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LIVRE QUATORZIÈME.

LOUIS XVI, MINISTÈRE DE turgot.

CE Livre ne contiendra que le tableau des deux premières années du règne de Louis XVI; elles suffisent pour faire connaître l'impulsion qui fut donnée à ce gouvernement, impulsion à laquelle il voulut bientôt se soustraire, qu'il subit de nouveau et ne sut jamais diriger.

de

à son avenement au

trône.

Quoique le nouveau roi Louis XVI eût Dispositions près de vingt ans quand il monta sur le Louis XVI trône, on s'attendait, vu son inexpérience dans les affaires, que le commencement de 1774. son règne ressemblerait à une minorité. Louis XV avait tenu son petit-fils séparé de tous les soins et de toutes les études pratiques du gouvernement, comme s'il eût reconnu par lui-même qu'il est facile de gouverner. La comtesse Dubarri, témoin de l'austérité du jeune prince, et de sa vive affection pour une compagne aimable, n'avait pu se flatter de prendre sur lui l'empire que Diane de Poitiers obtint sur le fils de François Ier. Elle s'était vengée de ses mépris en le rendant ridicule aux yeux du roi. Elle avait surtout

déclaré une guerre insolente à la dauphine. Celle qui avait foulé aux pieds toutes les bienséances de son sexe, et qui peut-être ne les avait jamais connues, relevait avec amertume tout ce que la jeune princesse se permettait de contraire aux lois de l'étiquette. Les ministres, forcés d'opter entre le dauphin et madame Dubarri, avaient peu ménagé ce princé. Leurs secrets émissaires avaient accrédité le bruit qu'il annonçait une sévérité farouche, et que par ses mesures despotiques, il ferait long-temps regretter l'indulgente bonté de son aïeul. Son extérieur confirmait, au moins aux yeux de la cour, une conjecture qui fut tout à fait inverse de l'événement. Ce n'était pas qu'un seul fâcheux mouvement de l'ame se peignît sur ses traits; mais il était habituellement sérieux, embarrassé, et porté à la tristesse, comme s'il eût eu quelque pressentiment de sa destinée. Il n'osait exprimer toute la bienveillance qui était dans son cœur. Parce qu'il était timide, on le jugeait défiant. Quoique rien en lui n'annonçât la finesse, il démêlait le vice, même sous les dehors de l'élégance la plus séduisante. La cour semblait être pour lui un sol étranger où tout l'inquiétait; il ne pouvait être aimé que

de ce qui n'était pas courtisan. Dès qu'on le vit indifférent à la flatterie, on ne s'acquitta plus qu'avec indifférence des hommages qu'on doit au souverain. Sa figure, qui n'était pas sans noblesse, exprimait ce qui dominait dans son caractère, la probité et l'irrésolution. A la différence de presque tous les princes de son sang, il n'avait nulle grâce dans le maintien. Quand il disait un mot ingénieux ou piquant, ce qui lui arrivaït plus souvent qu'on ne l'a cru, c'était en confidence; il rougissait, si ce mot était répété. Ses études n'avaient été qu'indirectement dirigées vers les devoirs des princes et vers les connaissances qui leur sont le plus nécessaires. Intelligent, appliqué, doué d'une mémoire étonnante, il bornait l'usage de ces précieuses facultés de l'esprit à un examen trop curieux de détails. Il pouvait disserter avec des savans et des érudits, sur des points de géographie et de chronologie; mais la partie morale de l'histoire, celle qui avertit les rois des dangers qu'ils ont à craindre, n'avait point assez appelé son attention. Sa piété était aussi tolérante que sincère, et se prêtait aux vœux de la philanthropie moderne. Quoi

Maric-Antoinette.

qu'il eût été élevé dans la défiance des phílosophes, il pensait comme eux, dès qu'il s'agissait de faire du bien au peuple. Louis semblait destiné à montrer combien les vertus de l'homme privé sont insuffisantes sur le trône.

La reine Marie-Antoinette s'offrait à l'imagination des Français sous des traits plus rians. L'espèce de persécution qu'elle avais éprouvée de la part de la comtesse Dubarri, sa beauté, ses grâces, un désir de plaire, poussé quelquefois jusqu'à l'étourderie, mais où l'on voyait l'expression d'une ame bienveillante, lui gagnaient tous les cœurs. On était charmé de la voir imposante dans les grandes solennités, et d'apprendre qu'elle savait se soustraire aux gênes de la grandeur, et désolait ses dames d'honneur par son mépris (a) pour un cérémonial de tous les momens. On voulait voir un peu de philosophie dans cette légèreté. La reine répondait à la vive tendresse de son mari, par des soins plus respectueux que passionnés. Quoique déjà

(a) Marie-Antoinette, étant dauphine, donnait à madame de Mouchi, qui lui rappelait fréquemment les usages de la cour, le nom de Madams: Etiquette..

elle fût sûre de son empire sur lui, elle ne paraissait pas désirer d'abord une grande influence. D'ailleurs, le roi craignait l'attachement de cette princesse pour le duc de Choiseul, et il ne songeait qu'avec une sorte de terreur à cet ennemi opiniâtre de son père.

Le roi ne trouvait dans sa famille

personne

Le roi prend pour guide le comte de

mai

1774.

qui pût lui servir de guide. Tous les princes Maurepas. étaient jeunes, à l'exception du prince de Conti et du duc d'Orléans. Ce dernier, comme nous l'avons vu, avait un éloignement invincible pour les affaires, et les comprenait à peine. Prendre conseil du premier, c'eût été se livrer sans réserve aux parlemens. Mesdames avaient de grands titres à la confiance du roi, leur neveu; ce fut à elles qu'il s'adressa pour le choix du ministre qui devait lui apprendre à régner. Le sort de la France fut un moment entre leurs mains. On dit qu'elles balancèrent entre deux ministres disgrâciés, Machault (a) et le comte de Maurepas. Il s'en fallait de beaucoup que celui

(a) Je dois relever ici une faute d'impression qui se trouve dans un grand nombre d'exemplaires de la première édition de cet ouvrage. Machault survécut long-temps, et non pas peu de temps à sa disgrâce. Il fut arrêté, en 1793, par les ordres

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