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jeunes militaires commençaient à élever des doutes sur le principe de l'obéissance passive. Quelques seigneurs s'exilaient volontairement en Angleterre, avec l'affectation d'aller chercher un gouvernement libre. La circulation des écrits satiriques ne pouvait être réprimée par les peines les plus sévères. Les libellistes avaient acquis une telle puissance, que la cour composait quelquefois avec leur vénale infamie, et mettait un prix à leurs injures, pour qu'elles ne retentissent pas dans toute l'Europe. Des nouvelles écrites à la main, et qui dévoilaient les débauches du roi, la souplesse de ses ministres et la turpitude des nouveaux magistrats, circulaient aussi librement qu'une feuille périodique autorisée. Dans chacune des administrations, il y avait de nombreux complices de ces outrages faits au gouvernement. Quelquefois, dans les places publiques de la capitale, on était effrayé de lire des placards séditieux et même régicides (a).

doc, chargés l'un et l'autre de dissoudre le parlement de chacune de ces deux provinces, donnèrent leur démission.'

(a) On mit au bas de la statue de Louis XV ce placard atroce : Arrêt de la cour des monnaies qui

Des hommes d'une condition ou d'un caractère méprisé, osaient déclarer leur mépris pour les membres du parlement Maupeou. Les lettres de cachet étaient aussi facilement révoquées que lancées. Les ministres semblaient jaloux de montrer de la bénignité dans leur despotisme. On le trouvait un peu plus tolérable, puisqu'on avait la faculté d'en rire. La plupart des hommes d'un esprit vif et d'une humeur inquiète, n'étaient pas fâchés d'être emprisonnés ou du moins exilés à leur tour, sous la condition de ne

l'être que peu de temps.

Constaure

du parti du

seal.

Le parti du duc de Choiseul, au milieu d'un mouvement si contraire à toutes ses es- duc de Choi pérances, s'attachait à faire, par une grande de 1772 dignité de conduite, la critique des désor- à 1774. dres ou de la bassesse du reste de la cour. Jamais plus de désintéressement ni plus de fierté ne s'étaient montrés dans ce pays. L'intérieur du château de Versailles était moins soumis au roi qu'aucune ville de France. Le duc d'Aiguillon entendait sans cesse louer et regretter son ennemi; et, malgré sa puissance, il était forcé de recourir à de

ordonne qu'un Louis mal frappé soit refrappé. Le public n'en parla qu'avec horreur.

sourdes manoeuvres, pour causer quelques nouveaux chagrins à un ministre exilé. Le projet de faire ôter au duc de Choiseul la charge importante et très-lucrative de colonel général des Suisses, coûta peut-être au duc d'Aiguillon plus de soins qu'aucune des affaires diplomatiques dont il fut chargé, Louis XV avait dit au premier, lorsqu'en 1762, il lui fit ce présent magnifique Je vous donne une charge inamovible. Il s'agissait de savoir comment elle lui serait retirée, sans que le roi parût manquer à sa parole. Le duc du Châtelet fut employé à obtenir du duc de Choiseul sa démission, en lui promettant qu'on acquitterait ses dettes; mais la cour n'offrit plus qu'une pension de cinquante mille francs, dès que cette démission fut obtenue. Le duc du Châtelet, quoique son caractère n'eût rien d'emporté, manifesta la plus vive indignation de ce qu'on se fût servi de lui pour tromper son ami, en le trompant lui-même. Le duc de Choiseul s'exprima en termes offensans pour la majesté royale. Sa femme, qui, au sein de la grandeur, avait conservé une modestie inaltérable, exaltée par une disgrâce qui devenait presque un sujet d'envie, refusa la

réversibilité de la pension faite à son mari, et mit, dans son refus, une fierté portée jusqu'à l'excès (a). Elle avait sacrifié quatre

(a) On peut mettre au nombre des pièces les plus curieuses de ce temps, une lettre que la duchesse de Choiseul avait écrite au roi à ce sujet. Son mari s'opposa à ce que cette lettre fût envoyée. Comme elle est reconnue authentique, et qu'elle fait connaître de quel ton une femme naturellement modeste, mais indignée, osait écrire à un roi qui lui témoignait de l'affection, nous allons en transcrire quelques passages.

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« Votre cœur, sire, ne vous reproche-t-il rien, et rejetteriez-vous ses mouvemens? Mais si ces maux sont la suite nécessaire de services autrefois agréables à votre majesté, et toujours utiles, qu'ai-je fait, moi, pour subir l'infortune et l'oppression, que croire à vos bontés, sire, les chérir, y placer ma confiance, y attacher mon bonheur, et oser vous le dire? Je n'ai point épousé M. de Choiseul pour qu'il fût duc, ministre, exilé et ruiné. Pourquoi votre majesté l'arracha-t-elle à sa carrière militaire qui lui était chère, et dans laquelle je n'aurais couru que des hasards communs et glorieux? Pourquoi le força-t-elle, malgré sa répugnance, à sacrifier aux tristes emplois du ministère les restes toujours précieux de la jeunesse? Pourquoi enfin refusa-t-elle deux fois sa démission? Sans le premier de ces refus, sire, je serais libre, et je n'aurais point à craindre que les restes de ma fortune fussent insuffisans à

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millions à l'acquittement des dettes de son mari lorsqu'il était en place. Elle avait pris la résolution de consacrer, au même usage, les restes d'une immense fortune. Ces deux époux semblaient fiers de voir leur ruine

ses engagemens et à son aisance. Il doit m'être d'autant plus cher, qu'il m'a pardonné de l'avoir compromis en réclamant pour lui, à son insu, les bontés de votre majesté. Elle trahit alors le secret d'une femme d'honneur confié à sa foi, secret qu'elle lui avait promis de garder, et dont la parole est consignée dans une lettre écrite de la propre main de votre majesté, et que je garde encore. Elle exposa mon imprudence à l'animadversion de mon mari, et ma folle confiance à la risée publique. Que ne m'en coûta-t-il pas alors, quand mon respect pour votre majesté me força à désavouer, par un vil mensonge, un bruit dont l'aveu ne m'eût coûté qu'un ridicule! Je me trompais sans doute en croyant que le rang suprême même pouvait être honoré d'une confiance pure. La mienne, sire, pouvait être rejetée, majs elle ne devait du moins être trahie. Si votre mapas jesté croit devoir quelque réparation à cet outrage, c'est à mon mari qu'il la faut acquitter, et non pas en me donnant une pension sur les dépouilles qu'on Jui arrache; grâce qui, par sa nature et la circons, tance, blesse également mon sentiment et mon honneur, parce qu'elle n'ajoute rien au traitement qu'on lui fait, et qu'elle semble mé faire conniver à l'injustice qu'il éprouve, en m'en faisant profiter

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