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ridicules offices, pour l'examen de différen~ tes sortes de marchandises. Le quatrième supprimait les jurandes et communautés de commerce, et proclamait la liberté. de l'industrie. Les deux derniers supprimaient ou changeaient des établissemens particuliers, qui rentraient dans la classe des jurandes de

commerce.

A en juger d'après les clameurs qu'excitèrent ces édits, lorsqu'ils furent annoncés, on eût cru que tout était ébranlé dans l'Etat. Ces clameurs ont retenti bien long-temps, puisqu'aujourd'hui encore des personnes peu instruites croient que Turgot mit une extrême précipitation à exécuter tous ses projets. Le comte de Maurepas avait fait discuter ces édits dans le conseil, mais seulement pour préparer les objections qu'on allait répandre contre eux dans le public. Le garde des sceaux devina si bien les remontrances du parlement, qu'il parut en avoir tracé le plan d'avance.

Lepre de les en

parlement refuse

registrer.

Lit de jus tice.

Les six édits sont envoyés au parlement, qui se prépare à manifester sa résurrection politique par l'opposition la plus vive : il n'en veut enregistrer qu'un seul; il se déclare contre des innovations qui ont reçu l'assen- 1776. timent du roi, tonne contre celles qui ne sont pas même encore proposées, et pres

crit l'immobilité à l'administration, de peur qu'elle ne rompe la chaîne qui unit tous les priviléges. En réfutant d'avance ses adversaires dans d'éloquens préambules, Turgot les avait avertis de ses desseins. Ceux - ci combattent toutes les conséquences de son systême; parce que le mot d'intérêt du peuple est sans cesse invoqué, on croit être déjà dans tout le tumulte de la démocratie. On lit dans l'avenir; l'esprit de prophétie anime tous les magistrats; on commet des fautes par lesquelles seront justifiées les plus tristes prédictions. On ne veut point de réformes dirigées par le roi, et l'on ne sait pas que cette résistance fera naître un jour une révolution qui sera conduite par le peuple. Les nobles et les prélats se croient dégradés s'ils contribuent, par une modique somme, à l'entretien de ces belles routes sur lesquelles roulent, leurs chars magnifiques. L'avarice, ce défaut bien plus rare en France que la cupidité, se pare des formes de l'orgueil. Les philosophes subissent à leur tour les traits du ridicule. La frivolité conspire contre le raisonnement.Des illusions philosophiques ne paraissent plus valoir la peine d'être achetées par la perte des jouissances de la vanité. Les communautés d'arts et métiers entrent dans la ligue formée

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par les grands corps. Les ministres disgrâciés tiennent le même langage que les ministres jaloux qui combattent au conseil Turgot et Malesherbes. La reine, tous les princes ceux même des courtisans qui affectent l'irréligion philosophique, frondent à l'envi l'esprit systématique du ministre réformateur et la patience débonnaire du roi, qui, suivant l'expression d'une chanson de ce temps, se croyant un abus ne voudra plus l'étre. Le roi montre du trouble et même du repentir; mais un sentiment de dignité le soutient encore. Le comte de Maurepas, patient dans sa haine contre Turgot, ne veut pas être accusé d'avoir fait plier lâchement l'autorité royale devant les parlemens qu'il a rétablis. Déjà sûr de pouvoir engager le roi à céder, il veut qu'on cède avec art, et que les parlemens euxmêmes ignorent la victoire qu'ils ont remportée. Une combinaison aussi fausse que perfide lui paraît propre à sauver l'honneur de la couronne. Le roi tient, le 12 mars 1776, un lit de justice où il fait enregistrer les cinq édits contre lesquels le parlement avait réclamé. Les philosophes, les économistes regardent un tel succès comme décisif. Nul acte ne leur a paru mieux consacrer leurs principes ni mieux préparer le

Démissions

de Turgot

bonheur du monde que ce lit de justice, qu'ils appellent, avec Voltaire, le lit de bienfaisance.

Mais Turgot et Malesherbes s'aperçoiet de Ma- vent, à la cour, combien est dérisoire le 1776. triomphe qu'ils paraissent avoir remporté.

lesherbes.

Chacune de leurs propositions nouvelles est recue d'un air de défiance et même de mépris. Le roi n'a plus avec eux d'entretiens où le cœur s'épanche; il se trouble à leur aspect, et semble porter d'avance le poids du chagrin qu'il va leur causer. Les projets d'une administration philanthropique restent tous suspendus. On témoigne de pressantes-alarmes sur la situation du trésor royal. Turgot est à chaque instant sommé de s'expliquer sur le déficit de l'année. Des avis sont arrivés par plusieurs voies que le déficit s'est accru et surpasse de plusieurs millions celui qu'avait laissé le dernier règne. Turgot se garde bien de recourir à des artifices faciles pour exagérer le résultat des améliorations qu'il a pu produire. Il s'est fait une loi, peu respectée de ses prédécesseurs c'est d'acquitter les dettes exigibles. Il n'a point sacrifié l'avenir au présent; en sorte qu'il convient que le déficit d'une année où il a fallu satisfaire à des dépenses extraordinaires, telles que celles de la céré

monie du sacre, est à peu près le même que celui de la dernière année de Louis XV. Cette réponse paraît effrayante au comte de Maurepas. Le roi gémit. On voit qu'il n'ose encore ni humilier un homme de bien, ni démentir ses promesses. Turgot se résigne aux dégoûts de la situation la plus pénible, et ne veut point, en offrant sa démission, soulager un moment le cœur de son maître pour le livrer ensuite à tous les dangers d'une marche indécise et de mesures contradictoires. Mais la patience de Malesherbes est épuisée : il cède et se retire. Turgot attend encore. Bientôt sa disgrâce se déclare le roi lui fait demander sa démission. Les philosophes sont consternés et prédisent à leur tour des événemens sinistres. Louis XVI et le ministre vertueux qu'il congédie se plaignent réciproquement. La noblesse, le parlement et le clergé viennent d'apprendre ce que peut leur union contre la volonté du roi. L'antique gouvernement de la France, miné depuis long-temps, chancelle ; mais une guerre assez heureuse retardera sa chute.

FIN DU XIVe LIVRE ET DU IVe VOLUME.

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