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tirent, et jugèrent à propos de s'aider de la partie du peuple qui, par ses besoins et son ignorance, est presque toujours à leur disposition. Dans la vivacité de leurs alarmes, ils eurent recours à un moyen criminel, que l'honneur leur avait interdit pendant les crises les plus fâcheuses du dernier règne.

séditieux.

Mai

Une prétendue disette, qu'on voulut im- Mouvemens puter à une mesuré du contrôleur général, fut le prétexte d'une sédition qui fut évi- 1775. demment fomentée par des hommes puissans. les Turgot, sans être effrayé par apparences d'une récolte médiocre, s'était hâté, en arrivant au ministère, de rétablir la libre circulation des grains dans l'intérieur du royaume. Ses principes étaient si prononcés pour une liberté illimitée de ce commerce, qu'on fut étonné de ce qu'il ne l'accordait Il se borna, dans le préambule de l'arrêt du conseil du 27 septembre 1774, et dans celui de l'édit du 2 novembre de la même année, à combattre les craintes du peuple sur l'exportation des grains hors du royaume, et différa de l'autoriser. On ne lui sut point gré de cette réserve : l'édit fut attaqué comme s'il avait été de la plus grande imprudence de permettre à des Français de nourrir leurs compatriotes. Les grands corps et les dernières

pas

encore.

classes du peuple affectèrent de regretter le régime prohibitif de ce même abbé Terrai qui avait été l'objet de leur haine commune. On oublia les infâmes spéculations de Louis XV, et l'on calomnia les principes libéraux de son successeur. Cependant, à quelques ma¬ nœuvres qu'on eût recours pour faire renaître les défiances et la guerre de province à province, le succès de la mesure de Turgot était déjà prouvé par l'événement, lorsqu'on voulut à tout prix la présenter comme une source de calamités publiques.

Une multitude de vagabonds se rassembla dans différentes parties du royaume. Un sa laire qui leur était payé par des hommes qu'on ne pourrait nommer aujourd'hui avec assez. de certitude, excitait leurs fureurs factices. En montrant tous les signes de l'ivresse, ils poussaient les cris de la faim. Leur figure, leurs lambeaux, leurs propos atroces, excitaient le dégoût et l'horreur. Plusieurs, afin de s'assurer mieux l'impunité, étaient travestis en femmes. On ne concevait pas que la France eût pu produire pu produire un si grand nombre de ces nomades hideux. Quinze ans après, ils devaient reparaître bien plus redoutables. Ces hordes suivaient une combinaison militaire dans leurs mouvemens, et se condui

saient comme une armée qui eût voulu affamer Paris. Elles attaquaient les marchés qui alimentent la capitale, pillaient des voi tures et des bateaux de blé, jetaient les grains à la rivière, brûlaient des granges et détruisaient des moulins. Ce brigandage gratuit démentait le prétexte de la révolte, et trahissait l'intention odieuse de ses fauteurs.

aces,

Cependant Louis XVI éprouvait toutes les angoisses d'un monarque inexpérimenté, bienveillant et timide. Il s'étonnait de n'être pas aimé du peuple, croyait à ses souffrag et hésitait à réprimer ses excès. Les corps nombreux et dévoués qui formaient sa maison militaire se rendaient à Pontoise, à Vernon, à Saint-Germain, où étaient les principaux rassemblemens; mais les instructions qu'ils avaient reçues étaient si faibles, qu'ils n'osaient agir. Ils laissèrent ainsi les révoltés s'avancer jusqu'à Versailles et remplir de leurs clameurs les avenues du château. Le roi, que les séditieux appelaient de leurs cris, eut la faiblesse de paraître sur un balcon. On rapporte qu'il eut la fai→ blesse bien plus dangereuse de leur promettre de faire baisser le prix du pain. Cette circonstance conduit l'imagination à faire

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un rapprochement anticipé des scènes du mois de mai 1775 et des scènes du mois d'octobre 1789. Turgot et le maréchal du Muy, ministre de la guerre, parvinrent enfin à persuader au roi qu'il ne fallait pas voir le peuple dans un ramas de brigands salariés, et qu'il était urgent de les dissiper par la force. Le parlement de Paris, dans le sein duquel on soupçonnait qu'il existait des fauteurs de la révolte, et qui ne montrait nulle vigilance pour la réprimer, fut mandé à Versailles. Le roi, dans un lit de justice, tenu le 5 mai, fit lire, par le garde des sceaux, une déclaration qui chargeait les prevôts des maréchaussées de juger en dernier ressort tout ce qui concernait les émeutes. La force fut employée : les rassemblemens furent attaqués, dispersés. On arrêta quelques coupables. Deux d'entre eux furent jugés et condamnés au gibet. On ne fit aucune information sur les instigateurs puissans de ces troubles. On commit aux évêques et aux curés le soin de calmer les mouvemens de même nature qui agitaient encore plusieurs provinces, et particulièrement le Languedoc. Ceux-ci ramenèrent aisément des hommes qui n'éprouvaient ni besoin, ni fureur. L'amnistie fut publiée dès

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le 11 mai. Le roi n'avait pas voulu con ́naître ce qui aurait blessé son cœur et averti son autorité. Les habitans de la capitale revinrent de leur effroi et s'amusèrent de ce qu'ils appelaient la guerre des farines. La cérémonie du sacre effaça bientôt les impressions causées par cet événement.

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Sacre de

11 juin

1775.

La détresse du trésor royal avait fait dif- Louis XVI. férer cette cérémonie. Les philosophes la condamnaient comme offrant dans ses vieux usages des traces de superstition, et rappelant des prodiges fabuleux. Turgot ne voulut pas leur complaire en sacrifiant un moyen d'augmenter la vénération du peuple pour le souverain. Il étonna les ennemis qu'il avait dans le conseil, par l'empressement avec lequel il réclama cette cérémonie dispendieuse, mais politique. Seulement il eût voulu que le roi eût le courage de se dispenser du serment odieux d'exterminer les hérétiques. Mais la cour de Rome et le clergé, quoique l'un et l'autre fussent bien ralentis dans leur zèle intolérant, avaient trop pris l'habitude de se faire craindre, pour qu'on osât leur donner ce sujet d'ombrage. La cérémonie du sacre fut le seul acte du règne de Louis XVI où l'esprit du dix – huitième siècle ne fut point empreint.

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