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Cependant Dominis sentait le besoin d'atténuer la fâcheuse impression que son apostasie avait faite sur tous les catholiques. Il préluda par un petit opuscule : Il vero modello ó sia parallelo della chiesa antica e moderna, où il dévoila les vices des prélats, fit ressortir les contrastes qui existent entre le collége des apôtres et des cardinaux, entre les évêques de la primitive Église et les contemporains, entre la pauvreté de saint Pierre et le faste des souverains pontifes, qui scandalise la chrétienté.

Non satisfait de ces vengeances générales, il s'en prit aux particuliers, aux cardinaux surtout, aux ministres de l'inquisition, même à des familles considérables, aux Borghèse entre autres; et ses satires furent si piquantes que les Anglais eux-mêmes, juges désintéressés, en blamèrent les exagérations. Mais à Rome on s'arrachait à tout prix des exemplaires du pamphlet.

Enfin, il poussa une attaque à fond contre les principaux points de la religion. Niant le séjour de saint Pierre à Rome, il niait que les papes fussent ses successeurs. Élevant à la hauteur d'un fait historique l'existence de la papesse Jeanne, il en concluait la solution de la série légitime des souverains pontifes. Il ébranlait leur puissance temporelle, en démontrant la fausseté de la donation de Constantin. Il critiquait la défense de lire la bible en langue vulgaire; le purgatoire inventé par la gourmandise des prêtres; les miracles des saints, affirmant qu'il avait été témoin de beaucoup de miracles de contrebande; l'intercession des saints, l'adoration des images, la confession auriculaire. Il n'oubliait aucun des mensonges, aucun des abus qui ont fait la grandeur de Rome.

Ces publications mettaient en émoi la capitale de l'Église. Les honnêtes gens qui, répugnant à la flatterie,

n'obtenaient pas le prix de leurs mérites et de leurs services, accusaient le pape d'avoir poussé Dominis à bout en le frappant, alors qu'il épargnait les mêmes vices chez les autres prélats. Paul, de son côté, était désespéré du scandale. Un autre ne s'en serait guère soucié; mais lui, en prenant la tiare, avait résolu d'en restaurer la puissance et le prestige; et il n'épargna ni démarches, ni dépenses pour amener une réconciliation.

Finalement, voyant l'impuissance de ses moyens de douceur, il comprit que sa réputation lui défendait une plus longue tolérance. Il convoqua au Vatican les cardinaux, les archevêques, les évêques et autres prélats de marque qui se trouvaient à portée.

Au jour assigné, le pape, en grand uniforme, assis sur son trône, prit texte de ce passage de l'Évangile : Si peccaverit in te frater tuus, vade et corripe eum inter te et ipsum solum, et si te non audierit, dic ecclesiæ. S'apitoyant, dans un long préambule, sur les calamités de l'Eglise, et les brèches que Satan lui avait faites depuis un siècle, il en vient à Dominis qu'il ne cesse de nommer le lion rugissant. Il rend compte de toutes ses tentatives de correction paternelle; des moyens mis en œuvre pour le ramener à la bergerie du Christ; mais il a perdu tout espoir d'amollir ce cœur farouche. Le temps de la bénignité est passé; le temps est venu où il faut déployer la sévérité d'un juge. Cependant, avant de sévir, il désire connaître l'opinion des princes de l'Église.

Le cardinal Del Monte, qui, en l'absence du doyen, devait déposer le premier vote, prenait la parole pour encourager le pape à l'inflexibilité, lorsque l'assemblée coupa la harangue par des clameurs unanimes la cause est entendue; il ne faut plus retenir les foudres spirituelles contre un sacrilége qui déshonore notre

robe. Tant de passion entraîna le pape qui, prenant en main un cierge noir, prononça la sentence la plus rigoureuse d'excommunication; et, le jeudi suivant, il parut, vêtu d'une chape noire, au balcon de SaintPierre, pour proclamer cette condamnation Urbi et Orbi.

Ce n'était pas assez il voulut que l'inquisition procédât avec sa sévérité ordinaire. L'instruction fut longue, car il avait fallu échelonner les différentes assignations contre un contumace. Finalement, vers la fin d'octobre 1615, en présence de tous les cardinaux et ministres du saint office, 'sur un échafaud dressé dans l'église de la Minerve, la sentence définitive fut proclamée :

Nous, par la miséricorde de Dieu et de la sainte Église romaine, cardinaux (suivent les noms), inquisiteurs généraux de la perversité hérétique dans toute la république chrétienne; ayant invoqué le très-saint nom de notre Seigneur Jésus-Christ; disons et prononçons que Marc-Antoine de Dominis, fils de feu Philippe, pour les causes établies dans l'instruction et d'ailleurs connues du monde entier, doit être châtié comme hérétique, et a ainsi encouru toutes les censures et peines, en exécution desquelles nous le privons de tous ses honneurs et prérogatives, notamment de la dignité sacerdotale et archiepiscopale; nous le chassons de notre for ecclésiastique; et en détestation de son péché nous livrons son effigie à Monsignor le Gouverneur et à son lieutenant criminel ici présent, pour lui appliquer les peines requises; nous voulons que ses écrits impies et hérétiques soient brûlés; que ses biens meubles et immeubles, raisons et actions soient confisqués et adjugés à qui de droit. Mandons à tous les frères et fidèles des deux sexes, sous peine d'excommunication latæ sententiæ, de n'avoir aucune relation ni correspon

dance avec le condamné; à tous les patriarches, primats, archevêques et évêques, de mettre tout en œuvre pour s'assurer de sa personne, sans avoir cure de la dépense, dont ils seront remboursés par notre tribunal, auquel ils devront immédiatement donner avis de l'arrestation.

Le lendemain, par ordre de Monsignor le Gouverneur et de son lieutenant criminel, l'effigie de MarcAntoine, aussi ressemblante que possible, fut promenée dans les rues, au son de la trompette, escortée des ministres de la justice. La procession s'arrêta au Champ de Flore, et l'effigie, attachée à un poteau sur un bûcher, fut brûlée avec tous les écrits de l'original.

Tout en se raillant de l'exécution, qui ne le préservait point des froidures anglaises, Dominis n'en fut pas moins vexé. Il fit imprimer un manifeste italien sur l'invalidité de l'excommunication et la tyrannie de l'inquisition, protestant contre chacun des chefs d'accusation, et en appelant du pape au tribunal de Dieu. Mais si en Angleterre il faisait fi de sa sentence, à Rome le pape et son consistoire se moquaient de ses protestations. Seulement, peu de temps après, il put essayer ses vengeances.

Ce fut d'abord la publication de sa République Chrétienne en dix livres 1.

1o Il détermine la forme du gouvernement de l'Église. Sous le Christ, c'était une monarchie absolue. Après lui, c'est une aristocratie tempérée. Par conséquent la primauté de Pierre et la papauté sont contraires à l'Evangile et à l'institution divine.

2o Il traite des successeurs des apôtres, de l'institu

1 Je n'ai pas vu l'ouvrage. L'analyse est faite par Dominis, Causæ profectionis suæ ex Italia, 1617.

tion des évêques, et des autres grades de la hiérarchie. 3o De l'égalité des évêques, d'après le droit divin; de la suprématie de certaines localités, d'après le droit ecclésiastique.

4o Des priviléges de l'Église romaine. Ni par ellemême, ni dans ses évêques, ni dans son clergé, elle n'a reçu du Christ aucune prééminence.

5o De la puissance de l'Eglise. Elle est purement spirituelle.

6o Comparaison des deux puissances. Le prince a beaucoup à dire dans l'Église, qui n'a aucun pouvoir sur le temporel.

7° Du régime intérieur de la république chrétienne; de l'autorité des papes et de l'Église.

8° Du gouvernement extérieur de l'Église par les lois, les canons, les tribunaux; des dispenses.

9o Des biens temporels de l'Eglise et de leur administration.

10° De la liberté de la république chrétienne, des priviléges et privilégiés, de l'abus des priviléges, etc.

Puis vint la publication de l'histoire du concile de Trente. Il ne fallait pas se flatter d'imprimer en Italie un livre où l'on osait dire la vérité. Fra Paolo le sentait bien. Il songea donc aux presses étrangères, pour échapper aux griffes des inquisiteurs; et, les soins. de la publication réclamant la connaissance de l'italien, de l'histoire et de la langue ecclésiastique, il arrêta sa pensée sur Dominis, et le pria de lui trouver un éditeur. Dominis, qui avait sur le concile de Trente des opinions assez hétérodoxes, qui n'en reconnaissait pas l'autorité, qui n'admettait point les définitions sur la justification, la grâce, l'efficacité des sacrements, apprécia toute la portée d'un pareil travail. Aussi accueillit-il ces ouvertures avec empressement, et trouva-t-il bientôt un

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