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fans, et dirige contre ces infortunés une procédure dans laquelle de nombreux témoins se présentaient plutôt comme les échos d'une accusation que comme des accusateurs directs. Les juges du tribunal inférieur ne virent point la part que le fanatisme avait à ces dépositions, parce qu'eux-mêmes étaient aveuglés par ce sentiment. Ils crurent que des soupçons se prouvent par le nombre de personnes qui paraissent les partager, et furent trop frappés de quelques réponses contradictoires que les accusés avaient faites dans leur premier trouble. En vain Calas produisit-il des témoignages de la douceur de son caractère et de la noire mélancolie qui consumait son fils; en vain représenta-t-il que loin d'être capable des fureurs dont on l'accusait, il payait une pension à l'un de ses fils qui déjà s'était fait catholique; qu'affaibli par l'âge (il avait soixante-un ans) il n'aurait pu exécuter ce parricide sur un jeune homme ardent et vigoureux; qu'une servante catholique, qu'on supposait avoir été présente à cette scène exécrable, aurait trouvé les moyens de prévenir son crime : un magistrat frénétique le fit condamner à la roue, et le parlement de Toulouse, à la pluralité de huit voix contre cinq, confirma ce jugement. Le malheureux

vieillard protesta de son innocence au milieu des tortures de la question et en montant sur l'échafaud.

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Le parlement avait absous la femme, les fils et les filles de Calas. Cette famille, vouée au deuil, à l'opprobre et à la misère, vint chercher un refuge à Genève. On accueille, on plaint ces victimes de l'intolérance; mais où trouver pour elles un protecteur qui puisse leur donner le seul soulagement dont elles soient avides, celui de faire reconnaître l'innocence du plus malheureux des pères de famille? Qui osera lutter contre un parlement et le convaincre d'une injustice barbare, lorsque ces grands corps, plus puissans que jamais, forment une ligue dont l'autorité royale ne peut elle-même triompher? La veuve de Calas se rend à Ferney, et tombe avec ses enfans aux pieds de Voltaire. L'ardent ennemi du fanatisme frémit. Plus de repos pour lui jusqu'à ce que, du fond d'une solitude qu'on peut regarder comme un exil, il ait obtenu ce qu'un ministre oserait à peine tenter. Sa puissance est dans sa gloire, dans une volonté qui domte tous les obstacles, enfin dans un esprit d'à-propos et une dextérité qui ne l'abandonnent pas lorsque son ame est remplie de pitié ou transportée d'indignation. L'Eu

rope, que déchirait encore une guerre funeste, se distrait pendant quelque temps des malheurs qu'attire sur elle la politique, pour écouter Voltaire plaidant la cause de Calas. Le malheur d'une famille fait l'entretien des nations. En France, toutes les femmes (a) et tous les jeunes gens se sont émus; et ce que le cœur leur inspire entraîne les hommes d'Etat les plus froids. Les esprits sont déjà convaincus de l'innocence de Calas avant qu'aient paru les mémoires de deux avocats fameux, Elie de Beaumont et Loiseau de Mauléon, dont Voltaire a excité le zèle. Un homme que la vanité eût attaché à une cause si belle eût voulu garder à lui seul l'honneur d'un pareil triomphe.Une occasion s'offrait à ce Voltaire, si insatiable de gloire, de montrer que, le premier des modernes, il rappelait le génie de l'orateur romain. Eh bien! il obéit à un sentiment si profond et si vrai, que cette ambition même lui paraît frivole. Il réserve un rôle brillant aux utiles auxiliaires qu'il s'est formés dans le barreau de Paris. Le duc de Choiseul,

(a) La duchesse d'Enville, celle qui vit massacrer près de Gisors son vertueux fils, le duc de La Rochefoucauld, fut la protectrice la plus zélée de la famille Calas.

Supplice de

1766.

malgré sa politique qui l'attachait aux parle mens, écouta la justice et l'humanité. L'arrêt du parlement de Toulouse fut cassé. Un tribunal de maîtres des requêtes réhabilita la mémoire de Calas. Le roi voulut que le trésor public indemnisât cette famille, dont tous les biens avaient été confisqués. Le ca pitoul David, tourmenté de la pensée d'avoir condamné un innocent, mourut bientôt après dans un état de démence.

Le triomphe que Voltaire et les philosoLa Barre. phes venaient de remporter fut troublé par un événement qui leur causa les plus vives alarmes. Un crucifix de bois, placé sur un pont d'Abbeville, fut brisé pendant la nuit. Les habitans de cette ville crurent qu'un pareil attentat, s'il était impuni, attirerait sur eux la colère du ciel. Leur évêque ordonna des actes expiatoires. Chacun se communiqua ses soupçons sur les auteurs du sacrilége. Un accusateur se présenta et nomma le che valier de La Barre et d'Étallonde, jeunes militaires qui avaient causé des scandales trop fréquens par la licence de leurs mœurs et celle de leurs discours. Le tribunal d'Abbeville les décréta. D'Étallonde put s'échapper. La Barre parut devant ses juges. Il n'y eut point de témoignages assez positifs pour le con

vaincre du délit dont il était accusé; mais on prouva qu'en d'autres occasions lui et son ami avaient manifesté du mépris pour de saintes cérémonies. On rapporta d'eux des blasphemes tels que la débauche les profere souvent. Des personnes dont l'extrême ignorance rendait, en pareil cas, le témoignage suspect, déposèrent qu'ils avaient coutume de s'agenouiller devant des ouvrages impies; les uns citaient parmi ces ouvrages une ode obscène de Piron, et les autres le Dictionnaire philosophique de Voltaire. Chacun de ces faits parut un crime aux juges d'Abbeville, et ils prononcèrent la plus terrible sentence contre un jeune homme de dixsept ans. Le public éclairé ne put croire que le parlement de Paris osât confirmer la rigueur excessive du tribunal inférieur. Une circonstance qui devait sauver le chevalier de La Barre, ou du moins modérer sa peine, acheva de le perdre. Ce jeune homme avait plusieurs parens dans le parlement de Paris. Des prêtres persuadèrent à ceux-ci qu'ils seraient coupables d'arrêter, par leur crédit, la vengeance du ciel. En abandonnant ce jeune insensé, ils parurent le condamner. Voltaire écrivit du sein de sa retraite tout ce que la raison et humanité peuvent ins

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