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plus recommandable du public, lui paraissaient un appui suffisant contre les attaques d'une femme, qu'un caprice pouvait précipiter du rang où un caprice l'avait élevée. Il ne connaissait pas toutes les forces du triumvirat que formaient contre lui le chancelier Maupeou, l'abbé Terrai et le duc d'Aiguillon. Dès qu'il avait été certain de l'ingratitude du premier, il l'avait livré aux traits de tous les satiriques de cour dont il encourageait l'audace, et il finit par le croire aussi ridicule qu'il avait essayé de le montrer au public. Il condamnait sans ménagement les opérations de l'abbé Terrai en finance, et ralliait à lui tous ceux qui maudissaient les mesures de ce contrôleur général. Son dédain pour le duc d'Aiguillon était encore plus prononcé, depuis que celui-ci avait cherché la protection de la comtesse Dubarri. Cependant le duc de Choiseul faisait quelques sacrifices à des circonstances alarmantes. Pour la première. fois il se renfermait dans ses trois ministères (j'y comprends toujours celui de la marine, que remplissait le duc de Praslin); on ne le voyait plus affecter de suprématie sur les secrétaires d'État. Tout son espoir reposait sur la guerre maritime où il voulait

engager la France. Mais comment y décider Louis XV? Ce monarque avait depuis longtemps le malheur de mépriser sa marine. Lorsque le duc de Choiseul lui parlait de la nécessité de mettre à profit les discordes de l'Angleterre avec ses plus importantes colonies, il n'éveillait en lui d'autre senti→ ment que la crainte, et pourtant il ne renonçait pas à un projet qui pouvait seul re, lever son pouvoir. L'Espagne, chaque jour plus importunée du commerce de contrebande, qu'à la faveur de la paix l'Angleterre ouvrait avec l'Amérique méridionale, savait que les îles Falkland, cédées à cette puissance par le traité de Paris, offraient beaucoup de moyens de l'exercer. Quelques actes d'hostilité entre des armateurs anglais et espagnols avaient eu lieu dans ces parages; la provocation venait toujours de ces derniers : ils avaient osé faire une attaque ouverte contre le port d'Egmont. Le gouvernement espagnol, excité par le duc de Choiseul, se montrait décidé à soutenir cette aggression. Le pacte de famille allait donc être invoqué. Louis pouvait-il, sans ignominie, ne pas venir au secours d'un allié généreux et nécessaire? Mais plusieurs de ses ministres veillaient à le

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mettre à couvert de la violence adroite que le duc de Choiseul voulait faire à ses intentions pacifiques. « Que signifient, disaient-ils, Flan de ses >> ces sollicitudes affectées pour le commerce » de l'Espagne, et cette ardeur à intervenir une seconde fois depuis ce règne dans » les affaires de la Pologne? Le péril est-il » là? N'avons-nous pas ici des dangers do-»mestiques bien plus pressans? Quoi de » plus nouveau que de voir un roi de France >> insulté dans sa cour, bravé par son mi »nistre, et livré par celui-ci aux attaques » des corps et aux mépris du peuple? Si

tel est son partage, devons nous nous » étonner de celui qui est réservé aux ders » niers défenseurs de ses droits? Une partie » de la cour soulève contre nous la plus vile

partie du peuple : une armée de libellistes » nous suit dans toutes nos démarches et >> prête une couleur odieuse à tout ce que >> nous faisons pour affermir le trône;et » nous serions arrêtés par de vains scrupules » sur le choix des moyens qui nous restent >> encore de sauver la monarchie! Forcons

un roi trop faible à nous approuver, lors » que nous aurons établi une force et une tranquillité inconnues dans le cours de ce long règne. Perdons les parlemens avec

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le ininistre qui livre à leurs coups l'au» torité royale : bravons l'un, trompons les » autres. Laissons leur orgueil s'accroître. » Amenons-les à divulguer toutes leurs pré

tentions. Essayons ensuite, ce que peut » contre eux la seule arme qu'on ne leur ait point encore opposée, une volonté imperturbable. »

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Après avoir combiné leurs mesures dans un conseil secret, ces trois hommes d'État allaient en conférer avec la comtesse Du barri, et la formaient par degrés à un rôle politique dont elle n'était point étonnée, malgré son extrême inexpérience. Louis avait vu sans jalousie l'intimité qui s'était établie entre elle et le duc d'Aiguillon; quoiqu'il fût difficile de se tromper sur la nature de ce commerce, il ne craignait pas un rival dans un courtisan qui, à l'âge où l'amour parle le plus vivement, avait pu lui faire le sacrifice de la duchesse de Châteauroux (le duc d'Aiguillon, à cette première époque, portait le titre de duc d'Agénois). Celuici, pressé par deux parlemens qui demandaient son déshonneur ou sa tête, exigeait de la femme qu'il avait subjuguée, qu'elle ne laissât point de relâche au parti de Chois seul. Au milieu des jeux et des plaisanteries

dont elle amusait le monarque (a), elle ne cessait de lui parler du renvoi de ce ministre comme d'une mesure indispensable, convenue, et qu'il s'agissait seulement de déclarer. Le roi souriait, sans se presser d'obéir. D'autres fois elle recourait à des moyens plus directs, plus éloquens, et qui sans doute lui avaient été suggérés: elle fit placer dans sa chambre le beau portrait de Charles Ier, de Wandick, auquel elle avait mis un prix considérable. Elle le montrait au roi chaque fois qu'il retombait dans son irrésolution. Le petit nombre de dames dont elle était parvenue à grossir sa cour, demandaient au roi d'être affranchies des insultes que dirigeaient contre elles le duc de Choiseul et surtout la duchesse de Grammont : elles annonçaient une prompte retraite si leur dévouement continuait à être payé par l'opprobre. Le vicomte Dubarri cherchait à se donner l'importance d'un chef de parti: il défiait tellement le duc de Choiseul par ses regards et par ses propos audacieux, qu'un ministre outragé à ce point était déclaré sans pouvoir dès qu'il restait

(a) La comtesse Dubarri faisait sauter alternativement deux oranges, en disant: Saute Choiseul, saute Praslin.

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