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ration et une lenteur qui contrariaient ses ardens disciples. Une dérision amère s'attachait à des projets que peut-être il divulgait trop avant d'avoir tout préparé pour leur exécution. Ce ministre s'imposait le devoir d'appeler la raison au secours de l'autorité, et croyait trop à la facilité d'éclairer le peuple sur ses intérêts. Le gouvernement, sous son influence, était bienveillant, judicieux, mais un peu dissertateur. Le roi, dans des préambules d'édits ou d'arrêts du conseil, paraissait occupé du soin d'enseigner à ses sujets une théorie d'économie politique, et montrait des abus dans de vieux usages et de vieilles lois qu'on était habitué à regarder comme des bases ou des moyens de la puissance.

Enumération des partisans de

Cependant Turgot s'aidait des partisans les plus recommandables: le prince de Turgot." Beauveau, ami du duc de Choiseul, mais plus ami du bien public; le duc de La Rochefoucauld; trois prélats dont on vantait l'esprit, les lumières et l'activité, Loménie de Brienne, Boisgelin, et Cicé; les Trudaine et Lamoignon de Malesherbes, voyaient dans Turgot le défenseur des droits du trône aussi bien que des intérêts du peu

ple. Tous les gens de lettres s'étaient faits économistes; on voulait que les maximes du docteur Quesnai entrassent dans le domaine de la poésie, et surtout dans celui de l'éloquence. Voltaire réparait, par les hommages les plus fervens, le ridicule qu'il avait d'abord jeté sur cette secte naissante. Turgot honorait le génie et surtout la bienfaisance de cet illustre vieillard, en faisant à Ferney et dans le pays de Gex, quelques essais des principes qu'il voulait appliquer à la France. On était charmé que la prospérité du royaume commençât par la petite colonie de Voltaire. Les savans se faisaient une loi de diriger leurs recherches vers tout ce qui pouvait procurer un bien immédiat à la société. La philosophie était moins turbulente depuis qu'elle se croyait sûre de régner, et commençait à faire un usage pratique de cette tolérance qu'elle avait quelquefois réclamée avec emportement.

Par un singulier phénomène, les femmes n'avaient jamais eu plus d'empire que depuis que l'esprit de discussion était à la mode. On comptait alors dans la capitale un grand nombre de dames qui, jouissant des avantages de la naissance ou de la fortune,

et distinguées par les dons de l'esprit et les qualités du cœur, réunissaient les gens de lettres aux hommes qui pouvaient avoir une influence directe sur les affaires de l'Etat. Les lois s'ébauchaient dans ces cercles où les opinions et surtout les espérances se mettaient en harmonie. On parlait un même langage, on arrêtait les mêmes bases de législation dans les sociétés de la duchesse d'Enville, de la princesse de Beauveau, et dans celles de madame: Helvétius, de madame Geoffrin et de mademoiselle l'Espinasse (je dois me borner à citer ces noms, rendus célèbres par la reconnaissance des gens de lettres); là, régnait une sorte de culte pour les vertus et les talens de Turgot; là, chacun jouissait d'avance des bienfaits d'un régime où la France préparerait par sa félicité celle de l'univers. Malheur à qui, dans ces sociétés, n'eût pas professé le désintéressement le plus pur, eût hésité à faire un sacrifice au bien public. On y bénissait le jeune monarque; on ne doutait pas que sa fermeté ne fût égale à sa bienveillance. On en faisait un Henri IV, parce qu'il avait eu le bonheur de trouver un Sully.

L'Europe jouissait d'un calme profond.

L'Angleterre seule était livrée à de vives inquiétudes, soutenait dans les Indes une guerre fâcheuse contre un chef entreprenant, Hyder Ali, et se préparait à soumettre par la force ses colonies du nord de l'Amérique, ouvertement révoltées. Mais la position difficile de l'Angleterre était une garantie de plus pour le calme du continent. Le comte de Vergennes, ministre des affaires étrangères, était résolu à observer avec patience le parti qu'on pourrait tirer de la scission des colonies anglaises; Turgot était frappé de la crainte que le premier coup de canon tiré n'entraî nât une nouvelle banqueroute, et ne mit un long obstacle à ses projets. Il jugeait qu'avant de profiter d'une chance favorable pour le rétablissement de la marine, il fallait assurer la restauration des finances. La plupart des souverains de l'Europe se déclaraient pour les principes de ce ministre. L'empereur Joseph et son frère Léopold, grand-duc de Toscane, n'en parlaient qu'avec admiration ; plusieurs des princes souverains de l'Allemagne; le roi de Suède, Gustave III; Stanislas-Auguste qui cherchait à se consoler de son humiliation et du premier partage de la Pologne par les rêves de la philanthropie,

célébraient d'avance le ministre réformateur auquel Louis XVI confiait le bonheur de son peuple.

Espérances du parti philosophi

que.

- Voici quels étaient les principaux projets qui se discutaient dans le public, et qu'on espérait voir se réaliser bientôt : la liberté 1775. illimitée du commerce, amenée graduellement; la suppression des droits les plus onéreux sur les consommations, et surtout de la gabelle; l'abolition des corvées ; celle des usages les plus tyranniques, nés de la féo→ dalité; les deux vingtièmes et les tailles convertis en un impôt territorial, qui assujettirait la noblesse et le clergé aux charges communes; l'égale répartition de l'impôt, ássurée par le cadastre général des terres du royaume; la liberté de conscience; le rappel des protestans; la suppression de la plupart des monastères, en conservant aux moines les droits de propriétaires usufruitiers; le rachat des rentes féodales, combiné avec le respect pour la propriété ; l'aboli tion de la torture; un code criminel moins effrayant pour les accusés; un seul code civil, substitué aux dispositions incohérentes du Droit Coutumier mêlé avec le Droit Romain; l'uniformité des poids et mesures; la suppression des jurandes et maîtrises, et de

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