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Le renvoi du duc de Choiseul excita l'indignation des personnages les plus distingués de la cour. Toutes les calamités et tous les genres d'ignominie leur paraissaient renfermés dans ce seul événement. Il y eut solitude au château de Versailles, affluence à l'hôtel du duc de Choiseul. Quoique sa porte fût fermée au vaste concours de ceux qui venaient le glorifier de son exil, on brûlait de placer son nom sur la liste immense de ses amis qu'accroissait sa disgrâce. Le duc de Chartres, qui faisait son apprentissage d'opposition, pénétra jusqu'au duc de Choiseul, le tint long-temps embrassé, et répétait en le quittant que c'en était fait de la monarchie. La plupart des ennemis du duc de Choiseul étaient contraints d'affecter de la tristesse. A voir, le lendemain, la longue file de voitures qui remplissaient le chemin de Chanteloup, on eût dit que tous les grands du royaume devenaient les compagnons de son exil. Les menaces du roi furent longtemps impuissantes pour arrêter ceux qui bord confiés, par intérim, à des secrétaires d'Etat chargés d'autres fonctions. Ensuite le marquis de Monteynard eut celui de la guerre, de Boisnes celui de la marine, et le duc d'Aiguillon celui des affaires étrangères.

venaient visiter, dans une retraite assez éloignée de la capitale, le ministre disgrâcié, et se purifier auprès de lui, disaient-ils, de l'air de Versailles. Il consommait, à recevoir ces magnifiques et enivrantes consolations, une fortune déjà obérée par des dettes considérables. Sa prodigalité n'avait pas été poussée si loin pendant sa puissance, Souvent le roi entendait donner des éloges au ministre qui avait excité sa colère. Les gens de lettres montraient la même fidélité que les courtisans au duc de Choiseul, au nouveau Barmecide. Voltaire lui avait donné ce nom en comparant mal à propos une disgrâce aussi triomphante à une catastrophe effroyable par l'atrocité et le nombre de supplices. Les regrets que causait le renvoi du duc de Choiseul eussent pu produire une commotion violente dans l'Etat, s'ils avaient été partagés par le peuple. Mais ce ministre n'avait pour lui que la partie la plus élevée et la plus ambitieuse de la nation. Le reste blâmait son faste, sa prodigalité, et surtout son penchant à la guerre. Voilà ce qui rendit aux ministres une confiance qu'avait un peu ébranlée cette étrange nouveauté, de voir les courtisans se déclarer pour celui qu'abandonnaient la fortune et la faveur,

Suppression du parle

Les magistrats du parlement de Paris, ment de que les pairs et la plupart des princes du

Paris et de

compagnies

plusieurs sang soutenaient dans leur opposition, affecsouveraines. tèrent de ne point se montrer abattus par l'exil du duc de Choiseul. Le chancelier, qui persistait dans son plan de les provoquer toujours aux actes les plus éclatans de désobéissance, ne se lassait point de leur envoyer de nouvelles lettres de jussion pour reprendre leur service. Révoquez, répondaient-ils, un édit qui attaque notre honneur et les droits de la nation, ou nous ne remon‐ terons plus sur des siéges avilis. Tous les procès restaient suspendus, à l'exception d'un seul, auquel le prince de Condé paraissait prendre un vif intérêt, une demande en séparation, élevée par la princesse de Monaco. On commençait à parler de rapprochement; le chancelier essayait de perfides négociations. Enfin il dévoila son plan, et débuta par une mesure qu'on eût dit empruntée du cardinal de Richelieu. Dans la nuit du 19 au 20 janvier 1771, chacun des membres du parlement est arraché au sommeil par deux mousquetaires qui viennent, au nom du roi, leur signifier un ordre écrit de reprendre leurs fonctions, et les somment de répondre en signant oui ou non. Un

appareil si nouveau répand la terreur dans leurs maisons. Leurs femmes, leurs enfans accourent éplorés, et craignent de les voir traîner dans une prison d'État. Ils consultent, ils voudraient développer leur réponse. Oui ou non, voilà ce qu'il faut signer sans délai. Ceux qui se sont le plus déclarés contre le chancelier, éprouvent une appréhension plus vive, et ne doutent pas qu'une chaise de poste ne soit prête pour les conduire au mont Saint-Michel. Le plus grand nombre persiste dans son refus. Quarante seulement ont signé oui. Ceux-là se rendent le lendemain au parlement mais quelle est leur confusion en voyant que plusieurs de leurs confrères, dont le courage leur paraissait douteux, ont montré plus de fermeté? Ils s'empressent de rétracter le oui que la terreur leur a fait signer dans la nuit. Plus de parlement, et c'est ce corps qui s'est dissous lui-même. Le chancelier avait fait choix du moyen le plus tyrannique, afin de se mettre à l'abri de la faiblesse et de la versatilité du monarque, en rendant toute composition impossible. Le jour se passe à expédier des lettres de cachet. Les magistrats attendent une autre visite nocturne. En effet, des huissiers viennent leur signi

Changement total de

l'ordre ju

fier, dans la nuit suivante, un arrêt du conseil, qui déclare leurs charges confisquées, leur défend de remplir désormais leurs fonc¬ tions, et de prendre même la qualité de membres du parlement de Paris. Des mousquetaires succèdent aux huissiers. Chacun des magistrats partira le lendemain pour un exil très-éloigné de la capitale. Aucun d'eux n'intercède auprès du roi, ni ne cherche à remuer le peuple.

L'autorité s'était montrée depuis près de soixante ans si faible et si désarmée, qu'on diciaire. fut stupéfait de la voir se déployer avec 1771 une violence qui semblait n'être plus de ce siècle. L'amour de la liberté était une passion nouvelle, et n'avait pas encore passé des classes le plus faites pour la concevoir, à celles qui ont toujours mille genres de dépendances à subir. Pas un séditieux n'existait dans un pays où tous les hommes, doués de quelqu'éloquence, foudroyaient le despotisme. On désobéissait au roi sans emportement, on cédait à la force sans murmures. Les parens, les amis des exilés admiraient leur grandeur d'ame et n'imaginaient pas que leur énergie pût se prononcer d'une ma nière plus active. Vingt mille pères de familles voyaient leur ruine dans la dispersion

A

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