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SCIENCES ET ARTS.

ATLAS ÉLÉMENTAIRE, ou Nouvelle méthode d'enseignement, par le moyen de laquelle on peut apprendre la géographie dans un court espace de tems, à l'usage des colléges, maisons d'éducation, et des personnes qui veulent apprendre promptement cette science; avec deux planches et huit cartes. A Paris, chez Mme veuve Hocquart, libraire, rue de l'Epéron, no 6. (1810.)

il

QUAND on considère le nombre et la variété des expédiens imaginés par les auteurs et par les libraires pour capter l'attention et l'argent du public, on ne peut s'empêcher d'en être émerveillé. Quelquefois on annonce un ouvrage nouveau ; il traite de tel ou tel sujet déterminé; il est profond, lumineux, méthodique; en un mot, est parfait, il est indispensable à tous ceux qui s'occupent spécialement de la même matière: vous l'achetez; ce n'est qu'une mauvaise compilation. Un livre a parų depuis long-tems; il ne se vend point; on n'en parle même pas ; on ne se souvient plus qu'il existe. L'occasion est excellente pour réveiller le public et le tirer de cette léthargie mortelle. On change seulement la première page et la dernière, la fin et le frontispice. Sur celui-ci on met nouvelle édition: ce sera, si vous voulez, la seconde ou la troisième; au besoin vous pourrez dire la quatrième; personne ne pourra se procurer un exemplaire des précédentes pour vous contredire. On annonce le nouveau livre ainsi rajeuni; les gens s'étonnent de son succès; ils veulent le connaître: volontiers ils se reprocheraient d'avoir laissé passer les éditions précédentes. Quand ils sont désabusés, le livre est vendu. Voulez-vous un autre genre de spéculation? Voici un homme qui fait de petits livres avec de grands auteurs; il les découpe, les taille, les recoud, les rajuste à sa manière; il mettra tout le génie du plus grand philoso

MERCURE DE FRANCE, AVRIL 1816. 467 phe dans un in-18, et il assure que vous n'y perdez rien d'important: mais, par compensation, il y en a d'autres qui font de gros livres avec de tout petits ouvrages; ils les impriment en grands caractères, avec des notes, des variantes, des commentaires, des imitations. Une petite pièce fugitive qui se serait noyée dans l'océan des almanachs, prend ainsi une masse qui l'empêche de se perdre; c'est un volume. Enfin, il n'est rien dont on ne s'avise pour exciter l'appétit du public. C'est un art qui a ses combinaisons, ses hasards, ses ruses, ses stratagêmes comme la guerre. Il y faut beaucoup de tact, d'expérience et de connaissance des hommes pour pressentir ce qui plaira, ce qui ne plaira pas, ce qui attirera la vogue, ce qui n'aura aucun débit; pour prévoir et saisir les occasions favorables; car tel livre ne valait rien l'année dernière qui se vend aujourd'hui, et tel autre se vendait alors, qui aujourd'hui ne vaut plus rien. Le tableau de ces spéculations, le détail de celles qui ont réussi ou manqué, formerait une sorte de thermomètre moral, dont les indications pourraient bien ne pas être inutiles à l'histoire littéraire de chaque siècle.

Mais, dira-t-on, quand le nombre des mauvais ou vrages qui s'impriment serait encore plus grand qu'il ne l'est aujourd'hui, pourvu qu'il en paraisse aussi de tems en tems quelques-uns de bons, qu'importe que les autres ne vaillent rien? Les mauvais ont aussi leur utilité. Cela a fait vivre l'auteur, le libraire, le relieur, l'imprimeur, le fabricant de papier, le chiffonnier, le marchand d'encre, et une foule d'ouvriers de toute espèce. Vous vous êtes ennuyé ; soit, mais grace à votre ennui tous ces gens ont pu subsister et élever leur famille. Ce livre qui vous a déplu retournera bientôt sous le pilon de la papeterie. Quand il aura été bien lavé, broyé, et réduit en pâte, les sottises dont on l'avait rempli auront disparu; on en fera de nouveau papier blanc sur lequel on pourra écrire les plus belles choses du monde, et de là résultera une nouvelle circulation de travail et d'argent. Il ne faut donc pas tant se déchaîner contre les mauvais auteurs, quand d'ailleurs leurs écrits n'ont rien de dangereux. Fort bien; mais, si par hasard un de ces auteurs obtenait un pri

vilége qui obligeât tout le monde à le lire, ne serait-ce pas une faveur très-nuisible, et ne serait-il pas juste de sy opposer avec toute l'autorité de la raison? Or, voilà précisément où tendent tous ces compilateurs de méchans livres à l'usage de la jeunesse, ces prétendus inventeurs de méthodes abrégées pour tout apprendre, qui igno rent eux-mêmes les premières notions de ce qu'ils veulent enseigner. Et s'ils ne parviennent pas toujours, comme ils s'en flattaient, à s'introduire dans les écoles publiques, leur influence bornée à une seule maison d'éducation, ou même au cercle étroit de quelques écoliers, est encore assez funeste. Pour moi, quand je rencontre de pareils livres, je ne puis m'empêcher de songer que peut-être un pauvre père de famille sera obligé de se priver du nécessaire pour les donner à ses enfans; et je crois faire une bonne action en en faisant justice.

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Ces réflexions s'appliquent parfaitement à l'atlas soidisant élémentaire qui fait le sujet de cet article. Si l'on en croit une longue annonce, insérée à la fin de l'avantdernier No du Mercure, dans ce journal même où l'on s'efforce d'être juste, vrai et impartial, cet Atlas élés mentaire serait un petit chef-d'œuvre. Il est, dit-on, précédé d'un traité élémentaire de géographie, dont la précision et l'exactitude ne doivent rien laisser à désirer; il présente sur l'état politique actuel des nations les renseignemens les plus modernes ; les cartes sont construites avec une précision rare. On va voir jusqu'à quel point ces annonces sont véritables (1).

(1) On ne peut attribuer à aucun des rédacteurs du Mercure les petites phrases apologétiques qui suivent quelquefois le titre des livres nouveaux dans notre article Annonces. Dans cet article on ne fait autre chose que copier les annonces de livres, telles que les publient les libraires dans leurs catalogues. Ces mêmes ouvrages sont ensuite examinés et jugés par les rédacteurs. C'est à leurs cxtraits seuls que le public doit accorder sa confiance.

livres nouveaux

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Au reste, nous supprimons le plus souvent, dans les annonces des ces avertissemens des libraires qui ont intérêt à prôner d'avance les ouvrages qu'ils publient. C'est par inadvertance que l'on a imprimé, dans son entier, à la fin du No du 7 avril, l'annonce de l'atlas dont on rend compte dans cet article.

(Note du directeur du Mercure.)

Je commence par les cartes ; c'est ce qu'il y a de plus curieux. On y trouve d'abord trois figures, celle de la sphère armillaire, et deux autres représentant des cercles divisées en bandes transversales; l'une pour montrer l'effet des zones ou climats, l'autre pour montrer les effets de l'obliquité de l'écliptique. Au haut de la planche, on lit: Géographie mathématique, voilà en quoi elle consiste. Dans une planche en regard on a la géographie physique; celle-ci est expliquée par un dessin où l'on a figuré des continens, des mers des îles, des promontoires, des caps, des dunes, des marais, des rivières, des étangs, des canaux, des archipels, des montagnes, le tout de fantaisie et d'imagination il y a jusqu'à des écueils et des sources. Pour de la proportion entre les parties, on sent qu'elle n'était pas nécessaire, aussi n'y en a-t-il pas du tout, On y voit des jetées plus grandes que des bras de mer, des canaux énormes, qui n'ont coûté d'autre peine que de mettre un peu de couleur verte entre deux lignes droites parallèles; enfin ce qui complète la beauté de ce tableau, quoique la terre et les mers y soient représentées à vue d'oiseau, comme sur un plan, les montagnes et les écueils y sont peints de profil, ce qui fait beaucoup mieux sentir leur prodigieuse élévation.

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Pour les cartes géographiques, qui, suivant l'annonce, sont construites avec une précision rare, j'avoue en effet qu'on ne peut leur reprocher aucune erreur topographique; car il n'y a pas une seule ville qui y soit marquée, pas un seul état dont l'intérieur soit détaillé ; leurs contours seuls sont indiqués. On y reconnaît de même les divers continens par des configurations analogues à celles qu'on a coutume de leur donner dans les cartes géographiques véritables: le tout divisé en carreaux par des cercles de longitude et de latitude et peint de rouge, verd, bleu, jaune, forme une enluminure à-peu-près pareille à un papier marbré. Voilà comment sont faites ces cartes construites avec une précision rare.

L'idée de l'auteur a été que les élèves indiquassent euxmêmes la place des villes et de tous les autres détails d'après leur longitude et la latitude supposées connues.

Cela serait possible si l'élève avait eu long-tems sous les yeux de bonnes cartes où ces détails fussent bien indiqués. Alors, en les lui faisant souvent copier et dessiner, les contours des pays et la situation des lieux se graveraient dans sa mémoire, et il finirait par les disposer trèsexactement. Cela se peut faire encore avec des cartes découpées en morceaux mobiles dont la configuration aide la mémoire de l'enfant et lui sert pour retrouver leur position. Mais remplir la tête d'un pauvre enfant de longitudes et de latitudes exprimées en nombres, • en nombres qui n'ont aucun rapport les uns avec les autres, et lui faire apprendre ainsi par cœur le tableau des positions géographiques, c'est un excellent moyen de le rendre imbécile pour sa vie, ou au moins de lui faire abhorrer une étude si ennuyeuse et si stérile. m

Ce qu'il y a de particulier, c'est que l'auteur, malgré la simplicité de ses cartes, a encore trouvé le secret d'y faire beaucoup d'erreurs et des erreurs que l'on ne croirait jamais possibles dans un livre imprimé. Par exemple, dans la mappemonde, l'exactitude l'a porté à joindre à la Nouvelle-Hollande la Terre de Vandiemen, et à supprimer le détroit de Bass, et les îles qui s'y trouvent. Le cap Comorin est placé au moins à trois degrés de latitude de sa position véritable, et dans l'Europe, l'Estramadure s'est trouvée amincie entre le Tage et le Mondégo, de manière à former une presqu'île bien marquée. En Asie, l'île de Bornéo se trouve coupée en deux par un détroit de nouvelle espèce découvert par l'auteur, ou bien, comme le nom ne nous gêne pas dans nos suppositions, peut-être l'une de ces divisions est-elle une des petites îles voisines de Bornéo; mais alors elles se trouvent furieusement agrandies, et Bornéo elle-même est bien écornée. En général, les îles ont été maltraitées. L'auteur n'indique pas le moindre vestige des îles aleutiennes, au moyen desquelles on croit que les Américains et les Asiatiques communiquent dans le tems des glaces. Les marins qui iront aux Indes chercheront en vain à relâcher aux îles Laquedives. Plus loin la Nouvelle Guinée leur offrira des côtes toutes différentes de celles qu'ils y ont vues jusqu'à présent, et s'ils voulaient naviguer dans

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