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Revolution de Suède.

1772.

Deux hommes dont on vantait beaucoup les talens diplomatiques, Ségur et Favier, cherchaient, dans leurs mémoires, à exciter l'indignation contre le traité de partage. Le comte de Broglie continuait de transmettre leurs avis au souverain. Une lettre interceptée de Dumouriez révéla au duc d'Aiguillon l'existence de cette intrigue. Le roi aima mieux feindre de voir un crime d'Etat dans cette correspondance, que d'en expliquer le mystère à son ministre. Ségur, Dumouriez et Favier furent successivement arrêtés et conduits à la Bastille. Le comte de Broglie fut exilé, avec tous les signes de la colère du monarque dont il était le confident, et dont il payait cher la discrétion (a).

L'inertie politique du duc d'Aiguillon sur les affaires de la Pologne, pouvait se colorer

(a) Le comte de Broglie, adversaire déclaré du systême d'alliance avec l'Autriche, ainsi que l'était Favier, son agent intime, et de plus, ennemi opiniâ– tre du duc de Choiseul, avait des intérêts communs avec le duc d'Aiguillon; mais il ambitionnait la place de ce ministre, qui saisit avidement une occasion de le perdre. Le duc de Choiseul dit, en apprenant l'exil du comte de Broglie : Je l'avais toujours connu pour une mauvaise tête, pour un homme qui fait les choses à rebours; il a pris le ministère par la queue.

d'un prétexte. Occupé, avec ses collègues, du rétablissement de l'autorité royale en France, il craignait, en favorisant des républicains exaltés, de donner aux esprits une impulsion entièrement opposée à ses vues, et n'osait imiter, relativement à des troubles politiques, ce que le cardinal de Richelieu, son grand oncle, avait fait durant des troubles religieux. On sait que celui-ci soutenait par des promesses et des subsides l'espoir des protestans d'Allemagne, tandis qu'il assiégeait les calvinistes de France dans leurs dernières forteresses. Une révolution qui releva l'autorité monarchique dans le pays de l'Europe où elle était le plus limitée, la Suède, et qui empêchait la Russie de faire subir à cet État la destinée de la Pologne, offrit au duc d'Aiguillon un moyen de couvrir un peu l'affront qu'il venait de recevoir. Le cabinet de la France avait désiré, mais non opéré cette révolution. Voyons comment elle fut conduite.

Le gouvernement de Suède, tel qu'il s'était établi après la mort de Charles XII, passait auprès de certains publicistes, pour avoir réalisé le beau idéal du systême représentatif. Mably, après avoir examiné les rouages de cette constitution, l'avait proclamé le gouverne

ment le plus durable de l'Europe. Un roi de vingt-cinq ans le renversa dans un seul jour et pour ainsi dire d'un seul souffle. Ce roi était Gustave III, fils et successeur de FrédéricAdolphe. Avant de monter sur le trône, il avait médité le moyen de lui rendre son éclat et sa dignité. Il gémissait tout bas de la timide circonspection de son père, auquel le sénat ne laissait qu'un rôle entièrement passif. Mais ce sénat, dans le cours de sa domination, n'avait pu donner aux Suédois ni gloire ni bonheur. Deux guerres qu'il avait dirigées à peu d'intervalle, l'une contre la Russie, et l'autre contre le roi de Prusse, avaient eu des résultats déplorables. L'humiliant traité d'Abo avait terminé la première. La seconde n'avait fourni qu'un épisode insignifiant et presque ridicule à la guerre de sept ans. Un peuple pauvre en supportait les charges. La France n'avait pas été exacte à payer les subsides par l'appât desquels elle avait entraîné cet État à un mouvement ruineux. La Russie et l'Angleterre, dont les intérêts politiques s'unissaient depuis plusieurs années, parvinrent à diminuer en Suède le parti de la France. La diète fut partagée en deux factions qui luttèrent l'une contre l'autre, avec l'or de l'étranger, Celle

qui se montrait insatiable de liberté politique, ne veillait pas avec scrupule sur l'indépendance nationale, puisqu'elle se mettait sous la protection de la Russie: on la désignait

par le nom de bonnets. La faction rivale, qui avait pris le nom de chapeaux, défendait faiblement les intérêts du roi, et avec chaleur les intérêts de la France. Le prince royal s'était rendu, par son affabilité, l'idole du peuple. Il affectait devant les grands une telle chaleur de patriotisme, que ceux-ci ne prenaient point d'ombrage de sa popularité. Quand il vit son père toucher à sa fin, il vint en France, en 1771, pour y préparer le mouvement qui pouvait le délivrer de la tutelle tyrannique du sénat. Peu de princes étaient plus propres à charmer les Français que ce brillant Français du Nord (a). Cependant, son arrivée à Paris n'y fit qu'une sensation médiocre, Deux ans auparavant, cette capitale avait vu avec une sorte d'enthousiasme le roi de Danemarck (6), Christiern VII, qui depuis soutint

(a) Nom que prennent avec complaisance les Suédois.

(b) Comme la catastrophe qui eut lieu à la cour de Danemarck, peu de temps après le retour du roi dans ses Etats, n'eut aucune influence sur les mouvemens de l'Europe, je n'ai pas cru devoir placer dans cette histoire un récit qui demanderait beaucoup de

mal l'opinion qu'on s'était formée de la justesse et de l'étendue de son esprit.

Gustave, pendant son séjour à Paris vit s'opérer la révolution de la magistrature, et s'enhardit dans le projet de renverser une aristocratie bien plus redoutable que celle des parlemens de France. Il reçut du duc d'Aiguillon le paiement d'une partie des subsides arriérés, ce qui devait faire bénir l'issue de son voyage par les Suédois plongés dans la plus profonde détresse. On lui donna un excellent auxiliaire, pour les projets qu'il méditait, dans l'habile Gravier de Vergennes, qu'on n'avait pas fait passer sans dessein de l'ambassade de Constantinople à celle de Stockholm. Gustave, peu de temps après son retour danssa patrie, reçut les derniers soupirs de son père. Il commença détails. On sait que Struensée, ministre du roi de Danemarck, après avoir été son médecin, eut avec la reine Caroline-Mathilde un commerce adultère ; qu'il fut accusé, après que cette intrigue fut découverte, d'avoir médité des changemens dans l'Etat ; qu'on lui fit son procès ainsi qu'à plusieurs grands, ses complices présumés, et que lui et son ami Brandt furent condamnés aux plus affreux supplices. Le mariage du roi fut cassé. La reine Mathilde, après avoir été long-temps enfermée, eut la permission de se retirer en Hanovre, où elle mourut le 25 mai 1775, âgée de vingt-quatre ans.

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