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Ce sont ces heureuses révolutions que M. François de Neufchâteau a essayé de retracer dans son ouvrage. Il n'aura point, pour animer ses images et vivifier ses récits, la ressource de ces grands mouvemens politiques de ces actions éclatantes, de ces triomphes brillans qui frappent de terreur, d'étonnement ou d'admiration l'esprit de la multitude; mais il sera lu avec intérêt par tous ceux qui savent apprécier les douceurs de la vie champêtre et goûter le bonheur loin du tumulte des villes, du faste des grandeurs, et des orages de la vie humaine. Son but n'est point d'embrasser toute l'histoire de l'agriculture; effrayée d'une si grande entreprise, sa modestie s'est renfermée dans un cercle moins étendu. C'est aux plantes céréales qu'il a borné ses recherches.

On a généralement cru que la nation la plus heureuse serait celle qui recueillerait le plus de blé et de produits agricoles. Avec eux que ne se procure-t-on pas? On a remarqué aussi que, de toutes les plantes qui servent à la nourriture de l'homme, il n'en est aucune qui se repro duise avec une plus étonnante fécondité que le blé. L'auteur en cite des exemples qui sembleraient fabuleux, s'ils n'étaient aussi bien constatés.

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En 1720, un cultivateur anglais ayant semé dans son jardin un grain d'orge, il en eut cent cinquante-quatre épis qui contenaient trois mille trois cents grains. Il les sema l'année suivante à trois pouces l'un de l'autre ; ils produisirent un peu plus d'un boisseau, lequel ayant été semé, produisit la troisième année quarante-cinq boisseaux et un quart. Quelle prodigieuse et étonnante postérité !

Dans l'automne de 1765, Charles Miller, fils d'un botaniste célèbre de ce nom, planta un seul grain de froment dans le jardin des plantes de Cambridge. An printems suivant, il divisa les jets, les replanta, et obtint de ce seul grain près de deux mille épis. L'espérance d'obtenir une production encore plus grande, le détermina à recommencer l'expérience le 2 juin 1766; il sema quelques grains de froment rouge ordinaire. Le & août, il choisit une seule plante qui avait dix-huit jets

il replanta chaque jet séparément; plusieurs tallèrent encore; il les sépara, les replanta de nouveau; la tota lité de ces tiges repiquées monta, avant la mi-octobre à soixante-sept. Elles furent très-vigoureuses pendant l'hiver; elles tallèrent pour la troisième fois, furent divisées et transplantées. Depuis la mi-mars jusqu'au 10 avril, il y eut cinq cents plantes, qui ayant mûri donnèrent vingt-un mille neuf épis, ou cinq cent soixanteseize mille huit cent quarante grains, tous issus du même père. Quelques tiges avaient jusqu'à cent épis, et quelques-uns de ceux-ci avaient jusqu'à sept pouces de Longueur.

A limitation du jardinier anglais, M. Ekleben, intendant des jardins de l'impératrice de Russie, faisait voir, en 1772, un tuyau de blé à trois cent soixanteseize épis, dont les plus grands contenaient une centaine de grains, et les plus petits une quarantaine. Cette plante provenue d'un seul grain en avait donné vingt ou vingtcinq mille.

Les Français ne voulurent pas rester en arrière; c'était l'abbé de Vallemont qui avait éveillé les esprits et produit cette émulation générale. Un vigneron du Gatinois, un avocat de Quimper, un laboureur de Castelnaudari, obtinrent les mêmes prodiges et les publièrent dans les papiers publics. M. François de Neufchâteau lui-même a voulu, par sa propre expérience, vérifier leurs récits, et malgré les nombreuses tribulations qu'il a éprouvées, il est arrivé aux mêmes résultats.

Si d'un seul grain on pouvait obtenir ving-cinq mille grains; comme il est reconnu qu'un grain semé suivant les procédés ordinaires n'en rapporte guères que cinq ou six, déduction faite des pertes qu'occasionne la manière de semer, il est évident qu'on pourrait recueillir en Europe vingt-quatre mille neuf cent quatre-vingt quinze fois plus de grains qu'on en recueille habituellement. Les merveilles de la pierre philosophale n'ont rien de comparable.

Le premier qui s'occupa sérieusement de l'examen de ce problème fut le célèbre philosophe Wolf: au printems de 1709, il mit deux grains d'avoine en terre, dans

un jardin de Halle en Prusse; ils levèrent fort bien et ne donnèrent d'abord qu'un seul tuyau : mais au bout de quelque tems, ils se chargèrent de nouvelles tiges et donnèrent un nombre d'épis prodigieux. Ainsi l'expérience répondit aux faits publiés précédemment. Mais d'où provenait cette étonnante multiplication? Mallebranche et l'abbé Vallemont avaient proposé, à ce sujet, diverses théories qui ne satisfaisaient pas le philosophe prussien. En examinant avec attention l'organisation des plantes céréales, il reconnut que leurs tiges étaient vides, excepté dans les entre-noeuds qui sont remplis de moelle et d'où partent toujours les feuilles. Il jugea que ces nœuds étaient comme des bourses qui renfermaient des germes complets de la plante. Pour vérifier cette conjecture, il planta des grains très-avant dans la terre, il butta les tuyaux qui en provinrent; vit, peu de tems après, de nouvelles tiges se former, les coucha, les butta de nouveau, et le même phénomène se renouvela si constamment qu'un seul grain en produisit six mille. Voilà donc un des mystères de la végétation révélé. C'était beaucoup, mais il fallait appliquer cette découverte à la culture en grand. Un propriétaire de la Luzace l'entreprit; M. Trautmann choisit un terrain bien exposé, le fit labourer comme un jardin, et pour ne point s'écarter des procédés de Wolf, se décida à faire planter son blé comme on plante les haricots. Il cultiva son champ avec soin, fit arracher les mauvaises herbes, et la richesse de sa récolte surpassa ses espérances. Mais cette heureuse tentative n'offrait encore qu'une bien faible ressource à la grande culture. Il était évident que cette méthode exigeait trop de tems, trop de bras, trop d'attention. Un gentilhomme anglais essaya de satisfaire à tout. Il se nommait Jéthro Tull; il avait perdu une partie de sa fortune, et se flattait de la rétablir en cultivant ses terres. Il connaissait la théorie de Wolf, et sentait que la solution du problème dépendait de l'amélioration des moyens. Il inventa une charrue qui labourait, plantait et recouvrait les grains tout-à-la fois. Il en construisit une autre pour nétoyer les planches et extirper les mauvaises herbes, et obtint en effet, de belles et abondantes moissons. Dès-lors il se

regarda comme un nouveau Triptolème, publia ses heureuses inventions, et promit incessamment le retour de l'âge d'or. Ses expériences firent beaucoup de bruif; Jethro Tull se ruina, mais les esprits sages profitèrent de ses découvertes.

Ici M. François de Neufchâteau décrit successivement les divers procédés qui furent tentés après Jethro Tull; il rappelle les travaux nombreux, les vues sages, utiles, étendues de Duhamel Dumonceau; il n'oublie point les théories du plantage et du repiquage, et rend hommage aux lumières, au zèle et aux services de tous les genres rendus par les comices agricoles. Il fait des vœux pour leur rétablissement, et termine son ouvrage par des aperçus intéressans sur les pépinières de grains établies en quelques endroits pour ensemencer les terres. Il loue beaucoup ce procédé dont il a tiré lui-même de grands avantages. Il le recommande aux cultivateurs et leur promet des récoltes plus fécondes et plus belles.

L'amour du bien respire dans toutes les pages de son livre. Les diverses théories sont exposées avec beaucoup de clarté, les inconvéniens et les avantages balancés avec beaucoup de justice. La prévention, l'engouement et le préjugé ne s'y montrent jamais. C'est l'ouvrage d'un sage; la production d'un philanthrope éclairé, et si le style était plus concis, les digressions moins nombreuses, et les récits plus rapides, la critique la plus sévère n'aurait que des éloges à donner à l'auteur.

SALGUES.

LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

MAXIMES ET RÉFLEXIONS SUR DIFFÉRENS SUJETS DE MORALE ET DE POLITIQUE, suivies de quelques Essais, par M. G. de LEVIS. Seconde édition, augmentée d'un supplément. A Paris, chez Xhrouet, imprimeur, rue des Moineaux, no 16; et chez Déterville, libraire, ፡ rue Hautefeuille, n° 8.

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(PREMIER EXTRAIT.)

AVANT de parler de l'ouvrage que nous annonçons, nous jetterons un coup-d'œil sur les écrivains devenus modèles dans ce genre. Le sujet est immense; nous serons obligés de le resserrer dans ses rapports avec quelques opinions de M. de Levis et avec la forme de son livre.

Il a fallu bien des progrès pour définir la vertu, l'habitude des actions utiles à la société; et cette définition si simple est pourtant la seule qui ait donné de la vertu une notion exacte et étendue; de cette notion naissent aussi toutes celles de la morale; et de la nature de lá morale on a déduit assez facilement deux manières d'én parler aux hommes

La morale a ses lois; elle s'est exprimée en MAXIMES; et un recueil de MAXIMES est une espèce de code.

La morale a dans les passions ou des ennemis qu'il faut vaincre, ou des puissances qu'elle doit faire entrer dans ses intérêts : elle a appelé à son secours les douces invitations, les exhortations pathétiques, les foudres du ciel et celles de l'éloquence.

La première de ces formes, la forme des maximes, est celle que les moralistes paraissent avoir d'abord employée avec le plus de succès..

Parmi les moralistes de l'antiquité celui, je l'avoué, qui m'a toujours le plus frappé par son génie, et même par son style, c'est un juif et un roi. Il y a trois mille

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