Imágenes de página
PDF
ePub

le commerce avaient les leurs, et qu'il n'en était pas de plus funestes au bonheur des nations. On éleva sur leur ruine des théories dont l'objet était de détruire sur tous les points du globe la guerre, l'indolence, l'oppression et la pauvreté.

Deux hommes avaient, depuis dix ans, cru trouver la solution des problêmes les plus importans; l'un était le docteur Quesnai, et l'autre Vincent de Gournai (a), intendant du commerce. Ils étaient partis, dans leurs spéculations philanthropiques, de deux points différens, et avaient eu la joie de se rencontrer dans plusieurs de leurs résultats. Quesnai avait vu dans l'agriculture la source de toutes les richesses; Gournai, par une généralité plus heureuse et mieux reconnue de nos jours, l'avait vue dans le travail. Le premier s'était élevé contre un régime fiscal qui, frappant le propriétaire et le laboureur en cent manières indirectes, ne leur permet pas

(a) Ces distinctions entre les deux écoles des économistes sont présentées avec beaucoup de clarté dans les Mémoires de M. Turgot, et dans les notes qu'y a jointes M. Dupont de Nemours, digne commentateur des œuvres du ministre dont il fut l'ami. J'ai cru que l'historien devait, sans juger ces doctrines, indiquer leurs résultats.

de calculer avec certitude leur revenu, et les gêne dans les avances que la terre leur demande. Il s'était surtout attaché à démontrer le vice des lois qui, arrêtant la circulation et l'exportation des grains, sacrifient l'agriculture à la fausse prospérité du commerce, et, par un égard maladroit ou perfide pour les plaintes du peuple, aggravent sa misère en feignant d'y compatir. Mais par la proposition d'un impôt unique assis sur le produit net des terres, Quesnai avait effrayé ceux dont il plaidait la cause; ni les propriétaires, ni les laboureurs ne comprenaient comment on améliorait leur sort en faisant retomber sur eux seuls le fardeau des impositions. Ses principes, énoncés en axiomes, avaient d'ailleurs un peu d'obscurité. Il n'était aucun de ses disciples qui ne se permît de les modifier. Vincent de Gournai s'attacha mieux à l'esprit d'analyse recommandé par la philosophie nouvelle. Il sut habilement décomposer le mécanisme du régime social, et montra comment tous les différens genres de travail et d'industrie naissent les uns des autres et s'entr'aident. Loin d'appeler sur eux la protection du gouvernement, il ne lui demanda que de rester spectateur passif et bienveillant de leurs efforts. Il se déclara

l'ennemi des lois prohibitives, des réglemens, des concessions et des priviléges; et la maxime trop générale laissez faire, laissez fut le résultat de ses principes.

passer,

Ainsi commençait à retentir partout le mot de liberté. On le proférait jusque dans le conseil d'État, où la doctrine de Quesnai, et surtout celle de Vincent de Gournai, comptaient des partisans zélés. « L'autorité royale avait tout à gagner, suivant eux, à s'unir intimement à la cause du peuple. La maison régnante devait à cette politique tout l'accroissement de sa puissance. Quelque réforme qu'il y eût à opérer, quelque hardiesse qu'il y eût à renverser à la fois les préjugés fiscaux et les déplorables restes de la tyrannie féodale, l'État, en s'appuyant avec force sur la base de la propriété, se mettait à l'abri de toute révolution. En vain des corps s'offraient comme les représentans fictifs des trois ordres du royaume : la nation n'existait que dans les propriétaires. Un ministre, qu'on avait accusé d'attachement au pouvoir absolu, le marquis d'Argenson, avait déjà développé ces principes; bien long-temps auparavant, Sully les avait consacrés en faisant dépendre la richesse de l'État de l'aisance du laboureur. Quels avantages leur

application ne promettait-elle pas dans un siècle de lumières? Le commerce, qui depuis long-temps mettait en guerre des peuples trop jaloux de s'en disputer les fruits, allait les unir par des liens fraternels; le bonheur d'une nation ne serait pas perdu pour les nations voisines; l'intérêt bien calculé opérerait ce que la religion et la morale n'avaient pu encore obtenir; le luxe tomberait sans lois somptuaires, ou se dirigerait vers l'utilité la mieux reconnue; l'accroissement du travail, l'extinction de la mendicité, la suppression des réglemens qui provoquent la fraude et la punissent par des rigueurs immodérées, épureraient les mœurs, rendraient tous les devoirs plus faciles et plus sacrés. »

Cette perspective était si séduisante, que des magistrats et des prélats même se passionnaient pour des principes contraires aux prétentions et encore plus aux préjugés de leurs corps. Les gens de lettres les étudiaient et les développaient avec zèle. Voltaire était presque le seul qui ne partagea point cet enthousiasme; mais son autorité et ses sarcasmes étaient sans effet quand il voulait ralentir le penchant de la nation vers de nouvelles épreuves. Un jeune administrateur,

Turgot, dont l'esprit étendu et fécond tendait sans cesse à réaliser tous les vœux que lui inspirait une belle ame, essayait avec succès, dans l'intendance de Limoges, des innovations fondées sur ces maximes, et trouvait quelques émules parmi ses collègues Lamoignon de Malesherbes, fils du chancelier, et premier président de la cour des aides, répandait cette doctrine nouvelle dans un tribunal chargé d'appliquer les peines les plus sévères et les réglemens les plus minutieux inventés par le fisc. Trudaine, à qui l'on devait les belles routes de France, cherchait à lever toutes les difficultés d'une théorie un peu vague. A l'aide de partisans si recommandables, les économistes se firent obéir du gouvernement, quoique le duc de Choiseul affectât d'opposer à leurs projets une indifférence mêlée de dédain.

commerce

des grains.

20 décemb.

Peu de temps après l'entrée de Laverdi Edit sur le au contrôle général, il parut un édit qui permettait la circulation des grains d'une province à une autre, sans payer aucun 1764. droit. Bientôt un autre édit autorisa l'exportation des grains hors de France, chaque 1765. fois que le prix du blé n'excéderait pas un taux désigné. Quoique cette modification déplût beaucoup aux économistes, ils se

10 juillet

« AnteriorContinuar »