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du seul homme qui pût soutenir la monarchie ébranlée. « Des réformes sont indiquées, disaient-ils; il faut que le roi les accomplisse, de peur qu'elles ne lui soient arrachées par la force des événemens. Qu'un mouvement inévitable parte du trône, et qu'il soit dirigé par un homme d'Etat philosophe. L'instant est favorable; l'espérance est dans tous les cœurs. Ce règne doit avoir sa direction propre ; ses prodiges seront de bonnes lois. Elles sont préparées depuis près d'un demi-siècle. Une discussion mûre et calme les a déjà heureusement dépouillées du caractère d'innovation. Sans doute les vieux abus ne manqueront pas de défenseurs; mais quelque opiniâtres que soient les préjugés du peuple, ils ne résistent pas au sentiment de son bienêtre. Qu'il soit éclairé, qu'il soit mis à l'abri de toute oppression, et le roi n'aura pas d'allié plus fidèle ni plus puissant.

>>

Le comte de Maurepas craignait ce systême, mais n'était pas indifférent au suffrage des philosophes. Pour leur complaire et pour décorer d'un nom recommandable la liste des ministres qu'il devait diriger, il avait fait donner à Turgot le département de la marine, poste dans lequel celui-ci ne pouvait appliquer

ses principes que d'une manière indirecte. Turgot saisit habilement toutes les occasions de les énoncer devant le roi, qui entrevit, avec une sorte de ravissement, des moyens de mériter l'amour de son peuple. Quand Louis eut à nommer un contrôleur général, son choix était si bien indiqué par les projets dont il commençait à s'occuper, que ', que Maurepas fut jaloux de paraître le lui avoir inspiré (a). Mais celui-ci, en proposant le rappel du parlement, établit une barrière devant laquelle allaient échouer tous les plans du ministre des finances, et qui devait être bien plus funeste encore au maintien de l'autorité royale qu'aux vœux de la philosophie.

Il ne restait plus au conseil que des adversaires timides des parlemens. Le duc

(a) La lettre que Turgot écrivit au roi le jour même où celui-ci le nomma contrôleur général, est un modèle d'élévation et de sagesse. Elle est trop longue pour être rapportée ici en entier. En voici deux fragmens.

<< SIRE,

>> En sortant du cabinet de Votre Majesté, encore tout plein du trouble où me jette l'immensité du fardeau qu'elle m'impose, agité par tous les senti

d'Aiguillon avait succombé à la haine du public et aux attaques de la reine, qui était impatiente de prouver au duc de Choiseul, que si elle n'avait pas assez de crédit pour

mens qu'excite en moi la bonté touchante avec laquelle elle a daigné me rassurer, je me hâte de mettre à ses pieds ma respectueuse reconnaissance et le dévouement absolu de ma vie entière.

» Votre Majesté a bien voulu m'autoriser à remettre sous ses yeux l'engagement qu'elle a pris avec elle-même, de me soutenir dans l'exécution des plans d'économie qui sont en tout temps, et aujourd'hui plus que jamais, d'une nécessité indispensable. J'aurais désiré pouvoir lui développer les réflexions que me suggère la position où se trouvent les finances; le temps ne me le permet pas, et je me réserve de m'expliquer plus au long quand j'aurai pu prendre des connaissances plus exactes. Je me borne en ce moment, Sire, à vous rappeler ces trois paroles :

» Point de banqueroutes;

» Point d'augmentation d'impôts;

» Point d'emprunts.

» Point de banqueroute, ni avouée, ni masquée par des réductions forcées.

» Point d'augmentation d'impôts; la raison en est dans la situation de vos peuples, et encore plus dans le cœur de Votre Majesté.

» Point d'emprunts, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre; il nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute, ou l'augmen

lui rendre les rênes de l'Etat, elle pouvait au moins lui donner la joie de voir son ennemi renversé. Le comte de Vergennes fut

tation des impositions. Il ne faut, en temps de paix, se permettre d'emprunter que pour liquider les dettes anciennes, ou pour rembourser d'autres emprunts faits à un denier plus onéreux.....

.......

» Voilà les points que Votre Majesté a bien voulu me permettre de lui rappeler. Elle n'oubliera pas qu'en recevant la place de contrôleur général, j'ai senti tout le prix de la confiance dont elle m'honore; j'ai senti qu'elle me confiait le bonheur de ses peuples; et, s'il m'est permis de le dire, le soin de faire aimer sa personne et son autorité. Mais en même temps j'ai senti tout le danger auquel je m'exposais. J'ai prévu que je serais seul à combattre contre les abus de tous genres, contre les efforts de ceux qui gagnent à ces abus, contre la foule des préjugés qui s'opposent à toute réforme, et qui sont un moyen si puissant dans les mains dest gens intéressés à éterniser le désordre. J'aurai à lutter même contre la bonté naturelle, contre la générosité de Votre Majesté et des personnes qui lui sont le plus chères. Je serai craint, haï même, de la plus grande partie de la cour, de tout ce qui sollicite des grâces.-On m'imputera tous les refus, on me peindra comme un homme dur, parce que j'aurai représenté à Votre Majesté qu'elle ne doit pas enrichir même ceux qu'elle aime, aux dépens de la substance de son peuple. Ce peuple auquel je me serai sacrifié est si aisé à tromper, que peut

nommé ministre des affaires étrangères. Le département de la guerre, dont le duc d'Aiguillon avait eu le porte-feuille par intérim, fut confié au comte du Muy, qui avait

être j'encourrai sa haine par les mesures mêmes que je prendrai pour le défendre contre la vexation. Je serai calomnié, et peut-être avec assez de vraisemblance pour m'ôter la confiance de Votre Majesté. Je ne regretterai point de perdre une place à laquelle je ne m'étais jamais attendu. Je suis prêt à la remettre à Votre Majesté dès que je ne pourrai plus espérer de lui être utile; mais son estime, la réputation d'intégrité, la bienveillance publique qui ont déterminé son choix en ma faveur, me sont plus chères que la vie, et je cours le risque de les perdre, même en ne méritant à mes yeux aucun reproche.

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Votre Majesté se souviendra que c'est sur la foi de ses promesses que je me charge d'un fardeau peut-être au-dessus de mes forces, que c'est à elle personnellement, à l'homme honnête, à l'homme juste et bon, plutôt qu'au roi que je

m'abandonne.

» J'ose lui répéter ici ce qu'elle a bien voulu entendre et approuver. La bonté attendrissante avec laquelle elle a daigné presser mes mains dans les siennes, comme pour accepter mon dévouement, ne s'effacera jamais de mon souvenir. Elle soutiendra mon courage. Elle a pour jamais lié mon bonheur personnel avec les intérêts, la gloire et le bonheur de Votré Majesté. »

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