni d'homme, ni de femme, mais vous n'êtes tous qu'un en J.-C. SAINT PAUL aux Gal., chap. III. 48: SAINT MATHIEU, chap. v. 19.

pliquer; aussi, quelles qu'en doivent être les conséquences sociales, ne pourra-t-on infirmer par aucune objection sérieuse la justesse de l'axiome nouveau que je viens proclamer.

Une seule ligne, celle qui suit, résume toute la Révolution de 1789 :

LES FRANÇAIS SONT ÉGAUX DEVANT LA LOI.

Cette seule ligne a suffi pour qu'une immense révolution s’accomplit.

Toute une révolution, non moins profonde et non moins féconde, est également contenue en germe dans cette autre ligne, exactement composée du même nombre de mots :

LES ENFANTS SONT ÉGAUX DEVANT LA MÈRE.

Ce principe érigé en loi, toute distinction disparaît entre les enfants qui passaient pour légitimes et ceux qui passaient pour illégitimes.

Tous également portent le nom de leur mère (').

Tous également héritent de ses biens.

Tous ont les mêmes droits aux mêmes soins, à la même sollicitude.

Deux millions huit cent mille Français relégués hors du droit commun y rentrent, sinon dans le présent, du moins dans l'avenir.

Le principe de l'égalité civile, vérité relative, fait un nouveau pas vers la vérité absolue.

Il n'y a plus deux nations dans une nation: une petite contenue dans une grande; celle-là mise par celle-ci hors le droit commun et le droit naturel; l'homogénéité nationale, qui n'existait pas, est établie sur ce point.

La femme, dont le rôle dans la société avait été dénaturé, recouvre celui qui lui appartient.

L'ordre social, au lieu d'avoir la probabilité pour fondement, a pour fondement la certitude.

J'entends qu'on se récrie et qu'on me dit : Donner la mater

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