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guerre, il faut y envoyer la fleur de votre jeunesse, surtout ceux en qui on remarquera le génie de la guerre, et qui seront les plus propres à profiter de l'expérience. Par-là vous conserverez une haute réputation chez vos alliés votre alliance sera recherchée, on craindra de la perdre sans avoir la guerre chez vous et à vos dépens, vous aurez toujours une jeunesse aguerrie et intrépide. Quoique vous ayez la paix chez vous, vous ne laisserez pas de traiter avec de grands honneurs ceux qui auront le talent de la guerre : car le vrai moyen d'éloigner la guerre et de conserver une longue paix, c'est de cultiver les armes ; c'est d'honorer les hommes qui excellent dans cette profession; c'est d'en avoir toujours qui s'y soient exercés dans les pays étrangers, qui connoissent les forces, la discipline militaire et les manières de faire la guerre des peuples voisins; c'est d'être également incapable et de faire la guerre par ambition et de la craindre par mollesse. Alors, étant toujours prêt à la faire pour la nécessité, on parvient à ne l'avoir presque jamais.

Pour les alliés, quand ils sont prêts à se faire la guerre les uns aux autres, c'est à vous à vous rendre médiateur. Par-là vous acquérez

une gloire plus solide et plus sûre que celle des conquérants; vous gagnez l'amour et l'estime des étrangers; ils ont tous besoin de vous ; vous régnez sur eux par la confiance, comme vous régnez sur vos sujets par l'autorité; vous devenez le dépositaire des secrets, l'arbitre des traités, le maître des cœurs; votre réputation vole dans tous les pays les plus éloignés; votre nom est comme un parfum délicieux qui s'exhale de pays en pays chez les peuples les plus reculés. En cet état, qu'un peuple voisin vous attaque contre les règles de la justice, il vous trouve aguerri, préparé mais ce qui est bien plus fort, il vous trouve aimé, et secouru; tous vos voisins s'alarment pour vous, et sont persuadés que votre conservation fait la sûreté publique. Voilà un rempart bien plus assuré que toutes les murailles des vilies, et que toutes les places les mieux fortifiées : voilà la véritable gloire. Mais qu'il y a peu de rois qui sachent la chercher, et qui ne s'en éloignent point! ils courent après une ombre trompeuse, et laissent derrière eux le vrai honneur, faute de le connoître.

Après que Mentor eut parlé ainsi, Philoclès étonné le regardoit; puis il jetoit les yeux sur

le roi, et étoit charmé de voir avec quelle avidité Idoménée recueilloit au fond de son cœur toutes les paroles qui sortoient comme un fleuve de sagesse de la bouche de cet étranger.

Minerve, sous la figure de Mentor, établissoit ainsi dans Salente toutes les meilleures lois et les plus utiles maximes du gouvernement, moins pour faire fleurir le royaume d'Idoménée que pour montrer à Télémaque, quand il reviendroit, un exemple sensible de ce qu'un sage gouvernement peut faire pour rendre les peuples heureux, et pour donner à un bon roi une gloire durable.

FIN DU LIVRE QUATORZIÈME.

LIVRE QUINZIÈME.

SOMMAIRE.

Télémaque, au camp des alliés, gagne l'inclination de Philoctète, d'abord indisposé contre lui à cause d'Ulysse son père. Philoctète lui raconte ses aventures, où il fait entrer les particularités de la mort d'Hercule, causée par la tunique empoisonnée que le centaure Nessus avoit donnée à Déjanire. Il lui explique comment il obtint de ce héros ses flèches fatales, sans lesquelles la ville de Troie ne pouvoit être prise; comment il fut puni d'avoir trahi son secret, par tous les maux qu'il souffrit dans l'ile de Lemnos; et comme Ulysse se servit de Néoptolème pour l'engager à aller au siège de Troie, où il fut guéri de sa blessure par les fils d'Esculape.

CEPENDANT Télémaque montroit son courage dans les périls de la guerre. En partant de Salente, il s'appliqua à gagner l'affection des vieux capitaines dont la réputation et l'expérience étoient au comble. Nestor, qui

l'avoit déjà vu à Pylos, et qui avoit toujours aimé Ulysse, le traitoit comme s'il eût été son propre fils. Il lui donnoit des instructions, qu'il appuyoit de divers exemples; il lui racontoit toutes les aventures de sa jeunesse, et tout ce qu'il avoit vu faire de plus remarquable aux héros de l'âge passé. La mémoire de ce sage vieillard, qui avoit vécu trois âges d'homme, étoit comme une histoire des anciens temps gravée sur le marbre et sur l'airain.

Philoctète n'eut pas d'abord la même inclination que Nestor pour Télémaque : la haine qu'il avoit nourrie si long-temps dans son cœur contre Ulysse, l'éloignoit de son fils; et il ne pouvoit voir qu'avec peine tout ce qu'il sembloit que les Dieux préparoient en faveur de ce jeune homme, pour le rendre égal aux héros qui avoient renversé la ville de Troie. Mais enfin la modération de Télémaque vainquit tous les ressentiments de Philoctète; il ne put se défendre d'aimer cette vertu douce et modeste. Il prenoit souvent Télémaque, et lui disoit : Mon fils (car je ne crains plus de vous nommer ainsi), votre père et moi, je l'avoue, nous avons été longtemps ennemis l'un de l'autre : j'avoue même

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