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arrive le plus souvent, au contraire, c'est qu'une partie seulement des ressources nouvelles que les travailleurs parviennent à se créer ou que la nature leur donne par surcroît, sert à accroître la population, tandis que le restant vient améliorer les conditions d'existence; alors des habitudes nouvelles surgissent, et l'ouvrier, devenu plus fort, intellectuellement et physiquement, réussit à pourvoir, par son travail, à des consommations plus étendues, et c'est ainsi que se réalise le progrès, bien lent malheureusement, mais réel cependant, que j'ai signalé plus haut.

J'en conclus que ni la nature de l'homme, ni même l'organisation actuelle de la société, avec ce que nous avons conservé d'entraves à la liberté du travail, ne mettent un obstacle absolu à l'amélioration progressive du sort des classes laborieuses, qui ne tournent donc pas éternellement dans un même cercle étroit d'abaissement intellectuel et de misère matérielle.

Ceci établi, il me reste à relever une autre erreur que M. Samuel me semble avoir commise dans l'application des conditions économiques qui régissent les profits du fermier et le salaire des ouvriers agricoles. Voici comment il s'exprime à cet égard :

<< La même chose a lieu, bien que dans un ordre différent de condition sociale, pour les baux à ferme. Si le fermier prospère, s'il laisse plusieurs fils, voilà l'offre qui n'est plus en rapport avec la demande, et la concurrence fait hausser le prix des baux à ferme au-dessus de toute proportion des produits agricoles.

» En deux mots, voici ce qui résulte des hypothèses ci-dessus posées : >> Plus les baux à ferme sont élevés, plus aussi le fermier devra élever le prix des produits agricoles, et baisser le taux des salaires de l'ouvrier, ce qui occasionne pour celui-ci une double cause d'appauvrissement : il reçoit moins en même temps que le prix des denrées alimentaires s'élève, et, comme l'offre dépasse la demande des bras, et, qu'avant tout, il faut vivre, il y a des contrées où le manouvrier des champs ne perçoit jamais de salaire en espèces, mais seulement un mince tantième des produits recoltés.

>> Néanmoins, les petits agriculteurs, fermiers ou propriétaires d'un lopin du sol, s'appauvrissent et fuient la misère en émigrant. Quant aux ouvriers, la misère qui les fauche, ramènera bientôt l'équilibre entre l'offre et la demande des bras, par la diminution de la population! ! ! »

Il résulte de la loi du rapport de l'offre à la demande, reconnue par M. Samuel, que le prix des produits agricoles ne peut s'élever avec les baux, et que, quelle que soit la concurrence que les fermiers puissent se faire pour la location des terres, ils ne peuvent vendre leurs denrées plus cher que quand la population augmente en nombre et en richesse, ce qui

fait croître la demande, ou quand la production agricole, qui constitue l'offre vient à diminuer.

Il en est de même du taux du salaire de l'ouvrier. Ce taux ne baissera pas par le seul effet de la volonté du fermier, il faut encore, ou que le nombre et le capital de ceux qui peuvent offrir du travail à l'ouvrier éprouvent une diminution, ou que le nombre des ouvriers augmente, or aucune de ces deux circonstances ne dépend des conditions de location des terres, établies entre le propriétaire et le fermier.

C'est donc ce dernier qui souffre seul de la concurrence que lui font ses pareils, et c'est cette concurrence qui le force, sous peine de ruine, à produire les denrées agricoles à moins de frais, ou en d'autres termes, à réaliser des progrès incessants.

Ces progrès peuvent consister dans une économie des frais de production, qui permettent au fermier de louer le sol à un prix plus élevé sans réduire ses propres profits; alors les améliorations profitent au propriétaire, et ceci n'est pas injuste, comme on pourrait le croire au premier abord, car ce dernier supporte aussi, sans pouvoir s'y soustraire, toutes les conséquences des causes qui peuvent rendre la production plus coûteuse, telles que les gros impôts, les guerres, la dépopulation, la misère des consommateurs, etc.

Ou bien le progrès se réalise en augmentant la quantité des produits obtenus sur une même surface, ce qui amène une baisse dans la valeur des denrées agricoles, baisse dont profite le consommateur, au moins quand le progrès s'est généralisé, car jusqu'alors le fermier profite, plus que le public, de son invention.

:

La concurrence que se font les fermiers n'est donc pas désavantageuse pour le consommateur en général, puisqu'il en résulte un progrès dans les procédés de culture, qui, sans elle, ne se réaliserait pas, et qui finit toujours par profiter au grand nombre. Cette concurrence, d'ailleurs, a des limites le fermier qui loue ses terres à des conditions trop désavantageuses se ruine, et cesse par conséquent sa lutte avec ses confrères. D'un autre côté, il y a d'autres carrières ouvertes aux fils de fermiers que la profession de leurs pères, et sans compter ceux qui se font commerçants et industriels, combien n'en voyons-nous pas se faire avocats, médecins, ou encombrer les emplois administratifs ?

En somme donc, on peut affirmer, avec Ricardo, que ce n'est pas parce que les propriétaires sont exigeants que le blé est cher, mais que c'est bien parce que le blé est cher à cause du rapport croissant de la demande à l'offre, que les propriétaires deviennent exigeants.

Pardonnez-moi, Monsieur le Directeur, d'avoir absorbé un si grand nombre de vos pages, toujours si bien remplies, par mes arides démonstrations;

elles auront eu quelque utilité aussi, si je suis parvenu à prouver à M. Samuel et aux lecteurs de votre Revue que, malgré les imperfections de notre organisation sociale, le propriétaire n'est pas toujours et forcément un tyran et un vampire, ni le travailleur un être irrémédiablement voué à la misère et à la dégradation, mais qu'au contraire aucune classe de la société, propriétaires, capitalistes, entrepreneurs et ouvriers, ne peuvent prospérer ni souffrir sans que toutes les autres prennent leur part de prospérité ou de souffrances. Je ne fais en cela, d'ailleurs, qu'étendre à la société entière, ce que MM. Lambotte et Samuel ont démontré par rapport aux industries agricole et manufacturière.

Agréez, etc.

Mons, 17 juillet 1856.

CH. LE HARDY DE BEAULIEU.

Nous éprouvons quelque embarras à répondre à des objections présentées avec une aussi grande bienveillance en effet, nous devons plutôt des remercîments qu'une réfutation à notre contradicteur pour l'importance qu'il a bien voulu attacher à notre compte-rendu, et, surtout, pour les éloges qu'il accorde au livre de notre ami, Henri Lambotte.

Çe devoir rempli, nous tâcherons de dégager notre personnalité du débat la vérité, ainsi que le disait Jean-Jacques, étant indépen

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dante de ceux qui l'attaquent et de ceux qui la défendent. De toutes les sciences, la plus importante est, sans contredit, la science sociale, de même que l'art le plus difficile est celui de gouverner les hommes; ce qui explique, probablement, pourquoi chacun, à peu près, se croit apte à devenir un homme d'État et que presque personne ne daigne s'occuper d'études sociales. Nous reconnaissons franchement que M. de Beaulieu fait noblement exception à cette règle. Aussi, ne peut-il ignorer que cette science n'ayant pas dit son dernier mot, il y règne la même confusion qu'en philosophie et en théologie, et qu'il y a autant de divergence d'opinion, autant de théories, de systèmes, d'écoles et de petites églises qu'il y a d'hommes occupés à la recherche de la Loi sociale. Si cette loi était trouvée, la démonstration en serait claire comme celle d'un théorème de géométrie, et chacun la reconnaîtrait comme il reconnaît la lumière du soleil

En attendant, chacun de ceux qui travaillent au bien-être général, peut avoir raison, non pas d'une manière absolue, mais relativement au point de vue d'où il a envisagé le côté de la question.

M. de Beaulieu nous présente une belle théorie du progrès en réfutation du tableau beaucoup plus sombre que nous avons fait de la réalité des misères humaines. Nous n'hésitons pas à déclarer que nous voudrions que notre bienveillant contradicteur eût raison et que nous eussions tort, mille fois tort. Après cet aveu, M. de Beaulieu reconnaîtra sans peine que nous ne sommes pas plus malthusien que lui, alors même que nous confessons que sa théorie, toute consolante qu'elle est, ne nous a pas convaincu que les faits que nous avons signalés n'existent pas.

Qu'importe, par exemple, que nous ayons bien ou mal interprété la théorie de J.-B. Say, en présence du fait suivant: Dans le Brabant, dans cette province proverbialement riche et fertile, il existe des communes où l'ouvrier, en travaillant toute une longue journée, gagne un salaire de soixante-quinze centimes! Qu'on se figure cet ouvrier marié et père de famille, ou célibataire mais soutien de ses vieux parents, et, ce fait n'étant malheureusement que trop vrai, on conviendra que nous n'avons guère assombri le tableau.

Toutefois, nous admettons volontiers avec M. de Beaulieu qu'il y a progrès quand même, parce que la Loi de l'humanité, c'est le Progrès; et, parce qu'entre les mains du souverain régulateur tout est moyen, même l'obstacle. Mais la marche du progrès est lente et laborieuse à travers les obstacles amoncelés par des siècles d'ignorance et de préjugés, à tel point qu'il semblerait que le bien, ainsi que le mal, dût se frayer une route à travers des décombres et des ruines.

C'est aux hommes de bonne volonté à aplanir la voie, afin que le char du progrès s'avance majestueusement, sans trop de secousses, et sans broyer trop de victimes sur son passage; c'est à eux qu'il appartient de faire comprendre que tout est créé en vue du plus grand bien de tous les hommes, sans exception; que ce bien-être universel ne peut être réalisé que par la reconnaissance générale de la solidarité qui existe entre les intérêts de toutes les classes de la société, et, qu'en travaillant tous courageusement selon le proverbe « aide-toi, le ciel t'aidera » à nous perfectionner et à améliorer notre sort, nous devons tous ajouter : « Chacun pour tous, ainsi que Dieu est pour tous. >>

Sous ce rapport, au moins, nous sommes certain de nous rencontrer entièrement avec M. le Hardy de Beaulieu.

HENRI SAMUEL.

CRITIQUE LITTÉRAIRE.

HISTOIRE DE L'INFLUENCE DE SHAKSPEARE SUR LE THÉATRE FRANÇAIS, JUSQU'A NOS JOURS,

PAR ALBERT LACROIX.

1 vol. grand in-8°. Bruxelles, Lesigne.

Il y a un an, à peu près, qu'un jeune élève de l'université de Bruxelles, M. Albert Lacroix, était proclamé premier en philologie au concours institué par le gouvernement entre les universités du royaume. On disait dans le public que cette palme n'avait été accordée qu'avec toutes sortes de difficultés et toutes sortes de restrictions, par un jury dont la majorité des membres se posaient comme les gardiens des saines traditions et de la bonne littérature. On disait que l'impression même du mémoire avait été interdite, dans le cas où l'auteur se fût refusé à y faire d'importantes modifications, et qu'il avait fallu l'autorité du ministre, homme ferme et loyal, pour faire respecter les règlements du concours. On ne manquait pas de rappeler à ce propos l'anecdote des auteurs classiques allant réclamer du roi Charles X un coup d'État contre le romantisme naissant; et l'on se demandait si, depuis vingt-cinq ans, les théories littéraires étaient restées stationnaires en Belgique, alors qu'elles s'étaient développées à un si haut point chez toutes les nations voisines.

C'est qu'en effet il s'agissait d'une question brûlante en littérature, d'une question désormais fondamentale pour l'existence

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