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Nouveaux bruits d'empoisonnement.

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dire que le dauphin avait été empoisonné de la même manière.

On réveilla les bruits qui avaient couru sur la mort de la marquise de Pampadour, et ces trois personnes furent désignées comme trois victimes du duc de Choiseul. A la vérité, on n'entendit point retentir ces cris violens qui avaient ému le peuple et glacé le cœur de Louis XIV après la mort d'un autre dauphin et d'une autre dauphine; mais des hommes animés d'une haine commune se firent, dans l'ombre, de sinistres confidences, et voulurent persuader que de grands erimes avaient été commis à la cour de Louis, Bientôt on fit tourner contre les jésuites l'accusation qu'eux et leurs partisans essayaient de porter. Des esprits sombres, qui ont besoin de haïr et de calomnier l'autorité, firent des rapprochemens pour justifier des fables atroces. L'attentat de Damiens cachait, suivant eux, de redoutables mystères. Du moins, disaient-ils, on avait su persuader à Louis XV que le dauphin avait trempé dans un complot parricide. Le duc de Choiseul s'était offert à délivrer le roi d'un fils qu'il ne pouvait plus voir sans terreur. Il avait fait choix d'un poison lent pour détourner les soupçons. La dauphine,

et auparavant la marquise de Pompadour, avaient été empoisonnées lorsque l'une et l'autre lui avaient fait craindre la perte de son crédit.

Il y des crimes impossibles. Que Louis ait supporté pendant un certain nombre d'années le spectacle de son fils mourant d'un poison qui lui aurait été versé par ses ordres; que tranquille jusqu'à la fin dans son lent parricide il ait pu s'approcher du lit de så victime, et jouir de son agonie, voilà qui est au-dessus de la scélératesse la plus ́exercée; et l'on ose en accuser un roi qui, s'il fut toujours loin de la vertu, fut encoré plus loin des penchans d'une ame atroce! Quelle eût été sa démence, sa frénésie, de voir un monstre formé pour les plus horribles complots dans un prince pieux, sensible, sincère; dans celui des Français dont on révérait le plus les vertus domestiques! La plupart de ceux qui ont cru ou feint de croire à l'empoisonnement du dauphin et de la dauphine disculpaient le roi d'y avoir donné aucun consentement. On lit dans des mémoires peu estimés que le duc de Choiseul a immolé ces augustes victimes à l'Autriche. qu'il servit toujours, à cette puissance que le duc de Saint-Simon lui-même soupçonne

Refutation de ces bruits.

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d'avoir fait périr la famille de Louis XIV, Quand j'ai relevé cette insinuation révol¬ tante de Saint-Simon, il m'a suffi de nommer le prince Eugène pour le confondre: le nom de Marie-Thérèse fait également tomber la nouvelle accusation portée contre l'Autriche; mais quand on supposerait que des ministres se fussent passés du consentement de l'impératrice pour ordonner de pareils crimes, on chercherait vainement quel pressant intérêt put y porter leur politique. Lorsque madame de Pompadour voulut déeider une guerre dont l'Autriche seule pouvait recueillir quelque fruit, elle s'aida, comme nous l'avons dit, des pleurs et de l'intercession de la dauphine, dont le père venait d'être dépouillé par le roi de Prusse. Le dauphin avait joint ses instances à celles d'une épouse si chérie. Il est vrai que ce prince opina pour la paix quatre ans ayant qu'elle fut conclue; mais c'était à une époque où l'Autriche, déjà fatiguée de ses efforts impuissans, ne demandait qu'une faible cession pour sauver l'honneur de ses armes. Ce qui serait encore plus étonnant que cette fureur d'ordonner des meurtres inutiles, ce serait le flegme du ministre français chargé de les exécuter. Quoi! il aurait eu recours

à un moyen si lent, qu'il restait encore quelques probabilités que la mort du roi précéderait celle du dauphin! Il se serait exposé à rester livré à la vengeance du prince dans les veines duquel il avait fait couler le poison, à subir le supplice des régicides dès les premiers jours d'un nouveau règne! En rendant ces exécrables services à l'Autriche, il n'eût pas craint de frapper, dans la marquise de Pompadour, le plus aveugle et le plus utile instrument de cette puissance! Quatre fois empoisonneur dans le cours de six années (car on voulut aussi lui attribuer la mort de la reine), il se şerait toujours montré aussi patient dans ses crimes! Les hommes les plus vertueux du royaume auraient eu pour l'assassin de la famille royale un dévouement à l'épreuve des disgrâces et de tous les malheurs qui accablent les courtisans! Nul trouble d'esprit, nul accès de fureur, nul signe de férocité ou de remords n'eût décelé ce grand coupable ni dans sa puissance ni dans son exil! Les accusateurs, que n'arrêtent pas de telles invraisemblances, font un portrait idéal du crime; ils inventent un monstre : mais à quoi bon les suivre dans leurs conjectures, lorsqu'elles n'ont pas même pour fondement des

circonstances extraordinaires, équivoques dans les maladies dont moururent le dau→ phin, la dauphine, et la marquise de Pompadour? Ces maladies furent du nombre de celles que la médecine a le mieux caractérisées, et qu'elle désespère de vaincre. Les progrès en furent lents, déterminés, et tels enfin que l'observation les fait prévoir. Aussi

les

soupçons que je réfute ne furent admis que par des hommes irrités, atrabilaires, et chez lesquels une haine farouche rendait la piété suspecte. Le vulgaire ou les ignora, ou les oublia bientôt. La partie la plus éclairée de la nation les repoussa comme d'horribles chimères. La bienveillance dont les ames étaient remplies, et l'esprit de discussion, nés l'un et l'autre de la philosophie, ne permettaient pas à l'imagination de s'arrêter à ces rêves d'empoisonnement. On reconnaissait que ce genre de crime ne fut nulle part moins commun qu'en France. A une époque de discorde et d'anarchie, les bruits qui avaient couru sur la mort du dauphin ont été rappelés dans des ouvrages trop empreints du sombre vertige de ces jours malheureux. Je n'ai pu me taire sur ces bruits, tout méprisés qu'ils sont, parce que l'historien doit écarter avec

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