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son règne avec des apparences de modestie et même de faiblesse, qui trompèrent le sénat et la diète. Mais pendant qu'il paraissait résigné à subir les mêmes lois qu'avait endurées Frédéric-Adolphe, il se montrait sans cesse aux soldats et à la multitude. Par ses instigations, une révolte dirigée contre le sénat éclata dans la Scanie. Le roi, que sa jeunesse empêchoit de soupçonner de dissimulation, parut se décider à venger le sénat. Mais un de ses frères qu'il envoya en Scanie, avait reçu de lui l'ordre de favoriser les mécontens. Il avait borné à un petit nombre d'hommes éprouvés, la confidence du mouvement qu'il voulait tenter. A peine pouvait-il répondre de ses propres gardes; les troupes qui se trouvaient à Stockholm étaient habituées, depuis long-temps, à ne recevoir des ordres que du sénat. Il résolut de les placer dans l'alternative ou de livrer leur roi, ou de lui décerner une autorité nouvelle. Le 19 août, il sort de son palais pour aller passer en revue un régiment d'artillerie. Les acclamations qu'il en reçoit ajoutent à sa confiance. Un cercle nombreux se forme autour de lui. Dans un discours à la fois éloquent et familier, il adjure tous les officiers de terminer avec lui des discordes dont le résultat

sera bientôt de rendre les Russes aussi puissans et aussi oppresseurs dans Stockholm qu'ils le sont dans Varsovie. En faisant un tableau trop fidèle de la corruption et de la vénalité qui règne dans la diète, il remplit d'indignation ceux même qui ont été plus d'une fois corrompus. Ensuite il rappelle les temps de Gustave-Vasa et de Gustave-Adolphe et laisse dans les ames une forte persuasion que lui seul peut rendre encore de beaux jours à sa patrie. Il promet de la gloire, mais il demande de la puissance. On répond à son discours par un serment de le défendre, et de dissoudre le sénat. Trois de ses gardes refusent de prêter ce serment. Gustave est prêt à les punir; mais il se modère, et obtient d'eux leur inaction. Bientôt avec un cortége nombreux, et surtout dévoué, il va trouver les troupes de quartier en quartier. Il les conduit aux portes du palais du sénat. Trente grenadiers pénètrent dans une assemblée qui tout à l'heure les saisissait de crainte et de respect, et font prisonniers les sénateurs. La révolution est consommée. Pas un partisan du sénat ne fait entendre de plaintes ni de murmures. Le peuple se livre à cette joie inconsidérée que lui fait éprouver dans tous les pays et tous

les temps, l'humiliation de l'aristocratie. Une nouvelle diète est convoquée, et l'esclave titré du sénat est devenu un roi.

Le duc d'Aiguillon eût bien voulu s'attribuer l'honneur de cet événement; mais la flatterie elle-même ne put, dans des relations salariées, lui supposer une grande influence sur une révolution dont le succès était dû à l'habileté, à l'audace et à la modération d'un seul homme. A cette époque, les triomphes qu'obtenait l'autorité royale étaient presque considérés comme des calamités publiques.

Le duc d'Aiguillon, qui condamnait tous les projets de son prédécesseur, rompit avec une précipitation craintive, le plan que celuici avait concerté avec l'Espagne pour se venger de l'Angleterre. Le pacte de famille parut être, sinon dissous, au moins fort affaibli par la retraite du duc de Choiseul. Charles III, n'espérant plus le secours de la France, désavoua l'agression faite contre les îles de Falkland. Il est probable que l'Angleterre n'eût pas tardé à se venger sur les deux branches de la maison de Bourbon, des inquiétudes qu'elles avaient osé lui donner, si d'un côté l'élection de Wilkes au parle

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Paix entre

la Russie ct

ment n'eût excité à Londres, une commotion très-prolongée, et si de l'autre le ministère britannique n'eût eu à craindre la révolte des colonies du nord de l'Amérique. Ce n'est point ici que je dois présenter la suite d'un grand événement dont j'ai déjà indiqué les causes. Le duc d'Aiguillon y demeura tout à fait étranger. Il n'évita, dans ses relations avec l'Angleterre, qu'un seul genre de honte: c'était celui de se rendre pensionnaire de cette puissance, comme l'avait été le cardinal Dubois.

Un congrès avait été formé à Fockyani, la Porte. et ensuite à Bucharest, pour terminer la 1774. guerre entre la Russie et la Porte-Ottomane. La campagne de 1773 n'avait point été avantageuse à la première de ces puissances. Le sultan Mustapha III s'était prévalu de ses succès pour réclamer noblement en faveur de la Pologne. Mais ce souverain mourut au commencement de l'année 1774. Son frère, Abdul- Hamid, qui lui succéda, voulut ouvrir son règne par des opérations décisives, et rassembla toutes les forces de l'empire ottoman. Les Turcs, sourds aux leçons de l'expérience, engagèrent une bataille rangée contre les Russes. Le maréchal de Romanzow punit leur témérité par la dé

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faite la plus sanglante qu'on leur eût fait subir depuis le prince Eugène. L'impératrice Catherine, dont les Etats étaient dévastés par la révolte d'un brigand féroce, l'imposteur Pugatscheff, et craignant d'irriter les associés jaloux avec lesquels elle avait démembré la Pologne, erut devoir remettre à un autre temps le projet hardi d'élever un empire grec sur les ruines de l'empire ottoman. Elle se contenta de renouveler les propositions qu'elle avait faites au congrès. La Porte se trouva heureuse d'y souscrire, et attendit avec un fatalisme apathique le nouvel effort qu'on tenterait contre elle. La Russie ne conserva de ses conquêtes que le territoire d'Azoff, de Tangarock et de Kilburn; mais pour préparer sa domination sur la Crimée, elle fit reconnaître ce pays indépendant; elle obtint la libre navigation de la mer Noire, et le passage des Dardanelles lui fut permis.

La mort de Louis XV avait précédé ce traité, qui fut signé au mois de juillet 1774. Je vais passer d'un règne, dont les dernières années n'offrent que des images abjectes, à un règne plus court, dont aucun pinceau ne pourra rendre avec assez de force ni de vérité les déchirantes catastrophes. Le

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