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taux que lui seul pouvait long-temps soutenir. Des gouvernemens, des pensions dédommageaient quelquefois les joueurs malheureux, et l'État payait le gain honteux du maître. Il est vrai que les ministres n'avaient pas toujours égard à ses recommandations. Il s'offensait rarement d'un oubli que le sien avait prévenu. Quoiqu'il craignît la fatigue du travail, il s'occupait régulièrement trois ou quatre heures de la journée. Le moins vigilant des monarques en était le plus curieux. Les intrigues de toutes les cours de l'Europe lui étaient parfaitement connues. Le duc de Choiseul savait le satisfaire sur ce point avec une finesse et un agrément qui étaient la meilleure garantie de sa faveur. Mais Louis ne s'en tenait pas aux révélations de son ministre ; il en obtenait d'autres par des agens particuliers. Il faisait des recherches plus basses sur le secret des familles; c'est ainsi qu'il donnait à son oisiveté l'air de l'occupation. Les découvertes qui se faisaient dans les sciences et dans les arts mécaniques continuaient de l'intéresser. Mais il montrait une froideur constante pour les lettres, et semblait avoir peur de ceux qui les cultivaient. Jamais on ne lui entendit prononcer un jugement ferme sur la plupart des ou

vrages qui faisaient de son règne une grande époque littéraire. Peut-être n'avait-il lu ni l'Émile, ni l'Esprit des Lois. Le mouvement qui se faisait dans l'opinion lui donnait une inquiétude vague. Jamais il ne parlait sans humeur ou sans un dédain affecté des philosophes, des encyclopédistes, et surtout de Voltaire. Ces hommes-là, disait-il, perdront la monarchie; et puis il semblait se consoler en pensant qu'après tout il n'était point le monarque menacé.

La marquise de Pompadour prolongeait son empire sur un roi que l'habitude lui asservissait au défaut de l'amour, et même d'une tendre amitié. Louis lui montrait la même docilité qu'il avait eue pour le cardinal de Fleury. Les cabales des courtisans se taisaient devant elle. Des femmes jeunes, éblouissantes de beauté, passaient des embrassemens de Louis à une prompte obscurité, tandis que la favorite, en faisant d'infâmes spéculations sur ses rivales mêmes recueillait près du trône le magnifique salaire de leur commun déshonneur. Pour montrer quel prestige est attaché à un long partage du pouvoir suprême, il faut dire que madame de Pompadour n'était pas seulement adulée, mais, en quelque sorte, res

Madame de

Pompadour.

pectée de la cour. Ses traits avaient pris de la dignité. L'altération que l'âge avait apportée à sa beauté, se cachait sous un air imposant personne, en la voyant, ne songeait à ce que son rôle avait de plus honteux; elle écartait, à force de fierté, la pensée du Parc-aux-Cerfs. De sévères ma¬ gistrats qui venaient quelquefois négocier en secret avec elle, au nom du parlement, étaient de leur aveu intimidés en sa présence, ou rassurés par son sourire un mot lui suffisait pour avertir un ennemi caché qu'elle démêlait ses trames; elle savait intimider jusqu'au maréchal de Richelieu. Le prince de Soubise et d'autres seigneurs d'une grande naissance, s'honoraient de porter le nom d'amis de la marquise. Le ton qu'elle avait auprès du roi, était celui d'une amitié respectueuse et courageuse; elle affectait de ne point le flatter; en le détournant des devoirs d'un roi, elle semblait toujours l'inviter à les reprendre; elle montrait de la vénéra tion pour la reine, dont elle usurpait la place, et la trouvait heureuse de n'avoir à s'occuper que du ciel. Irritée de n'avoir pu vainere le mépris du dauphin, elle tenait la cour éveillée sur les ridicules qu'elle croyait remarquer dans ce prince, opposait

son maintien embarrassé à la noblesse et à la grâce de son père, raillait sa piété, parlait de sa haire et de sa discipline, et supposait qu'il s'enfermait souvent pour réciter son bréviaire en habit de jésuite. Après avoir eu souvent à se plaindre des princesses, filles du roi, elles les avait enfin convaincues qu'il était dangereux de condamner en elle le choix du monarque: c'était au milieu de ces petites combinaisons d'une femme inquiète et artificieuse qu'elle visait à obtenir la réputation d'un grand caractère. Son luxe attestait la bizarrerie de ses caprices; on avait multiplié pour elle de frivoles inventions dont elle n'était charmée qu'un jour (a).

L'aptitude qu'elle avait à éprouver ou à jouer l'enthousiaste, lui suggérait mille choses enivrantes pour la vanité des artistes et des gens de lettres. Elle n'était pas pour les philosophes une alliée très-sûre. Comme maîtresse d'un Etat, elle avait souvent à s'offenser des leçons sévères qu'ils adressaient aux rois. Mais leur doctrine était en général si indulgente pour toutes les fautes qui se couvrent

(a) Après la mort de la marquise de Pompadour, la vente de son mobilier dura plus d'un an.

du nom de l'amour, que son intérêt lui prescrivait de la favoriser (a).

(a) Quoique je parle un peu plus bas de l'influence des hommes de lettres, je crois devoir dire ici un mot des rapports que la marquise de Pompadour eut avec eux. Elle pardonna à Voltaire les chagrins qu'il lui avait causés, et après lui avoir fait quitter la France par une maligne cabale, elle le protégea dans les deux retraites qu'il occupa successivement auprès de Genève. Voltaire se vengea de la préférence qu'elle avait donnée sur lui à Crébillon, en faisant Tancrède. Il lui dédia cette tragédie, le dernier de ses chefs-d'œuvre dramatiques. Satisfaite des égards qu'il montrait pour l'autorité, elle conçut le projet de l'opposer à des philosophes qui gardaient moins de ménagemens. Elle espéra même vaincre son penchant à l'irréligion, et l'invita par ses lettres à parer de ses beaux vers les livres saints, qu'il avait si long-temps voués au ridicule. On dit qu'elle lui fit promettre le chapeau de cardinal en récompense des cantiques pieux qu'elle lui demandait. Voltaire répondit à cette offre bizarre par une foule d'écrits dirigés contre le christianisme. La marquise les lut,' s'affligea un moment, et rit ensuite d'une impiété si tenace. Elle fit sans succès différentes tentatives pour apprivoiser J. J. Rousseau. Il rejeta ses bienfaits avec une fierté qui décelait du mépris. Elle ne vit dans ses refus qu'une affectation d'originalité. Elle partagea l'enthousiasme de la plupart des femmes les Lettres de Julie. L'imprudent Jean-Jacques l'offensa dans Émile par un trait cruel sur les maîtresses des princes. Ce ne fut point elle cependant

pour

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