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bler d'un sarcasme celui qui l'attaquait avec une froide ironie, semblait dire à ses ennemis, je veille, et s'annonçait enfin comme un homme que la grandeur de ses projets rendait insensible à des peines et des ennuis bien prévus : l'autre, plus familier, plus gai, et d'un commerce peut-être trop facile, avait un défaut qu'il est dangereux de porter à la cour, celui de la distraction. Il n'en remplit pas moins ses fonctions avec une extrême vigilance, et conçut l'une des entreprises les plus difficiles qui puissent exercer la patience d'un homme d'Etat bienfaisant ce fut de soumettre à des règles et des précautions d'équité, les détentions qui ne sont point ordonnées par les tribunaux, et qui ont pour motif ou pour prétexte le salut de l'Etat et le repos des familles. Le travail de Malesherbes sur ce sujet est un heureux mélange de l'esprit philosophique et de l'esprit d'administration. Il avait des projets beaucoup plus étendus, et qu'il eût bientôt développés, si, comme on l'espérait, il eût été appelé à l'emploi de garde des sceaux. C'est alors que Turgot eût renoncé à des ménagemens qui semblaient trop involontaires pour qu'on lui en fìt un mérite.

Un troisième réformateur, mais qui ne

Nomination

du comte de

main au mi

guerre.

21 octobre

1775.

méritait nullement d'être comparé à ceux Saint-Ger- dont je viens de parler, entra dans le mimistère de la nistère : c'était le comte de Saint-Germain. Le département de la guerre était resté vacant par la mort du comte du Muy, qui avait été créé maréchal un peu avant la cérémonie du sacre. Louis donna beaucoup de regrets à ce militaire, dont les vertus étaient attestées par l'amitié constante que lui avait témoignée le dauphin, et par la voix de l'armée. Condamné à subir une opération très-douloureuse, le maréchal du Muy s'était présenté au roi, et lui avait dit ces paroles, où respire le calme d'un philosophe chrétien Dans quinze jours je serai aux pieds de votre majesté, ou auprès de votre auguste père. Cette opération lui coûta la vie. Comme il semblait alors que sous ce règne on ne dût plus choisir des ministres parmi les courtisans, on ne fut point étonné de voir le roi tirer de la disgrâce le comte de Saint-Germain, pour l'élever au ministère. C'était le comte de Maurepas qui avait suggéré ce choix. On peut présumer que son intention était de guérir le roi de son penchant pour les novateurs, en les mettant successivement à l'essai, en leur opposant des entraves et en leur dressant des embûches, dont ils n'oseraient accuser le ministre

:

qui les avait fait nommer, et qui parlait avec une sorte d'enthousiasme de leurs talens.

Le comte de Saint-Germain avait donné tous les signes d'un esprit inquiet et d'un caractère ombrageux. Il avait été jésuite dans sa jeunesse ; il conserva toute sa vie des goûts monastiques, unis à un extrême besoin d'agitation. Au sortir du cloître il s'enrôla, fut nommé officier, tua en duel un homme puissant, et quitta la France. Il passa du service de l'Autriche à celui de Bavière, et vint étudier quelque temps les manoeuvres prussiennes. Il avait eu le bonheur, dans sa vie errante, d'exciter l'attention et de mériter l'estime du maréchal de Saxe. Celui-ci le rappela en France, obtint pour lui le grade de maréchal-de-camp, et lui fournit plusieurs occasions de développer ses connaissances en tactique, étude alors trop négligée par nos généraux. Ce fut pendant la guerre de sept ans que le comte de Saint-Germain fut le plus en évidence. A défaut d'exploits éclatans, il sut s'abstenir des fautes trop répétées que commettaient les généraux nommés par la marquise de Pompadour, et il eut quelquefois le bonheur de les réparer. Un corps qu'il commandait à la bataille de Rosback n'avait donné que fort tard; mais enfin il

avait combattu : les autres n'avaient pas même eu cet honneur. Dans d'autres occasions malheureuses, il avait fui moins loin

que ses rivaux, ce qui avait établi sa renommée. Il la soutenait en frondant les opérations de tous les généraux. Le maréchal de Broglie, qui avait interrompu le cours de nos désastres par le gain d'une bataille, crut devoir s'aider d'un homme qui était versé dans la tactique allemande. Mais bientôt il fut importuné de son caractère irascible, démêla en lui un vif désir de le remplacer, et ne l'employa plus qu'à regret. Le comte de Saint-Germain imaginɑ un singulier moyen de se venger des froideurs de ce général et de l'oubli de la cour: il vint avec son corps le rejoindre, dans un moment où un combat était engagé; aida, par ses bonnes dispositions et par sa valeur, à lui faire conserver le champ de bataille, et disparut.

Son asile fut le Danemarck. Il obtint bientôt le plus grand crédit à Copenhague, et fut chargé d'organiser sur de nouvelles bases l'état militaire de cette puissance. Cette opération lui attira des dégoûts qui lassèrent sa faible patience. Considéré comme déserteur dans sa patrie, il n'osa y rentrer qu'à une époque où l'on faisait à chacun un mérite

d'avoir déplu à l'ancien gouvernement. Retiré dans un village de la Franche-Comté, il s'y occupait de pratiques de piété, et de projets de réforme militaire qu'il envoya au roi. Ses mémoires furent jugés dignes d'une sérieuse attention. Il y faisait entrevoir une grande économie, jointe à la subordination la plus parfaite : c'en fut assez pour séduire un monarque qui voulait être économe, et qui s'imposait quelque effort pour paraître

sévère.

Plan de ee

Le comte de Saint-Germain, devenu se- ministre. crétaire d'Etat de la guerre, annonça qu'il allait tout changer. Une telle promesse était d'accord avec l'esprit du jour. La noblesse trouva en lui un ennemi qui l'attaquait, non comme Turgot et Malesherbes, dans des priviléges auxquels une cupidité maladroite l'attachait trop, mais dans les honneurs militaires dont elle avait fait son domaine presque exclusif. Malheureusement ce réformateur avait encore moins de génie que de prudence. Comme les officiers français, dans le découragement et la confusion où les avait jetés la guerre de sept ans, avaient souvent paru désirer que les troupes fussent soumises à la discipline allemande, il n'hésita point à déclarer que c'était là son but. Au lieu de s'efforcer de reproduire en France des sol

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