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qui viennent d'être faites, la priorité sera donnée à celle de M. Van Doeselaere.

Toutes les propositions faites durant le congrès sont renvoyées à une commission que nomme le bureau.

Le prochain congrès sera tenu à la Haye.

La séance se termine par une chaleureuse improvisation de M. Prudens Van Duyse.

J.-B. L.

CORRESPONDANCE.

MONSIEUR LE DIRECTEUR,

Le onzième volume de votre Revue contient un compte rendu, par M. HENRI SAMUEL, du remarquable ouvrage de M. HENRI LAMBOTTE, de Namur, sur les Établissements de produits chimiques.

M. Samuel rend un service au public en lui faisant connaître cet ouvrage, qui traite, avec une entière impartialité, une question obscurcie par des passions, aussi véhémentes que mal fondées.

Le livre de M. Lambotte ne doit pas, en effet, être confondu avec le grand nombre de brochures que la circonstance a fait éclore, et qui perdent tout intérêt aussitôt que l'effervescence populaire qu'elles ont contribué à exciter, vient à se calmer. C'est un travail sérieux, fruit d'études approfondies et de longues et difficiles expériences, que plus d'un savant, chimiste ou physicien, entièrement désintéressé dans la question des fabriques de soude, pourra encore consulter avec fruit plusieurs années après sa publication.

Dans son avant-propos, M. Lambotte fait la remarque ( et ce n'est pas une des moins utiles vérités que contient son excellent livre) que l'animosité des agriculteurs contre les fabriques de produits chimiques n'a pas pour cause principale le dommage, fort peu étendu, occasionné par les émanations acides ou salines, aux cultures qui environnent les usines, mais bien l'élévation du taux des salaires chez les ouvriers agricoles, due à l'extension de l'industrie minière et manufacturière.

Les agriculteurs, en général, parlent et écrivent peu; aussi cette animosité reste-t-elle assez occulte, mais elle n'en est pas moins bien réelle,

et elle n'attend que l'occasion pour se manifester par des actes plus ou

moins répréhensibles.

Cette animosité est-elle fondée? En aucune façon. Elle résulte d'une compréhension très-fausse, très-étroite et très-égoïste des intérêts agricoles.

Par suite d'une plus grande demande de travail, les salaires ont haussé; c'est une circonstance très-heureuse pour la classe ouvrière, et d'autant plus qu'elle coïncide avec un enchérissement général des choses les plus nécessaires à l'existence. Cette hausse des salaires, loin d'être nuisible aux agriculteurs, propriétaires ou fermiers, leur est favorable. Sans cette circonstance, la classe ouvrière n'eût pas tardé à dépérir de misère; le salaire serait resté ce qu'il était auparavant, mais le travail donné en échange de ce salaire par des ouvriers affaiblis et abrutis par les privations eût diminué en quantité et en qualité; d'où perte réelle pour le patron, sans profit pour personne. Par suite de la hausse, au contraire, l'ouvrier, mieux entretenu, développe mieux ses forces et son intelligence, travaille avec plus de gaité et d'ardeur; la haine envieuse que sa misère lui inspire contre le maître, diminue d'intensité, et, en définitive, ce dernier y gagne de toute façon, car ce n'est pas le travail seul qui lui coûte moins cher par la hausse des salaires, quoique cette proposition semble impliquer contradiction au premier aspect : l'ouvrier, mieux rétribué, consomme davantage des produits de la terre, et empêche par conséquent que le prix de ceux-ci s'avilisse, ce qui serait arrivé infailliblement si la misère l'eût forcé de restreindre ses dépenses.

D'un autre côté, cette industrie manufacturière, dont l'agriculteur croit avoir tant à se plaindre, ne consomme-t-elle pas aussi une grande quantité de produits agricoles? Ne contribue-t-elle pas efficacement au perfectionnement des voies de communication, si avantageuses au cultivateur, et ne lui fournit-elle pas, à bas prix, les outils et jusqu'aux engrais dont il a besoin?

Ainsi, loin de se nuire, l'agriculture et l'industrie se prêtent un mutuel appui, et le patron est aussi intéressé que l'ouvrier à ce que le salaire de ce dernier soit convenable.

Tous les intérêts bien entendus sont donc harmoniques, et il n'y a d'autre antagonisme réel que celui qu'engendrent l'ignorance et l'égoïsme (ou intérêt privé mal entendu), ces deux éternels ennemis du bien-être de l'homme.

Aussi ai-je consacré depuis longtemps tous mes travaux économiques à la démonstration de ce fait : Que l'intérêt personnel le plus strict, pourvu qu'il soit réel, est d'accord avec les sentiments les plus nobles et les plus élevés, avec l'amour le plus dévoué pour ses semblables, et je vous suis

infiniment reconnaissant, M. le Directeur, de m'avoir accordé votre appui pour mes efforts, en publiant dans le dernier volume de votre Revue, un résumé des leçons et conférences dans lesquelles j'ai cherché à propager cette idée.

C'est aussi parce que je trouve dans le compte-rendu, très-juste du reste, que M. Henri Samuel a fait de l'ouvrage de M. Lambotte, quelques expressions qui me semblent renfermer, en germe, des conséquences contraires à ce grand principe de l'harmonie des intérêts, que j'ai jugé utile de lui présenter, par votre intermédiaire, quelques objections.

Pour arriver à démontrer que l'industrie manufacturière est favorable à la classe des ouvriers agricoles, ce que je suis loin de lui contester, M. Samuel part d'un principe qu'il emprunte à J.-B. Say; je ne sais s'il a copié exactement la phrase qu'il place entre guillemets : « le salaire des manouvriers se détermine d'après le rapport de l'offre à la demande, de manière cependant à ne jamais dépasser le taux du strict nécessaire pour assurer leur existence, c'est-à-dire le minimum de subsistances, » mais certainement il n'a pas bien compris la pensée de l'illustre économiste, qui a établi une grande différence de signification entre les mots « moyens d'existence » et « moyens de subsistance. » Ces derniers, selon Say, ne comprennent que la somme des choses strictement nécessaires pour qu'un homme puisse vivre et élever une famille dans un climat donné. Cette quantité est invariable. Les moyens d'existence, c'est au contraire ce qu'il faut pour l'entretien d'une famille vivant dans un certain milieu social; le nécessaire varie ici avec ce milieu, et suivant le degré de civilisation de la société dans laquelle cette famille existe. Ainsi, tandis que l'ouvrier, au moyen âge, demeurait dans une mauvaise hutte en terre, d'une révoltante malpropreté, sans fenêtres, sans air ni lumière, autre que ce qui en pénétrait par la porte et la cheminée; tandis qu'il était vêtu d'un sale sayon de laine jamais renouvelé; tandis que la farine était un aliment de luxe auquel il ne pouvait atteindre et qu'il mangeait de la bouillie de seigle, d'orge ou d'avoine, notre manouvrier d'aujourd'hui, qui, à la rigueur, pourrait subsister sous ce régime de ses pères, mange du pain fait avec de la farine, souvent de froment, peut renouveler son linge, et loge dans une habitation qui, pour n'être encore ni belle ni bien saine, est au moins mieux aérée et mieux éclairée que celle de ses ancêtres. Voilà pour la vie matérielle; sous le rapport moral et intellectuel, ne jouit-il pas, au même titre que tout autre, c'est-à dire gratuitement, de beaucoup de choses, fruits du travail et de l'épargne de plusieurs générations, et dont ses prédécesseurs ignoraient jusqu'au nom? Y avait-il, pour le travailleur des siècles passés, d'autre justice que le caprice de ses maîtres? d'autre propriété que celle qui n'excitait la convoitise de personne? Je crois donc que, sans me faire

le panégyriste outré de notre siècle, je puis affirmer qu'il y a progrès matériel et moral dans la condition de la classe ouvrière, quoique ce progrès soit si lent qu'il faut y regarder de près pour le constater dans l'espace d'une vingtaine d'années. Or, ce progrès ne pourrait jamais se réaliser, si, comme le dit M. Samuel, « la hausse ne dépasse pas le minimum de subsistances, même lorsque, par suite de la disette de bras, le salaire s'élève en proportion de la demande. »

M. Samuel semble admettre la théorie de Malthus dans toute son impitoyable rigueur, lorsqu'il dit :

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Ainsi, arrive-t-il qu'une contrée soit assez favorisée du ciel pour que sa population croisse et s'y multiplie, le taux des salaires baisse; alors, faute de moyens d'existence, la population s'étiole et diminue, puis, bras manquant et la demande dépassant l'offre, les salaires augmenteront de nouveau. >>

Il faudrait désespérer à jamais d'améliorer le sort des classes laborieuses, et tous les efforts des vrais amis de l'humanité vers ce but n'aboutiraient pas à soulager la misère, mais seulement à accroître le nombre des misérables, si toute augmentation de salaire ou toute abondance des choses nécessaires à la vie n'avait d'autre résultat qu'un accroissement de population, bientôt arrêté par une recrudescence de misère.

Ce serait admettre que Dieu a voué à une misère et une abjection fatales et irrémédiables une grande partie du genre humain, et n'a convié que le petit nombre, non seulement aux jouissances matérielles de l'existence, mais à l'avantage infiniment plus précieux de l'entier développement de ses facultés morales et intellectuelles. Or, M. Samuel, pas plus que moi, j'en suis certain, ne peut concevoir une fatalité injuste, ne peut admettre un Dieu ayant créé les hommes avec des facultés égales, pour les diviser ensuite en deux castes, dont l'une seulement, la moins nombreuse, est admise à développer ces facultés et à en faire usage, tandis que pour le plus grand nombre, elles restent dans un état complet d'inertie ou ne servent qu'à rendre son abjection plus douloureuse.

M. Samuel semble avoir accepté la théorie de Malthus dans toute sa rigueur, et les apparences lui donnent raison. La statistique nous montre en effet, que toute augmentation de salaires, ou toute diminution du prix des moyens de subsistance est suivie d'un accroissement de la population. Mais est-il permis d'en déduire que cet accroissement se proportionne exactement à la plus grande facilité de vivre? S'il est arrivé, chez certaines races abruties par une longue durée de misère, qu'elles se sont multipliées plus rapidement encore que les choses indispensables à la vie, et que leur dénûment en est arrivé à un tel point que la famine et l'émigration ont dû ramener l'équilibre, ce cas est loin d'être le plus général. Ce qui

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